Sentiments numériques: c'est flou

             Je viens de parcourir  "quarante tentatives pour trouver l'homme de sa vie"...

Léger, sympa, mais franchement, après 4 chapitres, un profond questionnement m'envahit:

"En suis-je là?" A envisager le moindre mâle, à espérer même de quelqu'un qui ne me plait pas juste pour avoir le sentiment d'être moins seule? A guetter le moindre sourire?

Eh ben, non...non, Non, NON, NON...

Et par pitié, j'aimerai ne jamais en arriver, là.

Parce que, je dois bien vous l'avouer, le coup du site de rencontre avec ma grand-mère, c'était un plan... Pour elle, pour lui redonner un but, une envie. Je savais que l'espoir de me voir heureuse et amoureuse et d'y avoir participé pourrait l'aider à se sortir de sa léthargie... Pas très classe, mais efficace, vous en conviendrai.

A présent, que faire?

J'ai décidé de ne plus commencer d'histoires perdues d'avance:

 J'exclus donc dores et déjà, tous les hommes mariés/ en couple... Ceux avec la trace blanche autour de l'annulaire...

Exit aussi les bellâtres de passage...

Et les adeptes de rencontres éphémères (d'un soir ou plus mais surtout sans engagement, évidemment) EXIT...

Liste vertigineuse, recensement assez représentatif de mes dernières rencontres.

Vous savez ce dont je rêve? J'aimerai m'allonger dans l'herbe verte, y rester des heures en écoutant Barba rossa, à la cool...Oublier cette vie, sortir de cet enfermement, quitter le tumulte de Paris, les sons de Fauve qui m'ont souvent accompagnés. Me retrouver en somme, grandir, m'accepter, devenir plus sereine... Et peut-être enfin arriver à construire un truc beau, simple, sincère. Juste ça, seulement cela...

            Une petite voix dans ma tête. On dirait ma mère: 

"Redescends sur terre Em', l'histoire parfaite n'existe pas... Même dans les contes de fées, elles galèrent les filles, elles se font empoisonner, doivent embrasser des crapauds ou rêvent d'un carrosse devant une citrouille... ta vie est ici Emma, tu n'y peux rien. Composes avec au lieu de perdre ton temps à rêver."

"Everything I do, I do it wrong"

           Bon. Retour à la réalité, pas plus avancée. Je vais boxer.

Métro ligne 5, personne, enfin si bondé, mais personne d'important, enfin bref, vous me comprenez...

Delphine, n'est pas là, entrainement en tête à tête avec mon coach. On termine la séance par des assauts. Je m'en prends plein la tête et le reste. Il touche juste pieds et poings, mais ne frappe pas... ses coups déboulent, tombent sur moi, sans cesse, je prends, je prends, comme une avalanche, j'ai la sensation d'être ensevelie par les coups, je me protège, mal. Et surtout j'ai du mal à rendre, à prendre le dessus pour frapper. Il me touche au visage plusieurs fois, je crie, plusieurs fois aussi... Je transpire, souffle, je sens monter en moi une colère, les larmes aussi, des larmes de rage, juste avant d'exploser en sanglots, je tape, enfin, j'extériorise. Cette colère est si lointaine que je n'arrive pas à contenir les larmes qui montent dans mes yeux. Je pleure, je vide tout.

"Tu es ton seul adversaire Emma, lâches, tu es là pour ça, tu peux ici, lâches..."

 Dur de se remettre de ce moment de lutte. A ceux qui pensent que la boxe est juste un sport de brutes, vous vous plantez le doigt dans l'œil jusqu'au coude, les amis...

Sms de la miss, qui me propose un resto en tête à tête, pour me parler d'un truc important « pour son avenir »… 21 h00 à la Villa des Abesses.

Routine : métro ligne 5 le retour,

                 douche,

                 mamie/diner,

                 remonter,

                 maquiller,

                 changer,

                 métro (vide)…

                 Arrivée resto

Delphine est déjà, là, sérieuse… c'est inquiètant.

Elle me montre son verre :

« - Cocktail sans alcool, ça te vas ?

- Lors de mon précédent passage dans le quartier, j'ai trébuché sur le patron et j'ai failli lui ôter son pantalon, devant tout le monde…Donc sans alcool, oui, parfait ! »

Elle parle un langage des signes approximatif en direction du serveur qui semble parfaitement la comprendre, ça m'échappe.

« -Bon alors, de quoi tu voulais me parler ?

