SINE CAELO
Sébastien Bouffault
SINE CAELO
Serpent de fer crissant dans des galeries sombres
Ces deux lueurs rouges disparaissent dans l'ombre.
Noir de monde, monstre rapide et intrigant,
Forgeron, bats le fer dans ton antre béant.
***
C'est un train infernal qui m'amenait au travail, dans cette vie sans lumière. Nous travaillions dans les profondeurs d'une mine pour y récupérer du sel. C'est l'or blanc. Moi j'aurais bien donné bien tout mon or pour goûter un peu à la liberté. Je n'avais jamais vu l'horizon. Je ne pouvais même pas m'imaginer ce que c'était. Une ligne entre le ciel et la terre. C'est quoi le Ciel ?
Notre ascenseur ne montait jamais plus haut que l'entresol mais il descendait toujours davantage. Il faisait de plus en plus chaud. Il faisait de plus en plus noir.
Qui pourrait me dessiner,
Me représenter le ciel ?
Me décrire ses couleurs,
M'en donner un petit bout ?
Comment puis-je imaginer,
Moi qui n'ai vu que du sel,
Une pareille splendeur
Dont on ne voit pas le bout ?
Je suis allé à l'infirmerie hier. J'avais de sérieux maux de tête et les yeux me piquaient atrocement. Le médecin m'a donné un jour de repos. J'en ai profité pour faire un tour dans la mine. Je ne voulais pas me reposer, je ne voulais pas penser, je ne voulais pas être malheureux une fois de plus. Alors, j'ai pris l'ascenseur et suis descendu au niveau 38. De grosses foreuses extrayaient des blocs de sels monstrueux que des pelleteuses, après les avoir fractionnés, portaient dans des wagons d'acier. Je ne tardai pas à faire demi-tour car la machine dégageait un halo de poussière irritant et mon mal de tête commençait à devenir insupportable. J'empruntai le tunnel B8 pour aller au réfectoire où je ne vis personne attablé. Je commandai un verre de coca au patron. Je ne fus pas en mesure d'entamer la moindre conversation avec lui tant j'étais fatigué. Je dus me résigner à regagner mon compartiment. Je pris quelques cachets pour m'aider à dormir.
Tu es si loin, mon Souvenir.
Je crois que j'ai déjà vécu.
À la recherche d'un sourire,
Je cherche dans ma tête nue.
Je ne distingue pas grand chose.
Penser me fait si mal au cœur.
À la recherche d'une rose
J'espère trouver mon Bonheur.
Je ne vois que du noir et blanc
Adieu les rêves colorés !
Le blanc du sel, le noir des gens,
Tout cela me fait déprimer.
Il me semble que j'aperçois
Briller au fond d'un long tunnel
Deux grands yeux verts, joyaux de roi,
Saphirs, rubis ou arc-en-ciel.
Mais pourquoi virent-ils au rouge ?
Ce sont les phares de mon train.
J'ai l'impression que rien ne bouge,
Alors j'attends jusqu'au matin.
J'ai repris mon travail. Je m'occupe de l'éclairage de la mine. J'arrive à surveiller deux niveaux par jour. Mon travail est devenu moindre depuis que les hommes peuvent voir dans le noir. J'éclaire la mine afin de ne pas faire oublier aux hommes que la lumière existe. Je ne suis pas électricien, je suis historien ou psychologue.
Lanterne de la vie,
Tu dois brûler pour moi,
Pour brûler mon ennui
Et me chauffer parfois.
Il fait si chaud mais j'ai si froid.
Viens près de moi, console-moi.
Je peux voir dans ta flamme
L'ensemble des couleurs,
Mes espoirs et de l'âme
Les profondes douleurs.
Il fait si chaud mais j'ai si froid.
Viens près de moi, console-moi.
J'essaie de te rendre plus vive,
Réconcilier avec les hommes
Mais tu t'éteins, force inactive,
Comme tous les buveurs de rhum !
Les ampoules grillent très souvent. Elles ne supportent pas la chaleur excessive de la mine ni les vibrations causées par le déplacement des machines. Les galeries ne cessent pas d'être creusées, il fait de plus en plus chaud.
Il fait si chaud mais j'ai si froid.
Viens près de moi, console-moi.
