Skoenig Conspiracy

hannibai

Voila, mon premier gros travail. J'a commencé ce roman il y a quelques mois, en avançant un peu chaque semaine. C'est un thriller assez sombre, et loin d'être terminé, rédigé à la première personne. Le roman à subi de nombreuses modifications depuis, il fait aujourd'hui près de 210 pages sur papier, mais je n'ai pas le courage de tout retranscrire ici, navré... La version apier comporte plus de détails, des remaniements pour rajouter un aspect plus visuel, ainsi que la suite, bien évidemment :). Si un jour, ce roman est publié, je ne changerai pas le titre, ainsi vous saurez à quoi vous attendre!

C’est marrant, un moustique. Tous les défauts que je déteste réunis en une seule petite créature. Ça fait du bruit, ça laisse des traces, ça énerve, et pourtant, c’est petit et chétif, ça ne fait pas peur. J’en ai des dizaines sur mon pare-brise.

Je suis heureux de ne pas être un moustique…

Il m’aura fallu quelques heures de route pour me retrouver dans cet état. Crevé au point de penser à des trucs aussi stupides que les qualités et défauts des moustiques.  Je ne sais pas si tout le monde est dans ce cas, si tout le monde finit par penser à des conneries dès que la fatigue commence à se faire sentir. Il faudrait que j’en parle à Sandra.

Pour le moment, je roule, concentré sur le long serpent d’asphalte qui mène à Paris. Je compte, machinalement ; le temps entre 2 bornes kilométriques… 22 secondes… 22 secondes… 22 secondes… Une régularité de métronome. Au loin, le soleil se couche, j’ai toujours trouvé ça magnifique. Des couleurs incroyables, irréalisables, comme un gros smoothie divin. Brusque retour à la réalité, un appel de phare.

Les gens sont fous, sur les routes. Encore un qui essaie de me doubler, je suis pourtant à 130. Tout ça pour arriver un peu plus tôt, il prend le risque de mourir sur les routes. C’est stupide, il y a tellement de choses qui peuvent nous tuer, de belles choses, pourquoi vouloir se risquer à crever dans une boîte en tôle ?

Je ne comprends pas tous ces gens. J’aimerai, j’aimerai les comprendre, pouvoir leur parler, mais ils me jugeraient trop ailleurs, ils penseraient que je n’en ai rien à faire. Mais je n’y peux rien, toutes ces jérémiades, ces plaintes, même les discussions au quotidien, tout ce que ces gens peuvent raconter, c’est d’un banal. Leurs problèmes de cœur, de travail, de famille, c’est tellement pathétique que ça me donne envie de vomir.

Tiens, j’ai une tâche sur mon col. Une belle chemise Hugo Boss, souillée par une petite perle rouge. Il faudra que j‘invente une nouvelle recette à base de fruits rouges pour expliquer ça à Sandra.

Et puis, tant qu’à faire, il faudra que j’arrête d’enterrer mes contrats dans le Jardin. Si on finit par prendre un chien, j’aurai des soucis.

Tiens ? Une voiture de police ? J’ai dû aller un peu trop vite… Obtempérons, je n’ai pas tellement intérêt à me faire remarquer.

«- Bonjour Monsieur, je peux voir les papiers du véhicule ?

-Bien sur… Je roulais trop vite ?

-Oh non, mais on a eu pas mal de souci avec des trafiquants de drogue, vous savez, ces Go Fast, et on a repéré une voiture comme la vôtre. Ce n’est pas commun, c’est engins, donc dans le doute… On contrôle !

Sa voix m’insupporte. Je n’ai pas tellement de préjugés sur les policiers, ni même pour un boulot en particulier, mais j’ai une aversion particulière pour certaines personnes qui ont des défauts qu’elles peuvent corriger. Et là, j’ai un parfait exemple. Gros, gras, suintant de partout, sûrement frustré, ahanant comme un bœuf à chaque pas pour soulever ses 130 kilos… Répugnant. J’esquisse un sourire.

-Je comprends tout à fait. Si les papiers sont en règle, je peux y aller ? Je reviens d’un séminaire de 2 semaines, j’aimerai bien rentrer pour voir ma famille.

-Un dernier petit truc, je peux voir votre coffre ? »

Aïe… Le coffre. Evidemment, pile le jour où je devais ramener une preuve. Bon, allons-y, de toute façon, il fallait bien que ça arrive un jour

4 Mois plus tard

« Mesdames et messieurs les jurés, un peu de calme je vous prie. Le procès de Thomas Skoënig est maintenant ouvert. Tout d’abord je tiens à rappeler les charges qui pèsent contre mon client, coupable présumé de 87 meurtres avec préméditation en France et plus d’une cinquantaine d’autres dans le reste du monde. Monsieur Skoënig, vous avez plaidé coupable, si je ne m’abuse ?

