Sexy
Fabrice Lomon
Sexy et gentille.
La ligne téléphonique ne passe pas sur l’extérieur. J’ai essayé le « 0 » mais rien, la ligne ne permet pas de communications hors du commissariat.
Si parfois j’avais besoin de renvoyer les victimes vers des services sociaux, au minimum il me la fallait cette ligne ouverte sur le monde. L’ouverture, c’est bien ce que le ministère visait, non ; si j’étais en charge de renseigner les gens sur leurs droits et devoirs, sur le champ des possibles après s’être fait dévaster sa vie, il fallait bien que d’autres acteurs sociaux entre en jeu.
J’avais pris mes dossiers et rejoins le bureau où je suis maintenant. Quand Mamie est entrée, son regard s’est porté sur moi comme si j’avais violé sa propriété privée ; j’ai bredouillé quelques mots, elle m’a jeté un regard glacial, tourné les talons et disparu. Mamie est un pilier du commissariat et à peu près aussi souriante qu’un pilier.
J’avais reçu une femme dont le type revenu de cure avait pété les plombs, la situation était celle des pauvres gens qui empilent jour après jour les ingrédients avariés d’une vie pourrie. Ou le contraire.
Juste après, la porte s’est ouverte timidement et le petit nez de fouine d’une petite grand-mère s’est pointé dans l’entrebâillement. Elle s’est posée devant moi comme une petite chose qui recevait de la vie un truc qu’elle n’avait même pas conçu. Comme une feuille d’automne elle semblait trembler au moindre souffle. C’était la peur qui la tenait maintenant, c’était ce type, ce type qui recommençait à lui faire peur, ce type qui l’avait coincée dans le hall de la résidence, une résidence où il ne s’était jamais rien passé, une résidence où les mémés parlaient chaque jour comme de vieilles amies tandis que les pépés jouaient aux boules, une résidence que M. Morin entretenait si bien, un homme si gentil, toujours un petit mot pour rire. Et voilà qu’un type un seul, avait changé les règles, bousculé les habitudes, mis du sable dans le rouage si bien huilé d’un co-voisinage sans mots ni heurts.
Depuis que sa mère était morte, le type était laissé à lui-même, comme perdu, perdu et méchant. Elle avait dit méchant, et ce mot résonnait comme l’emblème d’une nouvelle génération qui véhiculait des valeurs diaboliques et rien d’autres. On brulait des voitures, on posait des bombes dans les grands magasins, on violait des jeunes filles, on leur brulait le visage à l’acide, on faisait la rixe au collège, et sur ça jamais un journaliste ne mettait le mot de méchant. Voilà ce type était méchant, et la petite grand-mère ne pouvait pas envisager sa vie aux côtés d’un type méchant.
Il m’avait fallu reprendre un à un les éléments de la main courante, dérouler le fil de cette histoire sordide, et envisager des solutions rassurantes. La police allait effectuer des rondes, dans son rôle de protéger la population elle se devait de le faire, et puis M. Morin devait bien à son tour venir déposer une main courante, et puis et surtout, l’appartement devait être vendu, et le méchant disparaitrait de sa vie. Et la vie reprendrait ses droits, car l’harmonie était bien une affaire de fin de vie, non vous ne croyez pas monsieur l’inspecteur.
En tout cas vous vous êtes gentil Monsieur l’inspecteur, et je ne voudrais pas abuser de votre temps.
J’ai souri à la petite mémé qui se trouvait juste devant un grand portrait en pied de Loana la bombe sexy, en minijupe et cuissarde, elle avait signé sur le carton, une dédicace sympa pour la police.
Je me suis dit que cette fille-là devait être gentille.