Les installations luminaires n'auront bientôt plus lieu d'être.
Ce matin, il y avait une note sur le tableau d'affichage de mon secteur d'habitation. Elle nous indiquait que l'une des 15 foreuses était tombée sur une couche de cristal. On décidait de faire venir de la surface de la terre un nouveau modèle de foret capable de résister à cette roche. On ouvrit bientôt de nouvelles galeries mais on s'aperçut bien vite que la couche de cristal s'étendait sur presque tout l'ensemble du niveau d'exploitation 38-39.Alors, les ouvriers se concentraient désormais sur l'entretien des machines.
Un silence inquiétant
Me perce les oreilles.
Un sifflement aigu,
Du fin fond de la mine.
L'inconnu sentiment
La crainte sans pareil,
De quelque espoir déchu
Qui a crié famine !
Une nouvelle machine plus puissante doit être livrée demain. Elle viendra de la surface de la Terre. Elle vient du Grand Jour. J'ai l'espoir de pourvoir monter au niveau 1 afin de voir un peu du ciel.
J'ai besoin de ce ciel
Il me semble étouffer.
Je veux voir l'horizon
Et voguer sur la mer.
Il me manque les ailes
Pour pouvoir m'envoler
De l'odieuse prison
Qui cause ma misère !
J'ai pu aller au niveau 1, là où il fait si frais. J'ai prétexté une panne du système d'éclairage de la galerie D-nord. J'ai attendu plus de deux heures avant d'entendre s'ouvrir le grand sas : une gigantesque bouche d'égout coulissante surplombant la dite « cheminée de la mine », un gouffre immense profond d'une vingtaine de niveaux servant de bouche d'aération à l'ensemble du réseau de galeries.
Le sas s'ouvrit tout en silence. Un objet noir, pesant, métallique et monstrueux apparut aussitôt. Il descendit le long des parois de la cheminée, très lentement. Je finis enfin par voir les câbles très épais qui portaient la machine puis la grue dont les pieds étaient disposés tout autour du sas, sur la Vraie Terre et dans le Grand Jour.
Je ne vis que du noir.
Je ne vis pas de ciel.
Je perdis tout espoir
D'avoir un jour des ailes.
J'ai seulement senti un souffle frais sur ma joue. Cela n'est peut-être pas si mal pour moi qui étouffe tant. Il n'y a plus de ciel, il n'y a que du vide. Les couleurs ont disparu. L'humanité a perdu sa raison de vivre. Je m'en allai dans mon compartiment. J'avalai plusieurs cachets afin de pouvoir m'endormir et noyer dans ma tristesse dans un sommeil lourd et monochrome Le lendemain, je me remis au travail.
La nouvelle foreuse appelée BRECA8 a ouvert un nouveau passage à travers la couche de cristaux. Il me faut disposer des lampes le long des parois des nouvelles galeries.
J'ai descendu les échelles récemment posées pour pouvoir accéder au niveau 40. la machine avait bien avancé.
Je pénétrai dans la galerie A-sud, la seule galerie creusée à ce jour au travers du cristal. Je fis les raccordements et je vis que les lumières se reflétaient dans les parois comme un jeu infini de miroirs. Tels des prismes, les cristaux recomposaient la lumière en de nombreux dégradés de couleurs. Je vis des couleurs inconnues, des couleurs dont je n'aurais jamais imaginé l'existence. Je m'amusai à leur trouver un nom : liberté, espérance, tendresse. L'équipe scientifique de la mine descendit pour essayer d'expliquer le phénomène. Ils établirent un rapport à ma direction en affirmant qu'il s'agissait très vraisemblablement d'une réaction chimique gazeuse pouvant entraîner à terme la production d'un gaz toxique appelé COS3H. On me demanda donc de disposer des filtres rouges sur l'ensemble des lampes afin de ne pas déclencher ce soi-disant incident.
La vue de ces couleurs
Me redonne l'espoir.
Je crois en le bonheur
De réchapper au noir.
J'allai voir ma direction en leur expliquant que je souhaitais que les filtres soient retirés et que la lumière blanche ne présentait aucun danger, ayant été moi-même exposé au phénomène. On ne m'écouta pas. On vint m'enfermer dans une cellule pour me faire passer, soi-disant, des tests médicaux susceptibles de montrer ma radioactivité.