C’est marrant… Tous ces gens, ces badauds, venus pour assister à ma mise en pièce par les médias, et par la justice... Les familles des victimes, notamment. Ironie du sort, parmi elle, il y a de tout, des victimes collatérales, de simples connaissances, des commanditaires. Il y a même cette vieille dame, qui m’avait demandé de tuer son mari en maquillant ça en suicide, et m’avait proposé de me payer en nature. 86 ans, non merci, j’ai du mal avec les produits périmés. Elle n’a pas l’air contente, malgré le fait qu’elle ait pu gagner près de 2.6 millions grâce à moi. Tsss… il ne faut jamais aider son prochain. Et puis il y a Sandra, qui ne comprend pas. Je ressens un pincement au cœur, c’est la seule que je vais regretter. Je lui souris, elle détourne le regard.

-Monsieur Skoënig ?

-Hmmm ?  Oh oui, tout à fait.

-Pour les 86 accusations ?

-Techniquement, il y en a 212, mais comme je l’ai expliqué à vos agents, vous n’auriez pas pu mettre la main sur toutes les preuves

-Ce doit être de l’ironie… La cours réclame donc la peine maximum, soit la prison à perpétuité.

C’est juste. J’aurai appliqué la même peine. La plupart des visages expriment la satisfaction, même le mien. Je prends le temps de fixer la juge dans les yeux, avant de me lever pour être envoyé dans l’oubli. Sans doute un des procès les plus rapides et les plus expéditifs dans l’histoire de la justice française. Adieu Sandra. Adieu Liberté.

5 jours plus tard.

« -Messieurs, bienvenu à  la Maison centrale de Poissy. La plupart d’entre vous sont ici pour 7 à 10 ans, mais pour les deux qui ont pris perpet’ , ne vous attendez pas à plus de gratitude pour notre part. Je sais pourquoi vous êtes ici, tous, et c’est pas beau à voir. On va procéder simplement, déjà, vous allez passer aux douches, puis, on vous filera vous tenues règlementaires. Ensuite, on vous expliquera comment vont se dérouler les prochaines années de votre vie ici. »

C’est moche. Passer d’un beau duplex dans les quartiers  chics à un taudis pareil… Les murs sont gonflés d’humidité, ça pue, on entendrait presque les plaintes des autres détenus à travers les murs. C’est hideux… Oh, on me parle.

« Toi là. C’est quoi ton nom ?

Skoënig. Thomas Skoënig. »

Des murmures, dans mon dos. Au moins, il y en a qui savent qui je suis.

« -Ça t’intéresse pas, ce que je raconte ? Tu regardes quoi, avec tes yeux de triton ?

-Tout… Les murs, la peinture. La qualité déplorable de vos locaux… 

-Tu m’as l’air d’être drôle, toi ! Tu vas passer 2 ou 3 jours au mitard, ça te fera les bras !

-Le mitard ? Vous voulez dire que vous avec un truc encore plus immonde que cette salle ? »

J’ai donc découvert le mitard. Une pièce vide, qui pue, sans fenêtre, sans lumière. Parfait pour méditer.

J’y passe 2 jours, sans bouger. Je réfléchis, à toutes les promesses de mes commanditaires. M’ont-ils oublié ? Tiendront-ils leur parole ? Je m’en fous… Ici ou ailleurs, tant que j’ai à manger, ça me va.

En parlant de manger… Même la nourriture est ignoble. Je m’imagine la scène, dans mon estomac, mon dernier vrai repas étant un civet de lapin aux fines herbes, qui doit être en train de se dissoudre avec leurs purées artificielles. Ca n’était pas dans le contrat…

« -Ca va mieux, mon gaillard ? T’es calmé ? »

Il ne faut pas parler. Non pas par insolence, mais surtout parce que je n’ai pas touché une brosse à dent depuis trois jours, et même le dernier des gardiens de prison mérite qu’on ne lui parle pas avec une haleine pareille.

« Allez, tu vas découvrir ton petit camarade de cellule ! »

Charmant. Mon petit camarade doit être serbe, ou en tout cas d’Europe de l’Est. Une armoire à glace, suant comme un porc. Tout un programme. Je pose mes affaires sans un bruit, juste le temps de m’allonger sur un vrai matelas. Un bref salut de la tête, et je peux enfin m’occuper de mes dents. Le dentifrice est ignoble, autant me filer de la poudre abrasive. Mais au moins, je ne sens plus.

