SI J'ETAIS UN LIEU CE SERAIT ....

Nadia Esteba

SI J’ETAIS UN LIEU?

Si j'étais... un lieu ? Que reste-t-il des endroits sacrés de la terre, pyramides éventrées, momies réveillées,même pour une noble cause trésors pillés des égyptiens aux incas à ULURU des aborigènes. Si j'étais... un lieu ? Ce serait aux alentours de cette colline bleue tête coiffée au dessus de Feuilla, cette Serre, avec sa calotte de pierre, comme un symbole de chance, elle balise mes espérances, mes pensées.

Ce serait au temps où les fils électriques reposoirs à hirondelles, couraient de rue en rue par deux, par trois de maison en maison , jetés transversalement, où suivant un chemin infini, dessinant la route des rêves . Ce serait au temps des plaisirs simples, la contemplation d’une légion de fourmis, colonnes en périple silencieux, soulevant la poussière avec des graines, de la paille, où dans l’enfer de l’été les cigales nerveuses buvaient en cadence la sève odorante des arbres d’or, l’herbe assoupie que le vent rasant révèle, le froid couteau d’une lune blessant le ciel où elle se noie. Je serais... Ce serait LA PALME ce lieu qui m'a profondément pétrie modelée et bercée, ce lieu qui m’a vu naître et déployer les ailes de chrysalide vulnérable. J’étais si bien entre deux êtres mon père ma mère, ils m’emportaient partout, parfois entre eux sur la moto, en bord de mer, là où l’iode est une odeur forte et où on ressent la force, le bruit sauvage et libre des vagues. De leur amour tous les jours, ils me faisaient renaître inventant une promenade où me faisant découvrir un fruit nouveau, un insecte, des étoiles de sel; c’est mon père surtout qui riait , bouche bien dessinée aux lèvres ourlées, sur de belles dents d’homme heureux. Je ne connaissais ni l’ombre ni le chagrin Mes yeux s’ouvraient, sur un monde mystérieux à la puissance animale. Le soleil radieux nous inondait dans la salle à manger cuisine où nous nous tenions. A la fenêtre une moustiquaire nous protégeait de la vue, des mouches et nuées de moustiques. Dans cette intimité nous nous sentions rassurés. Elle était là, avec son visage magnifique de poupée de porcelaine. Je m’accrochais à elle comme les vrilles abondantes de la SYRAH ou du cépage CINSAULT; d’autant qu’elle disait pour rajouter à ce sentiment d’éternité: «Nous sommes appuyés aux remparts». Flash arrière en noir et blanc. Elle, avec ses accroche cœur à la brillantine ROJAFLORE, c’était ma mère; Solaires, ambrés, étaient les effluves de son parfum sensuel et capiteux; elle cousait, avec application, la tête penchée avec un petit sourire et son pied chaussé de blanc, en mouvement trahissait une volupté, le plaisir qu’elle prenait à se projeter dans cette création où elle mettait tout d’elle même, appuyant en rythme lent et soutenu sur la pédale de la machine Singer ; tous les détails de ce petit meuble étaient jolis, avec la fonte joliment travaillée sur les côtés, sa roue comme un papillon, et sa musique au tempo régulier, apaisait les sens. Je revois encore ce tableau, pur et doux d’une banalité captivante, le fil qu’elle cassait avec les dents, fière d’avoir terminé un ouvrage. La maison de pierres avait alors comme toutes les maisons du village une «cave» en rez-de-chaussée. On y entrait par un portail de bois à deux battants le haut laissé bien souvent ouvert, pour l’aération, on ne sait car la liberté était totale et on ne fermait pas à clef. Cette clef noire en métal était énorme. Les femmes l’emportaient parfois, rarement dans la poche de leur tablier qui pendait d’un coup sur le côté. On laissait la pièce de plain pied presque vide avec quelques outils un réduit à charbon car on nous livrait les boulets en sacs et nous les déversions dans ce «crambot» sous l’escalier qui menait à l’étage supérieur où se tenait la famille. Au dessus, un grenier où s’entassaient une malle, des valises avec des photos, des médailles, des cartes postales, pas grand-chose semblait-il en apparence. Ici les distractions étaient naturelles et si une foire se présentait celle de Juin par exemple, je réclamais une glace un livre, des «chichis fregits», un bracelet une autre poupée, une montre, tellement cela était innovant à nos yeux ébahis et à Narbonne où nous partions pour une journée en expédition avec l’autobus, les cars AZALBERT ou une autre compagnie dont j’aurai oublié le nom. C’était vraiment un grand voyage; ma mère le préparait quelques heures en avance l’avant-veille même, et faisait en sorte de ne rien oublier des serviettes pour vomir au sac à main qu’il fallait chercher partout dans la maison. Là nous ne décollions pas le nez des vitres pour voir défiler le paysage, ce paysage qui encore et encore s’offrait à nous quand nous partions garçon et filles en pensionnat par les Courriers du Midi dans les lycées de Narbonne. Rosette ne pouvait pas venir elle restait à m’attendre. J’ai oublié l’attente j‘ai oublié les larmes.

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