Si j’étais un personnage de roman…

darquest

Voici un article à thème imposé, réalisé à l'époque pour MMCbooks.

      Si j'étais un personnage de roman, mon corps serait fait de papier blanc et mon sang d'encre. Quant à mon âme, elle dépendrait de celui qui aurait le désir de me toucher, me caresser et me découvrir. Peu importe qui. Un petit garçon au nez chargé, une fillette aux mains délicates et plus douces que le papier, un homme d'affaires véreux ou sérieux au possible, un grand-père aux cent regrets et aux mille envies. Tout ce dont j'aurais besoin, c'est d'une paire d'yeux qui lirait entre mes veines pour que mon âme se construise.

      En ouvrant cette carapace que serait pour moi la rigide couverture, le lecteur mettrait au jour mon monde, mes péripéties et mes amours. Dans sa tête se dessineraient alors un visage et un corps. Les miens. Je ne suis pas exigeant, même s'il pourrait trouver des indices de mon apparence dans mon sang, je lui laisserais la liberté d'en faire abstraction ou de les compléter à sa guise, pour que je lui ressemble le plus possible et que nous ne fassions plus qu'un, ou pour que je devienne son modèle le temps qu'il voudra.

     Alors qu'il tordrait les pages une à une, un flou de couleurs et de formes me laisserait penser que je suis un pirate perdu dans la tempête, un aviateur traversant le Pacifique ou un petit garçon perdu sur une lointaine planète. Je me détacherais du monde des objets, et par l'iris et la pupille j'entrerais pour voler un peu de son esprit.

Et je prendrais vie, une minute pendant la pause déjeuner, ou toute une heure sur le banc d'un parc quelconque.

     Qu'importe si mon corps est froissé, et mon sang peinturluré de fluo sur le banc d'une classe.      Qu'importe si de la terre vient salir mon blanc maculé après avoir été violemment précipité sur un sol boueux. Qu'importe, même, si je suis jeté au feu ou qu'on se serve de moi comme d'une cale sous une table pour être oublié à jamais, car dès l'instant où je prendrais vie, je serais immortel.

     Tantôt une idée dans le vent, tantôt un frémissement de pensée, parfois un modèle à suivre. Je ne serais plus un simple objet. Du moins pas pour celui qui m'aurait touché, m'aurait caressé et m'aurait découvert, créant ainsi mon âme.

     Et, le soir, lorsque la lumière est tamisée et le silence total. Le lecteur se mettrait au chaud dans son lit douillet, me prendrait quelques instants entre ses doigts et entrerait à nouveau dans mon monde pour savoir qui je suis, jusqu'à la dernière page, jusqu'à la dernière partie de moi.

Il joindrait mes carapaces, le regard lointain, fixe sur le plafond ou le lustre en papier. Il aurait tout oublié de sa journée pénible, de ses tracas quotidiens, de ses amours manqués, de ses ventes perdues, de son jouet cassé, de son écorchure au genou.     

     Enfin, il fermerait les paupières, un léger sourire sur le coin des lèvres… à peine visible. Il s'endormirait, mon corps sur son torse, en pensant à ce que j'aurais été. Il revivrait mes aventures en m'imaginant, dans un flou de couleurs et de formes plus précis que les fois précédentes, tel qu'il m'aurait lui-même construit.

Il s'imaginerait être moi, je serais lui, et se dirait :

« Si j'étais un personnage de roman… »


A.W.D.

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