Self Control

Tu me faisais la conversation sans vraiment de conviction. Nous avions nos regards fixés sur le sol pas très propre de ma petite chambre. J'avais un peu honte, je n'avais pas prévu qu'on aille chez moi. Mais tant pis, c'était ça ou rien. Tu m'avais dit un jour qu'aucune fille ne t'avais jamais invité chez elle. Tu pourras te souvenir de moi au moins pour cela. Dehors, la pluie tombait à flot. Elle t'empêchait de partir. Je ne sais pas si tu souhaitais t'enfuir ou si tu voulais rester encore un peu, tout en sachant qu'il te fallait t'en aller de toute façon. Dans nos têtes, on savait tous les deux que c'était la dernière fois qu'on se voyait. Mais aucun de nous ne le disait à voix haute. Cela aurait été trop réel, une confirmation malvenue. On parlait de choses inutiles pour éviter les adieux. J'étais lâche. Les mots que je voulais prononcer restaient bloqués dans ma gorge. "Je suis heureuse de t'avoir rencontré" ; "J'ai apprécié ces moments avec toi" ; "Je me souviendrais toujours de toi". Ridicule et impersonnel, dis comme ça. "J'espère que tu seras heureux avec ta copine." Hypocrisie. Non, non, ce moment-là elle ne pourra pas nous l'arracher. C'est lui qui a choisi ce soir-là, je ne sais pas pourquoi, après m'avoir rejeté implicitement ou non tant d'autres fois. Il devait savoir que c'était sa dernière chance pour me serrer dans ses bras. Bien sûr que je n'allais pas refuser. Il s'est levé, maladroit. J'étais encore débraillée de la nuit. Il ne m'a pas proposé de manger avec lui. Il fallait se dire au revoir. J'étais raide dans son étreinte éclair. Deux bises rapprochées et il descendait les escaliers, un sourire tourné vers moi, ses yeux brillants, une parole que j'ai oublié, puis il sortait. Je me mis à frissonner sur le palier et j'ai été soudain envahie par un grand vide. C'était fini. Je ne verrais plus son visage, je ne sentirais plus son odeur. Pendant la nuit, je le savais déjà, je l'avais regardé dormir le plus longtemps possible afin de mémoriser ses traits. Il me manquera. Il me manquera. 

Quand on rencontre une personne, on ne pense pas à la séparation. Le début est magique, mais on ne l'apprécie pas à sa juste valeur. Ensuite le temps effectue son travail destructeur. Et quand arrive le moment de se quitter, on devient sourd, aveugle et inhibé. C'est après que vient la souffrance.