Sensation de maltaise
Gaetan Serra
Le ciel étoilé était merveilleux dans la nuit maltaise. Tout autre soir de la semaine, personne n'aurait fait la remarque. S'extasier de cette beauté pure qui leur était offerte ne faisait pas partie de leur priorité. Mais ce soir, ils profitaient de ce bonheur d'être là, tous ensemble, entre gars. Une once de tristesse dansait dans l'air, annonçant la fin des vacances.
Cette ultime balade dans la crique sonnait comme un adieu. L'éventualité de se retrouver là dans un an, ou plus, semblait très hypothétique. Ils avaient économisé les douze derniers mois pour pouvoir se payer Malte alors ça rendait l'épisode deux plus qu'invraisemblable. Il fallait juste savourer.
Ils s'assirent en ligne, face à la mer, chacun appréhendant le présent à sa façon. Vincent et Thomas gardaient leurs yeux grands ouverts vers le large en souriant. Orel fermait les yeux mais se concentrait plutôt sur le mélange entre les odeurs salées et sucrées qui venaient de l'écume. Guilhem s'était couché dans le sable, préférant écouter le bruit environnant. Benjamin regardait tout ce petit monde et surtout, attendait.
Les amis, pourtant peu avares en bavardages, se taisaient d'un silence complice. Tous patientaient et guettaient le moment où la mer allait se déchaîner. Il y avait quelque chose d'onirique dans ce tableau. La lune éclairait les ondulations et les remous au loin, comme une œuvre de Georges de La Tour. La houle ramenait vers le rivage ses embruns iodés mêlés de parfums de fruits rouges. On entendait le fourmillement de la ville jusqu'ici. Si on tendait bien l'oreille, on pouvait percevoir la fête battre son plein pour tous les touristes étrangers venus comme eux.
Des cris transpercèrent la nuit. Tous se redressèrent de leur position avachie. Le piège refermé, il était impossible de faire machine arrière. Personne ne le souhaitait de toute façon. Plus les minutes défilaient, plus l'issue paraissait irrémédiable. Un petit air désagréable se mit à souffler par intermittence, amenant de la fraîcheur comme coup de pouce inespéré, ainsi que d'étranges sons.
Dans sa tête, chacun faisait un pronostic, le même que l'on pouvait faire à l'aveugle en pareille situation.
- Suédois ? lâcha un des jeunes hommes.
- Hollandais, affirma un autre de ses collègues.
On se faisait ainsi un portrait plus précis, faisant appel à nos souvenirs bataves, nourris notamment de rencontres de camping de notre adolescence jamais assouvies.
À ce moment, tout s'arrêta, plus de vent, plus de fête, plus d'odeur ou de mots incompréhensibles. On était en plein instant suspendu, celui où les adversaires se font face en se demandant qui va dégainer en premier.
Les cinq sirènes leur faisaient face exactement de la même façon. Le calme et la sérénité était dans le camp de la plage, alors qu'un frisson terrible parcourait l'équipée restée dans l'eau, et ce n'était pas que la température. On se questionnait sur la démarche à suivre, et les garçons l'avaient bien compris, peu importe le langage utilisé.
Aucun échappatoire possible, elles savaient qu'elles ne pourraient faire autrement que de les affronter. Ils ne déguerpiraient pas, malgré leur tentative de les avoir à l'usure. C'était bien elles qui subissaient la fraîcheur.
- C'est une belle nuit pour se baigner, dit l'un des cinq amis.
Un petit mètre devant eux, hauts, jupes, maillots de bain avaient été selon certaines déposés en tas, ou jetés à qui voulait les ramasser. Leur mission était bien de surveiller qu'on ne leur vole pas leurs affaires, bien évidemment. Cela aurait été fort incommodant. Mais ils remerciaient l'inventeur du bain de minuit d'avoir eu cette idée de génie.
Un vrai défilé d'une vingtaine de mètres allait laisser le temps de profiter. La lune et le ciel magnifiait ce spectacle. Des cinq demoiselles, celle du milieu se releva de sa position accroupie, bientôt suivie par ses camarades, toutes aussi gênées. Elles s'avancèrent.
Ce n'était pas du de La Tour, ni même du Vermeer. C'était du Boticelli.