Sex Friends

lanad76

Trois heures du matin, Sally tourne et se retourne dans son lit sans parvenir à dormir, elle ne cesse de se répéter intérieurement :

-De toute façon , il n'aurait pas aimé, il n'aurait pas aimé, c'est sûr...

Mais de quoi parle t-elle ? Du concert de piano écouté la veille au soir avec son amie Sonia (Chopin, Liszt, que des romantiques qui l'auraient fait gerber de toute manière) ou de leur relation (Comme dans le film avec Natalie Portman et Ashton Kutcher, entre "Sex Friends", il faut respecter quelques règles de base : Ne jamais s’offrir de cadeaux. Ne pas dîner en tête à tête. Accepter la concurrence. Oublier le mot "chéri(e)". Toujours partir avant le petit-déjeuner. Et ne jamais tomber amoureux ! Rien de tout cela n'a été respecté) .

Un cadeau il lui en a offert un merveilleux, le jour où le facteur a déposé dans sa boite aux lettre l'album noir et blanc des photos glamour faites ensemble, à travers son oeil exercé de photographe il l'avait rendue belle et désirable. Ils ont déjà dîner en tête à tête, sans flonflon ni décorum, en toute simplicité et spontanéité et ça c'était idyllique. La concurrence, elle essayait de ne pas trop y penser, espérant secrètement être la N°1 de ses plans cul. Jamais de mots doux ou de déclarations d'amour, parfois au lieu de seulement lui avouer son attirance pour lui et de baiser, elle s'embrouillait et lâchait qu'il lui manquait et lui faisait l'amour. Ils passaient la nuit ensemble mais pas dans les bras l'un de l'autre, elle cherchait son contact, lui la repoussait. Il restait distant, respectait les principes qu'il s'impose mais elle, elle s'attachait de plus en plus, de jour en jour à lui.

Il avait été très clair, pas d'amour entre eux, mais est-ce que ça se commande l'amour ? Il est ou le bouton on/off ? Elle sait qu'elle est trop vite tombée amoureuse, mais les dés étaient pipés d'avance, elle était déjà amoureuse de lui à seize ans, elle le trouvait alors divin, elle avait toujours joué avec lui, elle s'était entraînée sur lui au jeu de la séduction, mais n'avait jamais cédé à ses avances. Comme toute divinité elle l'avait propulsé sur un piédestal inaccessible, il lui faisait peur, le désir qu'il provoquait en elle lui faisait peur, elle ne se sentait pas prête et quand elle franchit le pas quelques années plus tard, ce n'est pas lui qu'elle choisit pour sa première expérience, elle se sentait déjà à l'époque incapable de le garder.

Trente ans plus tard, il y a quelques mois, le jeu a repris entre eux et c'est Sally qui lui a fait des avances et c'était comme dans un rêve. A défaut d 'amour en retour, elle espérait tout de même du respect et envisageait toujours leur liaison sous un aspect ludique. Elle imaginait reprendre les jeux de séduction de l'adolescence et les approfondir en rencontres improvisées, en rendez-vous spontanés et nuits torrides, mais elle a vite déchanté, chacune de ses propositions coquines se sont vues refusées, une nuit de sexe pour son anniversaire, un après-midi au bord de la mer pour une sieste crapuleuse sur la plage, du shopping pour tester la cabine d'essayage, aller ensemble dans les toilettes d'un grand restaurant entre le plat et le dessert...

Depuis quelques semaines cette histoire n'est que déception et désillusion et Sally sait qu'elle doit passer à autre chose, ça a l'air simple à annoncer comme ça, mais alors pourquoi est-il toujours si présent quotidiennement dans sa tête ? Pourquoi tout cela l'empêche de dormir ?

Sally a cru pouvoir suivre ses règles mais quoi qu'elle fit ces derniers temps, n'était pas satisfaisant aux yeux de Harry. Elle montrait trop ses sentiments, il se sentait pris au piège comme un animal sauvage en cage, elle prenait du recul, il considérait qu'elle avait rencontré un autre homme et dans les deux cas ne montrait plus l'envie de la revoir. Elle acceptait, se soumettait, se remettait en cause à chaque fois, mais cette fois il a dépassé les bornes. Elle n'a plus de solutions à proposer, elle ne comprend plus rien et se demande même si elle a envie de comprendre voire s'il y a quelque chose à comprendre.

Il a clairement exprimé qu'il n'avait pas de temps à lui consacrer, même pas quelques heures, avant de partir en vacances alors que déjà un mois s'était écoulé depuis leur dernière nuit, reportant d'autant leur éventuelle prochaine rencontre. Soit deux mois sans se toucher, se voir, se parler, se sentir... Il savait pourtant qu'elle supporte mal le vide créé par l'absence. Son dernier bref sms avait laissé Sally sans voix. Elle l'avait lu et relu pour essayer d'y trouver un sens caché en vain. Elle avait fini par le supprimer comme pour se convaincre qu'il n'avait jamais existé et qu'un autre allait arriver pour lui proposer une date, le jour même ou le lendemain. Elle en avait besoin, elle voulait se persuader que lui aussi. Elle avait tant attendu ce moment qu'elle se sentait vide et inutile. Et toujours rien, nothing, nada, que dalle. Il lui avait pourtant promis la dernière fois, il en avait eu envie à ce moment là en quittant ses bras, maintenant le doute la tenaille, elle n'est plus la number one, peut être même plus dans le top trois. Et l'imaginer dans les bras d'une autre la révulse mais elle se doit d'être réaliste.