« Oui, ça va mieux. Vous devriez passer du désinfectant, il y a des cafards dans votre mitard. Et pour toi, je m’appelle Thomas, et je suis accusé d’avoir tué 86 personnes mais en vrai, j’en ai tué 212. »

Voilà. J’ai deux poissons rouges en face de moi, il ne manque que les bulles. Bloup, bloup.

Les premiers jours sont plutôt agréables. Pas de bagarres, pas de viol collectif sous les douches, rien de ce qu’on pouvait raconter à l’extérieur n’est vrai. Et j’ai eu une agréable surprise, mon camarade de cellule parle français. Il a l’air….Effrayé, quand il me parle. Je suis donc si répugnant ? Je n’ai jamais compris cette aversion envers les tueurs. Je ne sortirai pas les phrases cliché habituelles, du style « tout le monde finit par mourir », ou autres, mais je n’en pense pas moins. C’est un métier comme un autre, on nous donne une tâche, on l’accomplit, on est payé, c’est tout.

Dès la fin de la semaine, il me parle plus librement… On en arrive à la question tant redoutée.

« Dis… Ca fait quoi de tuer quelqu’un ? Je veux dire… Tu as ça sur la conscience ? Tous ces meurtres ?

-Tu te souviens de chaque animal que tu as mangé ?

-Non…Non, bien sûr, mais c’est pas pareil… C’est un être humain.

-C’est ça, ce détail qui fait la différence entre toi et moi. Tu fais une différence entre être humain et animal. Pour moi, ce sont des êtres vivants, sans plus. Si on réussit à oublier ses sentiments, on peut vivre avec.

-C’était comment ta première fois ? Je veux dire, ton premier meurtre ?

-… Mon premier meurtre… Ça ne me rajeunit pas. J’avais 21 ans, j’étais en 2ème année d’école de commerce. On devait être en 1999. J’avais rencontré une fille super, je ressentais presque de l’amour pour elle, mais elle, elle n’était pas heureuse. Elle était sans cesse harcelée par un ami de son père, et au fur et à mesure, j’ai compris qu’il y avait eu quelque chose entre eux. Quelque chose de non consenti. On a fini par sortir ensemble, et un soir, ou elle avait un peu bu, elle s’est plus ouverte que d’habitude, et elle m’a expliqué qu’elle aurait voulu qu’il meure. Et contre toute attente, au lieu de la consoler, ou de lui parler, j’ai souri. Je me suis dit « Oui, pourquoi pas ? Il ne t’embêtera plus. » Ça a été mon premier contrat moral, sans prime, sans vraie demande… Je ne connaissais rien au corps humain, aux méthodes de meurtre, tout ça. Mais la télé nous abreuve de tant d’horreur, on sait toujours comment on peut tuer. Cet homme s’appelait Eric, je n’ai jamais connu son nom. Je l’ai suivi, un soir ou il était venu embêter Karine, à son habitude. Il s’est garé, est rentré dans un immeuble, j’ai joué le tout pour le tout. J’ai appelé pour qu’il me tienne la porte, on a pris l’ascenseur, je l’ai planté. Il était tellement stupéfait qu’il n’a pas crié, et c’est une chance. Il devait être 22h30, les couloirs étaient vides, j’ai fini comme j’ai pu en l’égorgeant. J’ai toujours été malin, en tout cas plus que la moyenne, j’avais un long manteau, à la Derrick, je l’ai juste retourné. J’avais un bonnet, pour ne pas laisser de cheveux, et un col roulé remonté, pour la salive. Je doute que la police ai pu trouver quoique ce soit en rapport avec moi. Sa mort est parue 2 jours plus tard, dans un petit coin de journal. J’avais tout prévu au point d’envoyer une lettre factice de sa part à Karine, lui proposant de le rejoindre au Brésil, s’installer avec lui. Elle avait ri, puis avait jeté la lettre. J’aimais la voir rire. Ensuite, tout est allé très vite, j’ai cherché à me faire connaitre tout bêtement, en voyant qui avait besoin de mes services, le bouche à oreille a fait le reste. Je ne me suis pas rendu compte de la vitesse de mes actes. En 6 mois, j’ai tué 13 personnes, dont 10 sur contrat.

-Et… C’est bien payé ? Je veux dire, tes contrats, tu fais pas ça pour l’honneur ou une connerie comme ça ?

- Non, on n’a pas vraiment d’honneur dans notre milieu. Juste des petits… Codes. On ne tue pas d’enfants, on ne tue pas nos amis, ou notre famille. Et pour les tarifs, bah c’est un peu une profession libérale, selon le cas, je varie, mais généralement, c’est entre 30000 et 5000€ l’affaire.