La cage se resserre :
Le clapier à lapin.
Il valait mieux me taire,
Mon cœur a du chagrin.
Je veux montrer aux autres
L'étendue des couleurs,
Et me faire l'apôtre
De ce petit bonheur.
La cellule se trouvait au niveau 25, couloir C de la galerie F-est. Je m'endormis dans une cellule minuscule. Des hommes revêtus d'une combinaison épaisse et blanche m'ont mis dans une machine. Cela a bien duré une demi-heure. On m'a remis dans ma cage.
Deux jours passèrent ainsi. Le médecin en chef vint me voir et me dit que j'étais pas irradié.
Une heure après, mon chef me convoqua en me demandant de bien vouloir montrer un peu plus de discipline et de ne plus jamais remettre les pieds au niveau 40. je n'insistai pas et je finis même par croire en la théorie d'une éventuelle échappée de gaz toxique.
Il faut parfois tout oublier
Pour ne pas avoir à souffrir.
Ne plus penser, ne plus rêver
Aller travailler sans rien dire.
Je me résigne à vivre ainsi,
À vivre comme tous les hommes.
À m'isoler dans mon abri
Attendre que sept heures sonnent.
Je ne peux pas m'élever
Contre la grande fourmilière
J'aurais voulu pourtant montrer
À tous, l'éclat de la lumière.
La foreuse était venue à bout de la couche de cristaux et les foreuses de l'expansion ouest du niveau 38 étaient rencontrées en contact avec un ZHS : une zone d'habitation souterraine : d'autres personnes, une autre mine, d'autres galerie, la même culture. Nos deux foyers s'associèrent pour former une immense mine de sel.
J'explorai les nouveaux couloirs, les nouvelles infrastructures : toutes les mêmes : la grande cheminée principale autour de laquelle gravitent quatre galeries principales portant chacune le nom d'un point cardinal. Les jours passèrent, les semaines et les mois. Les foreuses commençaient la galerie 45. Comme tous les ans, on présenta les enfants à la société minière. Les femmes vivaient retirées dans un foyer à part au niveau du dixième niveau, un secteur interdit aux hommes. Nous ne pouvions pas savoir qui étaient les pères.
Je suis souvent intervenu au dixième niveau. C'est là qu'est installé le générateur électrique principal de la mine. Je suis souvent passé devant la porte blindée qui ouvre sur le foyer des femmes. C'est une porte qui ne s'ouvre presque jamais. Le foyer vit en autarcie et l'on ne sait pas vraiment ce qui se passe à l'intérieur.
Hier, j'ai cru entendre un cri de femme, un cri de souffrance. Je tendis l'oreille contre la porte afin de mieux entendre. Les voix se rapprochaient. Je me reculai et la lourde porte s'ouvrit. Je me faufilai et disparus dans les câbles du générateur.
Un homme la tenait
Ne cessant de gémir,
Elle se débattait :
Elle voulait s'enfuir.
La grande porte blindée se referma derrière eux. Je ne sais pas ce qui me prit, je me lançai sur l'homme et commençai à l'étrangler.
Ma rage était si grande,
Ma soif de liberté,
La vue de l'injustice,
Les cris insupportables.
L'homme ne tarda pas de s'écrouler sur le sol. Je pris la femme par la main, trouvai encore la force de lui faire un sourire puis nous nous dirigeâmes tous les deux vers l'ascenseur. Il nous monta au niveau 1, tout près de la grande cheminée, quelques mètres en dessous du Grand sas. Je me mis à crier de toutes mes forces que je voulais quitter la mine et aller à la surface. Je serrai la main de la femme qui m'encourageait, par ses sourires et ses larmes, ma révolte désespéré. Les milices ne tardèrent pas à venir et nous fûmes bientôt encerclées. Je menaçai de me jeter dans la grande cheminée mais une voix m'interpella soudain.
Que veux-tu à la fin X27 ? Veux-tu semer la zizanie dans toute la mine ? Que fais-tu avec cette femme ? Réponds !
Je lui expliquai tout ce qui s'était passé, dans les moindres détails.
-Il n'y a pas d'autres mondes que celui de la mine. Le grand Air est devenu irrespirable. Il n'y a plus personne sur la terre. Quant à ton ciel, il n'a jamais existé.