- Tu veux manger quoi ? Moi, je sais pas…

- Oh, dis-moi, je déteste le suspends et tu le sais

- Tomate buratta ou risotto de Saint Jacques ? J'hésite… »

Elle sait que ça m'agace là. Elle me regarde, prend une grande inspiration et se lance :

« -C'est un secret pour personne que ma vie, c'est pas la joie tu vois »

Hochement de tête silencieux mais empathique…

« - Je bosse 7/7, la seule récréation que je m'autorise c'est nos cours de boxe…Pfff. J'en ai ras le pompon ! (pour E)

- Ben oui... maintenant que votre boite tourne, tu vas peut-être pouvoir relâcher un peu, non ?

- J'en ai toujours un qui me sort un arrêt maladie, j' te promet, on dirait qu'ils se donnent le mot, juste pour me faire ch--- ! Je vais tout plaquer avant d'être accusé d'homicide !!!

- T'es sérieuse ?

- Oh oui…

- Tu vas faire quoi ?

- Je commence lundi la formation de thanatopracteur…

- Pardon ? Tu as dit tana… ? J'ai pas du bien saisir !

- Tu as très bien compris.

- C'est pas possible, tu peux pas, c'est pas possible…

- Au moins j'aurais une paix royale…

- … Je vais me commander un vrai verre. Après une petite dizaine de mojitos, je serai certainement ravie pour toi !

Je lève la main : « Mojito, m'sieur ! »

« - Oh ça va, je déconne, détends toi ! la cession était complète et puis je suis trop frileuse je crois… »

Son histoire m'a filé la nausée, oh merde, je baisse la tête et essuie les gouttes qui perlent sur mon visage…

«  -Bon, alors on mange quoi ?? Em', tu rêves ?

Je préfèrerais rêver, je vous assure.

Devinez qui vient d'entrer ?

Monsieur, ligne 5, monsieur Lucas, himself !

Et vous savez quoi ?

Il rejoint la table ou l'attend encore une fille…Jamais la même !

Je regarde Delphine :

« - je crois que je vais vomir…

- C'est bon, c'était de l'humour, je ne vais pas faire ce job ! »

La seule explication c'est que ce gars est inscrit sur un site de rencontre, c'est sure, et moi, je le croise à chacun de ces rdv, c'est forcément ça… Sa compagne du soir, part se rafraichir, elle est tellement frêle, on dirait une brindille… Je suis triste pour elle, si fragile, j'aimerais lui dire de se méfier, de ne pas lui ouvrir son cœur… Je croyais qu'il était différent…

« - Mesdemoiselles, vous avez choisi ?

- Delph, on bouge s'il te plait ?

- Combien je vous dois pour les verres ? » Je la regarde et la remercie de me comprendre sans avoir besoin d'explication.

On se lève, récupère nos vestes…

« Emma ! » je n'en reviens, pas, il est là ! Je le regarde sans rien dire.

« - Tu te souviens, on s'est croisé au Vrai Paris, tu/

- Je me souviens » Je plante mes yeux droits dans les siens comme pour le défier. Il est quand même culotté de laisser choir la fille qui l'accompagne, à chaque fois !

« - Je ne suis pas amnésique, tu sais ! »

Dragueur invétéré de merde, à la place de la brindille, je partirai sur le champ… Il doit avoir un charme dingue pour qu'elles acceptent un tel comportement.

« - Tu pars déjà ? Tu vas bien ?

- Je crois que ton amie s'impatiente Lucas !

- Elle peut attendre, c'est ma sœur.

- Bien sûr. Et moi,  je vais diner avec la reine d'Angleterre moi, désolée.

- Elle s'appelle Alice et c'est MA SŒUR ! Emma, regarde-moi ?

- Pourquoi ?

- Parce que je ne te ment pas »

Là, je ne gère plus, je n'en peux plus de mon hyper sensibilité, de cette fragilité, à fleur de peau tout le temps. Il faut que je m'échappe avec qu'il ne perçoive mon trouble…

« - Je te crois Emma, quand dans le métro, alors que l'on ne se connait pas, tu me dis que tu es différente…

- Je suis désolée Lucas, désolée… Il faut que je parte »

Je rejoints Delphine, 3 mètres plus loin, il reste immobile, à me regarder… Sa présence me trouble tellement, j'aurais envie de le serrer dans mes bras mais je ne sais pas qui il est vraiment, je ne veux plus me tromper, plus la force pour ça…

« Tu sais Emma, il a l'air plutôt sincère celui-là »