-50000 ? T’es sérieux ?

-Parfois plus, parfois moins. Le prix d’une vie, et d’un travail de qualité

-T’es malade… On dirait que tu en parles comme d’un artisanat.

-C’est un artisanat… Un savoir-faire qu’on améliore sans cesse. Il faut toujours être au top, découvrir de nouvelles méthodes, savoir les forces et les faiblesses. On est pas des tueurs en série, qui opèrent sans réfléchir à autre chose qu’au crime.

                Je garde mes veilles habitudes, je me fais mes petits plannings. Je me lève à 6h30, mon colocataire ronfle encore. 150 pompes, 150 abdos, 150 tractions. Petit déjeuner, je mange presque rien, trop de crampes, trop mal partout. Je passe ma vie à la bibliothèque de la prison, on a accès à internet et à des dizaines de romans. Toujours les trois mêmes détenus, assis aux mêmes places. Je ne sais même pas comment ils s’appellent, je m’en fiche un peu, juste pourquoi ils sont là. Un violeur, un homicide involontaire et un pédophile. Il doit être relâché dans 2 jours, après avoir purgé sa peine de 12 ans. Je hais les pédophiles. Il faut toujours se fixer des règles, une forme de justice personnelle, et j’ai toujours refusé de toucher à des enfants. Ils sont trop innocents, ils ne méritent pas de mourir, et encore moins de perdre leur enfance, hantés par des cauchemars avec ce vieux débris. Cinquième fois de ma vie que je me fixe un contrat. Je suis le commanditaire, je suis l’exécuteur, il est la victime tragique.

La première chose à faire, avant même de penser à tuer quelqu’un, c’est de se renseigner sur sa bible. Paraître amical, gentil, juste pour comprendre son fonctionnement. Et là, aujourd’hui, j’ai en face de moi un gagnant. Je le sais, à voir son double menton, sa manière répugnante de tourner les mages de son magasine en humidifiant ses doigts avec sa salive nauséabonde. Je le reconnais, il prend toujours de l’andouille en rab à la cantine. Mais plus que tout cela, ce qui m’achève, et l’achève indirectement lui aussi, c’est sa lecture. Tuning Mag. Pourquoi ? Pourquoi mettre de telles personnes sur Terre ? Une fois de plus, j’esquisse un sourire, et je m’assois en face de lui. Après, c’est une question de confiance et de mise en scène.

« -Tu fais du tuning ? Enfin, je veux dire, t’as une caisse tunée ? Ou tu vends des pièces ? »

Il faut toujours commencer par une phrase de ce genre. Pas agressive, mais pas non plus trop amicale. Juste curieuse, pour faire croire qu’on éprouve une quelconque intérêt a peindre des flammes vertes sur une voiture bas de gamme.

« -Ah non, moi je tune ma caisse. Le vendeur, c’est Jojo, un pote à moi. Et regarde ça ! »

En guise de marque page, une photo d’une voiture. Enfin, voiture. Un engin roulant déguisé en perroquet.

-C’est mon bébé ! Un bolide, j’ai fait gonfler le moteur, et la peinture, c’est made in USA, ça prend pas la poussière ! Dans 2 jours, je la récupère, je vais aller faire un tour du pays avec ! C’est Jojo qui vient me chercher dedans, à la sortie de la prison

-Woah, elle est belle

Le mensonge me brule presque les lèvres, tout comme la vue de l’engin, et la perspective que cet énergumène puisse la conduire sur les routes de France et de Navarre, me fait encore plus mal. Enfin bon, plus qu’une question à poser.

« -C’est quel modèle ?

-Modèle ? Aaah, euuuh, une Mazda, j’crois bien. Une RX8 !

-C’est là-dedans que t’as violé le gosse ?

-… »

La phrase m’a échappée. Peu importe. Le regard, chargé d’amertume et de rancœur, vaut tout l’or du monde. En quelques secondes, je suis passé du statut de bon copain à celui de connard.

« -Ecoute moi bien, mon p’tit. J’dois plus rien à personne. J’ai moisi ici pendant 12 ans, juste parce que j’ai joué avec un gosse. Aujourd’hui, le gosse, il va bien, il est en bonne santé, tout le monde est heureux, et j’ai le droit de reprendre ma vie là où elle s’est arrêtée. Et c’est pas ton mépris qui va m’en empêcher !

