Si je meurs demain
Lolita Denoual
J'aime faire des listes. Des listes de toutes ces choses que j'aimerais posséder, comme la collection complète des bouquins de Pierre Bellemare, une machine à écrire à l'ancienne ou des vêtements du surplus de l'armée.
Des listes de tout ce dont j'aimerais me débarrasser, mon chevalet branlant, ce tableau de fée que je ne peux plus voir en peinture sans mauvais jeu de mot et toutes ses fringues super larges qui me rappellent la période où j'avais des kilos en trop. Il y a aussi des listes pour les choses immatérielles, toutes ces bonnes résolutions du nouvel an que personne ne tient jamais : manger correctement, faire du sport et être plus gentille avec mes proches.
Enfin il y a les listes " avant"
Celle "avant trente ans "est la plus importante car pour moi quand tu n'as pas accomplie ces choses c'est que tu as gâchée ta jeunesse. En première place, soulignée de trois traits, trône : "Perdre ma virginité"
Parce que franchement, passé un certain âge, être toujours vierge c'est une vraie pathologie.
En seconde place," visiter l'Ecosse "est suivie d'une cohorte de points d'exclamation
Après cela, c'est le grand vide.
Qu'est ce que j'aimerais accomplir avant de mourir ? Je pense souvent à la mort, je me dis : ma fille si demain tu passe sous une voiture, tu auras l'air maligne
Mais c'est une pensée sans substance, dans ma tête je n'y crois pas vraiment. Les drames cela n'arrive qu'aux autres, à la télé ou dans les livres. Combien j'ai de chance que cela m'arrive a moi ?
Pourtant j'ai le papier du médecin dans la main et en le lisant j'ai l'impression de dévaler une colline à toute vitesse, roulant, roulant en direction des rochers escarpés.
Procrastiner mon existence, rester bloquer sur le bouton pause en attendant le bon moment, le bon travail, le bon compte en banque, le bon type, tout ça n'a plus d'importance, je meurs demain.
Déjà mon esprit refuse catégoriquement l'éventualité d'entrer intacte dans la tombe.
Je suis cette fille prudente qui refuse tous les risques, ne prenant jamais une décision sans prendre en compte tous les tenants et les aboutissants. Si je couche avec ce type est-ce que je ne le regretterai pas demain matin ? Si je pars sans un anglais parfait, je ne risque pas de me retrouver complètement paumée au pays des mecs en kilt ? Il me faut aussi une certaine somme pour le logement, les loisirs et je dois faire des recherches pour me construire un planning précis des activités et des lieux à visiter.
Mais voilà, je meurs demain, à quoi bon planifier, se soucier d'éventuels regrets, de soucis financiers ?
La perspective de ma mort imminente ne m'inspire pas de peur, il n'y a pas le temps pour ça. Je me sens juste comme une vacancière à quelques minutes du départ, excitée et fébrile, je ne songe qu'à accomplir tous les préparatifs avant de m'en aller.
Ce faisant je ne crains pas l'avion, je n'ai pas de pensée pour les statistiques de crash ou de boule dans l'estomac à la perspective de grimper dans cette boîte de conserve ailée .
C'est grisant. Je n'ai pas de bagages et juste de quoi payer un allez simple pour Edinbourg.
Je me coule dans mon siège, mes yeux sont à l'affut de chaque passager masculin. Je ne ressens que de l'excitation face aux possibilités innombrables qui s'offrent à moi. C'est un précieux cadeau, celui de la liberté.
Il y a un mec pas mal assis juste derrière moi, je me tourne et lui fait un grand sourire tout en fixant ses mains en quête d'alliance mais si il en avait une cela ne ferait pas de différence .
Sans futur pas de culpabilité, pas besoin de me soucier des conséquences de mes actes
Il ne me reste que quelques heures mais ces heures seront plus intenses que les millions d'autres qui les ont précédées.
Connaître le jour de ma mort m'offre un privilège que peu de gens ont le loisir de connaître : celui de vivre entièrement dans le présent.
À la descente de l'avion, un homme marche près de moi, sa main glissée dans la mienne.