Je menaçai à nouveau de me jeter dans le vide.
Arrête ! Ne fais pas cela. Es-tu devenu complètement fou ?
Un suicide aurait été pour la mine un scandale retentissant, il aurait détourné l'attention des travailleurs.
Cela fait trop longtemps que tu nous bassines avec tes idées de liberté. Je vais te donner ce que tu veux, à toi et à ta copine, mais à une seule condition. Ne remets jamais plus les pieds dans cette mine, tu as compris ?
J'allais connaître le Grand Air,
J'allais connaître la surface.
La grande cheminée vrombit soudain. Les grands ventilateurs du niveau 15 se mirent en marche et le sas s'ouvrit. Deux soldats vêtus de masques à oxygène nous tenaient par l'épaule. J'entendais à peine la voix de la milice déclarer à toute la mine : « C'est ainsi que les ingrats sont punis » Tout à coup, les soldats nous poussèrent dans la cheminée. L'air propulsé à travers celle-ci nous fit monter bien au-delà du Grand sas. Il se referma et je tombai par terre.
Mes oreilles me piquaient et mes yeux me brûlaient. D'autre part, je n'arrêtais pas de tousser tant l'air était inapproprié. Je compris que j'étais au Grand Air.
Après dix bonnes minutes de torture, je pus enfin ouvrir les yeux. Je levai la tête et vis une montagne de sel au-dessus de moi. C'était un plafond immense. Je n'arrivais pas à me rendre compte de la hauteur de l'édifice.
Soudain, cette banquise saline se fissura et je pus distinguer le bleu du ciel.
La femme qui avait subit le même sort que moi gisait toujours par terre, sur le ventre. Je m'approchai d'elle et, comme par miracle, elle reprit conscience.
Je m'assis près d'elle et pris sa tête dans mes bras. Elle me demanda ce qui brillait au plafond. Je lui dis que c'était la liberté, que c'était le ciel, que nous avions réussi, que nous allions être heureux.
Sommes-nous seuls, me demanda-t-elle soudain ?
Je ne sais pas, répondis-je un peu embarrassé.
C'était un nouveau monde à découvrir. Il n'y avait que du sable, à perte de vue. Le Grand sas en était déjà tout recouvert. Un petit vent soufflait très fort. Nous marchâmes des heures durant dans ce sable chaud. Le soleil à son zénith. Je ne me lassais pas de le regarder lorsque je marchais. Comme il était beau, comme il rayonnait. Je n'aurais jamais pu imaginer tant d'éclat. Nous marchâmes encore une heure ou deux. Mon amie n'en put bientôt plus et s'écroula sur le sol brûlant. Je la pris dans mes bras, usant des dernières forces qui me restaient. J'avançai toujours dans la même direction, les yeux fermés tant ces derniers me piquaient. Soudain, ma tête heurta quelque chose. Je tombai à terre. Lorsque j'ouvris les yeux, je vis une tour immense à mes pieds. Je ne pouvais pas distinguer le toit de l'édifice. Il semblait toucher le ciel.
J'entrai par ce qui me semblait être la porte principale. Je vis aussitôt deux gardes s'interposer devant moi en me demandant ce que je voulais. Je leur fis comprendre d'un signe de la tête que mon amie avait perdu connaissance et qu'il me fallait tout de suite un médecin.
C'est impossible Monsieur. Je ne peux pas vous laisser passer. Personne ne doit entrer dans cette tour.
Je leur demandais alors de faire venir un médecin.
C'est impossible Monsieur, personne ne doit descendre de cette tour. Sauf les condamnés à mort.
Je reconnus soudain le bruit d'un grand ventilateur d'aération. Le soldat me sourit en enlevant son casque.
Ça, c'est le ventilateur principal. C'est une tour formidable vous savez, on est en train de construire le 183ème niveau.
FIN
Très vivant, très inquiétant en même temps. On se croirait dans du Zola !
· Il y a plus de 8 ans ·Sy Lou
Du Zola ? Vous me flattez ! Oui, un petit côté naturaliste peut-être. Avez-vous vu le film de Georges LUCAS "THX1138" ? C'est un peu cette atmosphère que j'ai cherché à recréer ici.
· Il y a plus de 8 ans ·Sébastien Bouffault