Selles de mère
Alexandra Bitouzet
Selles de mère Elles sont l'une en face de l'autre, accroupies dans la baignoire remplie à moitié, leur menton sur leurs genoux, parfois elles lèchent un peu les petites croûtes. Elles se regardent mais ne se parlent pas. Elles se regardent et ça suffit. Elles ont les yeux rouges. Elles ont froid. Elles courbent le dos, elles courbent l'échine. Pas un bruit dans la salle de bain. Elles sont là-dedans depuis dix minutes, elles attendaient ça depuis une semaine, se laver. Elles sont là-dedans depuis dix minutes, c'est le temps pile-poil qu'il leur a fallu pour retirer les poils de cul laissés par maman et papa. Un à un, avec leurs petits doigts d'enfant, elles les emmènent jusqu'au bord de la baignoire, sans les prendre directement sinon c'est pire pour s'en débarrasser. Quand le poil est sur la paroi, elles le font glisser jusqu'en haut, puis les alignent pour faire une file indienne, une file indienne de poils de cul. Il y en a partout, sur l'eau, dans l'eau, sur les parois, sur leur peau d'enfant. Ça les dégoûte. Elles n'ont pas besoin de se le dire. Elles se comprennent. Elles se sont toujours comprises. Sans un mot. L'humiliation n'a pas d'épitaphe et la douleur, pas de notice. Les mots ne servent à rien. Leurs yeux sont leur moyen de communication car ici le silence est requis. Elles sont là-dedans depuis douze minutes et l'autre se met à gueuler qu'il va falloir sortir, que c'est pas bientôt fini de faire ses demoiselles quand on n'a pas trois poils au cul. Elles sortent sans se laver, elles ont trempé leurs petits corps treize minutes sans bouger ; en respirant tout juste. Elles se sentent sales et elles savent bien qu'il faudra attendre dimanche prochain pour prendre un bain.
Un bain de poils.