Sex (re)education

Caroline Hopkins

Les rencontres au temps de la pandémie...

Choper un type à un carrefour de sa vie sentimentale, en pleine longue procédure de long divorce, voilà un vrai challenge, surtout quand le type en question ramène l'affaire dans la conversation de manière récurrente. Evidemment, tant que ça ne sera pas réglé, toute cette histoire continuera à résonner dans sa tête pour lui rappeler qu'elle ne partira pas comme ça. Car il fait partie de ces hommes marqué par plus de trois décennies de castration matrimoniale. Il me parle très vite des « troubles psychiques » de sa femme, avec laquelle il a quand même eu cinq enfants - aujourd'hui adultes, ouf -, dont un « aspi » - oui c'est comme ça qu'on dit pour quelqu'un atteint d'Asperger - « Cela doit venir d'elle, vu ses troubles psychiques ». Expatrié du foyer psychotique parisien pour un studio de bord de mer acheté en commun dans les années 2000, il est en télétravail pour une boîte informatique. Cet homme, insécure et sensible, veut refaire sa vie mais pour l'instant, il se contente de goûter, sur la pointe des pieds, à une toute nouvelle liberté. Il sait ce qu'il veut : « trouver une amoureuse et vivre avec elle dans une grande maison où il y aurait de la place pour tous les enfants, c'est mon côté papa poule ». J'attrape la balle au vol. « Je ne suis pas dans cette optique-là moi, en fait, pas du tout. Aux antipodes même ». Genre : ne te fais pas d'illusion, c'est pas avec moi que tu vas l'écrire ton conte de fées. « D'accord, ça a le mérite d'étre clair ». Après une longue balade sur la plage de la station balnéaire de son enfance, il me propose de rester dîner chez lui. En ces temps de coronavirus, l'étape bar n'existe plus, et les flics rodent. Il faut prendre une décision, vite. Je dis oui. Comme toujours, la curiosité l'emporte. J'appréhende toutefois son territoire. « Ma femme souffre du syndrome de Diogène et il y a encore des affaires à elle dont je ne peux pas me débarrasser avant le divorce ». Oups, j'ai l'impression de m'aventurer en terrain miné, miné d'affaires, d'objets de trucs accumulés par quelqu'un qui ne peut rien jeter mais qui est entrain de se faire jeter…

Ca promet. Mais je ne me dégonfle pas, je découvre son petit appartement, ou plutôt « leur » petit appartement rempli de toute cette vie d'avant que l'on sent toujours stagnante comme un liquide lourd au fond d'un récipient. Il faudra du temps pour que cet homme-là se sorte de cette histoire-là. En tout cas, il est ému, il se met en quatre. Je le soupçonne d'ailleurs d'avoir un peu prévu le coup : Saint-Jacques et crevettes toutes fraiches du marché du matin… Voilà, on dîne, on boit, l'alcool délie les langues. Il parle beaucoup mais sait écouter aussi. Il me fait penser au bon copain, celui qu'on peut appeler en cas de coup dur ou de coup de mou. Toujours là, fidèle. 


« J'ai élevé seul mes cinq enfants, tu sais, elle n'était jamais là ». Mais où était-elle donc ? Ce sera pour un prochain épisode, s'il y en a un. Là, je ne rebondis pas, je reste à plat. Restons un brin légers dans la conversation. Il s'excuse de ne pas avoir de dessert mais je sens bien que ça ne lui aurait pas déplu que je fasse partie du menu… Mais j'ai soudainement envie de rentrer chez moi. Il m'accompagne à ma voiture. Nous marchons sur la digue déserte d'une station balnéaire tout aussi déserte. Le temps s'est figé : hors saison, et en pleine saison de Covid. La compagnie bonhomme de ce petit bonhomme me plaît, je l'invite à diner. Il est ravi, demande à m'embrasser sur la joue. Je suis la première qu'il embrasse depuis le début de ce satané virus. 


Une semaine passe et je me dois d'honorer mon invitation mais je sens un peu trop d'emballement chez cet homme. Il faut le freiner. Je me rends quasi-indisponible pendant la semaine, réponds à peine à ses messages. Il provoque une conversation. Là, je lui dis, lui répète qu'il ne faut pas qu'il s'attende à grand chose de moi. Je ne cherche rien de sérieux, surtout pas d' « amoureux ». De toute manière, « ça" ne se cherche pas une amoureuse ou un amoureux. « Ca tombe » juste dessus… Il déchante, le ton de sa voix se ternit. Il ne sait plus trop s'il veut venir. « Je te dirai demain ». D'accord, pas de problème. Mais quelques heures plus tard, il m'écrit : « C'est décidé, je viendrai demain ». 


La soirée s'annonce comme celle d'un dîner entre amis, jusqu'à ce qu'elle prenne une autre tournure. Alors que nous sommes à table, je me sens soudain touchée par ce qu'il me raconte de sa vie. Je bascule à un autre niveau, je lui prends la main. L'effet est immédiat. Il est bouleversé, me demande s'il peut m'embrasser. J'acquiesce, il se lève, je ne bouge pas, je reste assise, il s'agenouille devant moi, prend mes mains, m'embrasse sur le visage. Tout cela est d'une douceur inattendue, subtile, fébrile. Peut-il rester ? Oui, il peut. Nous passons à l'étage supérieur, à la chambre, au lit. Je me laisse faire. Je suis le dessert. Il redécouvre la gourmandise, celle de la chair. Ses gestes sont à la fois tendres, impatients, maladroits. « Dis moi comment faire, ça fait longtemps ». Je lui dis, je le guide. Les caresses et les baisers durent longtemps mais il ne peut pas aller plus loin, comme si tout avait été trop vite. Et oui, cette nouvelle liberté, elle se découvre décidément sur la pointe des pieds.


La fatigue l'emporte sur les gestes. Il faut dormir. Le matin, nous buvons un café à l'endroit même où je lui ai pris la main mais la distance est redevenue de rigueur avec la lumière blafarde du jour qui ne veut pas se lever. J'ai du travail et je ne voudrais pas qu'il s'éternise. Nous nous quittons amicalement, lui me remerciant « pour tout ce que je lui ai donné » et moi d' « être venu ». Nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes. Il ne faudrait pas qu'il s'emballe. A suivre ou next ? A voir…

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