Sentiments numériques

           7H00, réveillée par le son de la sirène des pompiers,  bruit  familier, qui désormais  me fait flipper. Je n'imagine pas ce qui a pu arriver, non, je ne l'imagine pas…

                Je vérifie mon téléphone, mon réseau, mes messages, aucun de Kenan, je revérifie le réseau, pfff… J'ai envie d'hurler : «  J'en ai marre de cette vie de merde, de looseuse (j'aime ce mot), ras-le-bol, la casquette, et le c-- !!! » Voilà, c'est dit…

                Je ne suis pas à ce point pitoyable parce que je n'ai personne dans ma vie, non, je crois que c'est autre chose, la solitude, on s'y fait. Je n'en souffre plus vraiment, je travaille, je sors avec mes copines, je participe même à des soirées entre célibataires, ma vie est remplie donc. Mais moi, pas. Je pense tout et son contraire.

                 Partir, tout quitter sur un coup de tête, j'en rêve, je rêve de chaleur, d'eau turquoise, de peau bronzée, de surf… Et je reste là, engluer dans mon quotidien trépidant. Pourquoi je n'agis pas ? La peur, je suis dévorée par la peur, la peur de me planter, la peur de l'inconnu, ne rien maîtriser, ne pas savoir de quoi demain sera fait…

            Aimer, je voudrais mais au fond, je n'y crois plus vraiment… Aimer c'est prendre le risque de souffrir, parce qu'un jour l'histoire s'arrête…Prendre le risque aussi de faire souffrir l'autre…Ai-je envie de prendre un de ces risques-là ? Au fond, je ne sais pas…

                Ce sentiment d'être perdue, enfermée, sans pouvoir prendre une direction, me fatigue… Me regarder dans ce miroir ce matin m'est difficile.  J'aimerais être une autre personne, dans une autre vie, parce que je sais désormais que moi dans une autre vie, ça ne fonctionnerai pas.

                Bref. Je mettrai bien mon cerveau sur off quelques années, histoire de profiter, simplement profiter de chaque moment, parce que la vie ça devrait être ça, apprécier chaque instant et les transformer en petits bonheurs…Allez, il faut que j'essaie, encore, encore…

                Mes pensées m'enferment, j'ai pris ma douche, me suis habillée, sans même m'en apercevoir, un corps vide…

Mon téléphone vibre, un SMS, de Kenan : « Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux que tu m'aies écrit. Bien sûr que j'ai envie de te voir, de te parler et de te connaître. Je ne demande que cela… Serais tu disponible pour déjeuner aujourd'hui ? La vie est courte... »

Quel jour sommes-nous ? Lundi ? Oui. J'aime le lundi.

Je réponds, en souriant, « oui, je déjeunerai avec toi avec plaisir… »

Kenan : « je passe te chercher vers midi. Je t'embrasse. »

Je replonge sous la douche, me ré-habille (mieux) et part le cœur léger, je ne veux pas penser qu'il est marié et que cette histoire ne mènera à rien. Je m'en contre balance. Je suis heureuse de me dire que je vais le revoir, que je vais ressentir cette petite chose, ce petit truc dans le regard de l'autre qui nous touche et nous donne envie d'être près, tout près…

                Le métro, ça pue, et je m'en moque. Il y a un beau gars, en costume, le genre classe, bien éduqué avec un job à responsabilité… Peut-être se sent-il aussi vide que moi parfois… Peu importe Kenan… Je souris sans m'en rendre compte, le beau mec me rend mon sourire, je rougis et je baisse les yeux, Kenan…Kenan… J'ai hâte.

                C'est dingue comme la simple présence de quelqu'un (et d'une hypothétique relation) me donne la sensation d'exister. Pathétique ? Oui et alors ? ça gène qui ?