SIXIÈME SENS

Isabelle Revenu

Paulo m'avait prévenu que ce serait long, méticuleux et sans appel en cas d'échec. Vu sous cet angle, j'ai échoué ...

 

J'ai mélangé les tuyaux et fait à ma manière. Dès que le PMU a ouvert son store, j'ai misé mon dernier bouton de culotte sur LoveMeLikeThere'sNoTomorrow, espérant que le dieu des Courses nous fasse confiance. A mon champion d'abord - champion, mon cul ! - et à mon sixième sens ensuite. Sixième sens qui m'entraîne souvent dans les trente-sixièmes dessous. Ce doit être mathématique. Un multiple à la con.

Pourtant, toutes les cartes étaient dans ma main. Gauche sans doute. 

Je devais parier sur un autre bourrin sous la recommandation expresse (contre un pourcentage gourmand) d'un voisin de Paulo, cousin par mésalliance d'un ami du père d'un client à lui et au final, j'ai tout misé sur mon favori.

J'ai commandé-sur-ardoise une bibine bien fraîche au comptoir ensuite je suis allé m'installer, tendu comme une corde d'arbalète à la table huit, les oreilles vissées sur la progression de la course entre deux zgrouitchhh. J'ai encouragé la bête de tous mes décibels. 

De placée dernière, elle est arrivée ... avant-dernière. C'est ce crétin de Libellule mené bon train par Yvan Touze qui a remporté la course et c'est sur lui que j'aurais dû miser mes dernières cartouches. 

 

A la table huit du bar des Amis, je n'ai trouvé personne. Ni mon partenaire de java, ni mon contact attitré en cas d'urgence. Par contre y avait Paulo, passablement agacé et tapotant ses ongles sur le zinc mat quand j'ai commandé un dernier demi.

 

- Alors m'sieur Sailor, on est encore en veine de pas-de-chance ? Z'avez pas écouté mon informateur à c'que je vois. Je suis navré de prendre les mesures qui s'imposent, votre ardoise est si conséquente. Faut payer ce que vous devez et pas dans  une semaine. Vous savez, je connais un livreur de pizzas qui fréquente la nièce de l'amie de la concierge d'un redresseur de torts. J'aime pas menacer mes clients mais vous me devez une belle somme et j'en ai plein la tête que vous m'endormiez tous les lundis avec de belles promesses. J'ai un commerce à faire tourner et si y en avait que des comme vous, je pourrais mettre illico la clé sous la porte. 

 

- Je sais Paulo, je sais ... 

 

Ce que je savais c'est qu'avec toutes les ardoises que Paulo m'accordait depuis ... pfiouff, j'aurais pu monter une micro-entreprise de couvreur-zingueur. Mais je sais aussi qu'un jour, LoveMeLikeThere'sNoTomorrow battra tous les autres tocards avec ou sans tuyaux.

Ah ça n'a pas fait un pli. Il m'a coupé les vivres, supprimé mon crédit-sur-ardoise et fermé la porte de sa taule pour un temps indéterminé. 

 

J'vais voir si Mimile est at home. P'tête que si sa bourgeoise est aux courses - chez Adli Padli - on ira s'en jeter un dernier qu'il mettra sur son ardoise chez Paulo.

Pauvre Paulo, il devrait changer de casquette. Tuyauteur-plombier parait que c'est un métier d'avenir.

 

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