Sept pulsations lentes de basse suivies de trois rapides
Michael Ramalho
23h00 :
Le halo orangée du dehors peine à traverser les interstices des stores de la chambre. Cette éblouissante lueur suffit à irriter mes yeux rougis aux paupières sèches et pétrifiées. L'enveloppante moiteur des ténèbres leur conviendrait davantage.
Délectable insomnie. Le lit est en feu, je ne peux pas dormir. Le son d'une ligne de basse composée de sept pulsations lentes suivies de trois rapides se répétant à l'infini, ne fait plus qu'un avec mon esprit. Soudain explose, un riff de guitare obsédant mais jubilatoire, agressive introduction du titre pop acidulé qu'elle écoutait au moment où nos routes se sont croisées. Des escarres violettes s'étendent le long de mon corps en un bouquet de fleurs fanées et nauséabondes s'épanouissant dans un vase remplie d'eau saumâtre. Les lignes de son corps juste à côté du mien forment les contours évanescents d'une colline dont mes mains sont tentées par l'ascension. A tâtons sous le drap, elles rencontrent le haut d'une cuisse veloutée, encore tiède et appétissante. Elles deviennent entreprenantes.
Minuit :
Délectable insomnie. Les bras en croix après la jouissance, je ne dors toujours pas. La vague de dopamine n'a aucun effet sur un cerveau dans lequel règne une mer tempétueuse aux creux immenses et monstrueux. A la ligne de basse, plus forte et lancinante que tout à l'heure, s'ajoute des coups de grosses caisses générant une transe qui me happe et m'entraîne dans une ronde démente. Entre deux demi-soupirs, je perçois dans la pièce d'à coté, le bruit d'un mince filet d'eau qui rempli la baignoire. Le niveau monte. Les ondes générées par les clapotement s'accélèrent jusqu'à se mettre à l'unisson des pulsations du riff de guitare.
1h00 :
Assis contre la tête de lit, je caresse tendrement ses cheveux et abandonne sans regret mes espoirs d'endormissement. Les clapotis ont cessé. J'imagine ses yeux exorbités et vitreux enfoncés dans sa face enflée. Sa bouche figée pour l'éternité dans un rictus d'horreur. Son irritable air arrogant doit en avoir pris un sacré coup. Délectable insomnie. J'ai horreur des individus impolis. Sept pulsations lentes de basse suivies de trois rapides, des coups de grosses caisses qui jaillissent et une guitare électrique qui lacère le tout. Me revoilà dans la supérette de la station service. Un couple aviné rebondis contre les rayons, faisant tomber au passage les produits des étals. Le caissier proteste mais l'homme l'insulte et se moque de son accent indien. La femme l'encourage en laissant échappé un rire sonore qui peine à couvrir la musique qui s'échappe de la poche de son jean. Ils passent à côté de l'homme que personne ne voit jamais et qui pourtant est une divinité de mort. Lui m'assène un coup d'épaule. Je commence à m'énerver. Elle me frôle. Ses cheveux blonds ont l'odeur de la fraise et du jasmin. Je commence à me fâcher. Elle me crache la fumée de sa cigarettes à la figure. Je vois rouge.
2h00 :
Le souvenir de notre première rencontre m'a donnée envie d'elle. Délectable insomnie. Sept pulsations lentes de basses suivies de trois rapides, des coups de grosses caisses qui jaillissent, une guitare électrique qui lacère le tout et des paroles démentes psalmodiées. Me voilà de retour, sur le parking de la station service. L'homme et la femme s'apprêtent à monter dans leur voiture. Accompagné par le vacarme de l'autoroute derrière moi, j'avance en leur direction, ma seringue pleine de drogue cachée dans ma manche. L'adversaire le plus dangereux en premier, je l'attaque à la gorge. Il tombe lourdement dans l'herbe. Elle est tellement saoule qu'elle se met à rire. Je l'agresse à son tour. Dans une étreinte annonciatrice d'instants délicieux, nous nous écroulons sur le siège conducteur. En un clin d'œil, je trouve la commande pour ouvrir le coffre sous le tableau de bord. En un tour de main, les voilà avalés par le néant. Je suis un expert dans mon domaine.
3H00 :
Ils pourront tout m'enlever, m'emprisonner, me tuer même. Il est trop tard. Tout ce que j'ai accompli restera gravé dans mon âme. Ici ou dans l'au-delà, plongé dans mes ténèbres adorées, avec pour seuls compagnons les détails de mes crimes odieux, je me les réciterai d'une voix doucereuse qui ne s'éteindra jamais. Une éternité de plaisirs devant moi. Son regard terrifié exprimant une totale incompréhension face au mal absolu, pendant que je serrai son cou de toutes mes forces, humant à plein poumon l'odeur de ses cheveux. La jouissance d'apercevoir son âme qui l'abandonne dans le spectacle de ses jambes qui cessent de s'agiter. Je commence à fredonner la mélodie entêtante.
4h00 :
Le soleil va bientôt se lever. Je dois finir avant qu'il ne se mette à me larder de coups de lances incandescentes. Le jour est à lui. Je me terre, astre noir dissimulé derrière la ligne d'horizon, ne ressortant qu'au crépuscule pour chasser. Je sifflote en sortant l'homme de la baignoire. D'abord vider l'eau. Son existence passée s'évacue dans les tuyaux avec un bruit de succion. Ensuite, disposer la plaque métallique taillée aux dimensions de la baignoire sur laquelle j'ai creusé des sillons d'évacuation. Travail d'orfèvre. Je suis un expert dans mon domaine.
Enfin, étaler mes outils. Je me mets au travail. Il sera le premier. Ensuite, ce sera son tour. Mais avant, je garderai un souvenir. Les bruits de la scie, de la feuille de boucher et du marteau à broyer les os génèrent à leur tour une mélodie qui constituent la moitié monstrueuse du visage du quidam lambda arpentant les rayons d'un magasin, en chantonnant du bout des lèvres, le dernier riff à la mode composée de sept pulsations lentes de basses suivies de trois rapides, de coups de grosses caisses appuyés qui jaillissent, du cri déchirant d'une guitare qui lacère le tout et de paroles démentes psalmodiées.