La dernière fois était tellement excitante, mais c'était vraiment la dernière, eh oui, malheureusement dans le sens « ultime », car Sally ne se sent plus la force de subir le joug du despote caché derrière un sourire d'ange. A leurs retrouvailles, il y a quelques mois, il a su réveillé la flamme du désir chez Sally et pour cela elle lui en est reconnaissance, elle ne s'était pas sentie aussi jolie et désirable depuis longtemps. Ensemble c'était le paradis, séparés c'est l'enfer. A deux, ils ont partagé des moments de complicité, de plaisir, de découverte, loin l'un de l'autre c'est comme s'il n'y avait plus de repères et Sally ne désire plus souffrir et douter. Sally a pesé le pour et le contre et la balance penche dangereusement vers la chute inéluctable.

Cinq heures du matin, Sally sombre légèrement dans le sommeil et part dans un songe étonnant. C'est la fête à la maison, tous les amis de Sally sont présents. Les garçons allument le barbecue, ils ont mis trop de combustible, et les flammes dansent en embrasant le charbon qui commence à rougir et à chauffer, très vite. Sally reste à le regarder pensive, hypnotisée, les filles s'affairent dans la cuisine sortant saucisses, merguez et salades composée du réfrigérateur pour les disposer sur la table dehors. Le temps est beau mais les températures en dessous des normales saisonnières comme annoncé par la chaine météo. Sally est parcourue d'un frisson et file dans sa chambre chercher un gilet en laine, elle s'arrête devant son miroir et est consternée du reflet renvoyé, elle est censée être fraiche et pimpante en revenant de ses vacances. Si sa peau est halée, son visage est terne, ses traits sont creusés et de vilaines traces violacées marquent les cernes sous ses yeux en signe incontestable de la fatigue accumulée ses dernières nuits occupées à cogiter. La vision est tellement réaliste qu'on ne se croirait pas dans un rêve. Sally s’assoit sur le bord de son lit prête à pleurer quand Sonia passe la tête dans l'embrasure de la porte et l’assène d'un :

-ça va ma poulette ?

Devant la mine déconfite de Sally, elle entre dans la chambre, referme la porte, s'assoit à côté de sa meilleure amie, la prend dans ses bras et lui dit :

-C'est encore à cause de ce connard de Harry ? Il ne te mérite ma belle. Tu n'es qu'un pion sur son échiquier. Vois le bon côté des choses, vous avez passés de bons moments ensemble mais vous n'avez pas d'avenir. Garde les bons souvenirs, oublie le reste et passe à autre chose .

Sally relève la tête en esquissant un sourire et répond faussement outrée :

-Eh, dites donc Madame, interdiction de réutiliser mes propres propos concernant Fabrice et toi...

-Je ne t'ai pas écouté, et regarde où j'en suis, soit plus forte que moi...

Sonia se lève prestement et entraîne Sally au jardin, le jour commence à décliner, il ne faut pas tarder à diner.. Les garçons fument et boivent, les filles grignotent des biscuits apéritifs. Sally croise Emilie qui lui adresse un grand sourire et un petit signe de la main montrant que la soirée lui convient, Alain lui admoneste un clin d'oeil, l'attrape par la manche et lui demande en chuchotant à l'oreille comment va son prince, et sans même attendre la réponse retourne discuter et rire avec ses potes. Il est le seul mâle de l'assemblée à connaître sa liaison avec Harry, il apporte un avis masculin mais avoue souvent ne pas toujours pouvoir ni comprendre ni expliquer ses réactions.

Sally dépose les saucisses sur la grille du barbecue mais les braises donnent l'impression d'être éteintes et ça n'a pas l'air de cuire, elle les pique rageusement avec la fourchette, les pauvres aliments semblent être un exutoire à sa colère. Les trous occasionnés par les dents de l'ustensile libèrent la graisse qui s'écoule goutte à goutte sur les braises les enflammant tour à tour en faisant noircir les saucisses.

Les pensées de Sally s'envolent.

Comme la braise du barbecue, le désir doit être entretenu, depuis presque quinze jours maintenant sans nouvelles, le désir a disparu, il s'est comme volatilisé. Cette sensation est étrange, alors que la seule pensée d'Harry lui provoquait un doux frisson dans le bas du ventre, depuis la réception du dernier sms, plus rien. Le corps de Sally ne réagit plus, il semble comme anesthésié, même ses propres caresses restent sans aucune réaction. Cependant Sally éclate de rire et crie :

-Il va aimer, il va aimer, c'est sûr...

Les regards étonnés de tous les convives convergent alors vers Sally, réclamant une explication.

-Harry ! Il va aimer la métaphore graveleuse du jus de saucisse qui réveille la libido !

Et Sally se réveille haletante et tremblante, seule et perdue dans sa chambre et toujours sans désir, elle espère que ce n'est pas définitif, ça l'effraie. Elle suppose qu'un baiser serait la solution pour être rassurée.

Huit heures du matin, les yeux embués de peu de sommeil et de larmes, Sally attrape son téléphone portable et écrit un texto « Je t'aime, tu me manques », l'efface une fois, le réécris, le fait disparaître de nouveau, récidive encore une fois, sélectionne Harry comme destinataire et envoie finalement son message.

Elle ferme les yeux pour s'endormir enfin, mais se redresse aussitôt telle un diablotin dans sa boite. Elle ouvre l'historique des messages, Harry l'a bien reçu, son coeur va exploser dans sa poitrine. Elle cherche dans son répertoire son numéro, hésite, hésite encore et finalement appelle celle qui pourra l'écouter, décrochant rapidement, elle lui vocifère dans l'oreille :

-J'ai fait une connerie Sonia, la nuit ne porte pas conseil, j'ai envoyé un sms à Harry, j'aurais pas du... Il va pas aimer, il va pas aimer, c'est sûr! .

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