-C’est tout ce que je te souhaite… »

Il a de l’humour, le bougre. Il prend même le temps de claquer son magasine avec une geste théâtral avant de s’éloigner en marmonnant.  Peu importe, j’ai tout ce qu’il me faut. Sans même attendre, je vais sur Internet. J’ai 2 jours pour tout mettre en place. D’après les gardiens, les sites pornographiques sont interdits. C’est stupide, on ne va pas se masturber dans une bibliothèque. Tous les autres sites sont autorisés, et c’est une bénédiction. Saint Google, éclairez moi. Plan Mazda RX8. J’ai tout ce qu’il me faut. Les plans de coupe, le montage, même les sites de fabrication. Peu importe. La seule chose importante dans ces cas-là, c’est « où est le réservoir ? ». Selon la voiture, il est soir sous les sièges arrières, soit derrière, soit à l’avant. Ici, il est légèrement au-dessus de la roue arrière droite, à environ 15 centimètres. J’enregistre tout ça, toutes les petites informations qui pourraient servir. Ensuite, il s’agit de la jouer fine. Contacter quelqu’un au dehors pour lui régler son compte, ou m’en occuper moi-même avec les moyens du bord. Je retourne à ma place, pas la peine d’effacer l’historique, il n’y a rien de méchant. Et ça éveillerai les soupçons.

Le soir même, dans ma cellule, j’y réfléchis encore. 3 heures du matin, rien d’accablant. Je vais m’en occuper moi-même, avec plusieurs méthodes. Je m’y mettrai demain. La nuit porte conseil.

6h30. Frais et dispos. Première surprise de la journée, j’ai une visite. Je suis amené dans une salle minuscule, séparé de mon interlocuteur par une vitre blindée. Ahhh… Monsieur Desmarais.

« -Je vois qu’il y a encore des hommes de confiance en ce monde… Que puis-je faire pour vous ?

-Monsieur Skoënig… Nous sommes surement écoutés, comme vous le savez. Aussi, je n’irai pas par quatre chemins, j’ai payé votre caution, pour réduire votre peine, la décision sera rendue demain. En retour, j’attends quelques services de travaux de votre part.

Toujours les vieux termes du métier… Travaux, pour un suicide maquillé. Nettoyage pour un assassinat. Peinture pour un exemple.

-Avec plaisir, tant que je peux sortir de cet enfer… Le pain matinal n’est même pas toasté !

-Mon pauvre. Excusez-moi de ne pas goûter votre détresse, mais je vous considère aussi comme une sorte de génie du mal.

-C’est trop d’honneur…

-Si vous avez besoin de quoique ce soit, faites le moi savoir.

-Allez juste sur mon site de musique classique, j’ai sorti quelques morceaux 2 jours avant d’être arrêté à la demande de Maurice Querand. Cherchez celui sur les voitures, il devrait vous plaire.

Samuel Desmarais est un ancien copain rencontré sur un de mes premiers contrats. Un des rares en qui j’ai confiance, puisqu’il n’a jamais manqué un contrat. Il à suivi des cours de droit à Assas, avant de devenir juriste, et il gagne bien sa vie, avec quelques extras de temps à autre. Pour ma part, j’ai opté pour le commerce. Ironique, non ? Je vends mes services aux plus offrants, la base de tout commerce. J’ai même été jusqu’à demander le label du commerce équitable

-Je n’y manquerai pas. Bonne journée, Thomas.

Mon site de musique est un simple forum, noyé dans la masse dans les méandres du net. Nous avons toujours eu à nous entraider, nous donner des astuces. Ainsi, je venais de commanditer un assassinat et son modus operandi. Sur le site, il y avait de la musique classique, mais sur une seule page. Chaque page se rapportait à une activité, un sport, n’importe, et on y ajoutait un stéréogramme. Le principe de ses images est de représenter une suite confuse de formes et de couleurs, dans lequel se cache une image en 3D. C’est cette image qui renvoie à la véritable adresse, à condition de rentrer ce que l’on voit dans une petite fenêtre. Tout cela étant bien évidemment blindé, et connu de notre entourage uniquement.

Sur la page consacrée à la musique classique, on pouvait entendre Nocturne, de Chopin, et une image représentant une molécule d’eau, joli compromis entre la chimie et la musique. A partir de là, il n’y avait plus qu’à taper H20 dans la barre, puis se laisser guider. La page suivante indiquait où j’avais caché une arme et des munitions pour pouvoir exécuter mes prouesses.

Contrairement à que l’on raconte, c’est très dur de trouver des armes de bonnes qualité. Les descentes de police ramènent généralement des armes de petit calibre, ou obsolètes. Pour le haut de gamme, il fallait voir directement avec les fabricants, ou mieux, avec des mercenaires, des freelances. C’est ainsi que j’ai été amené à rencontrer Yussef Lazarevic, un marchand d’arme russe omniprésent sur le marché du crime organisé. Il m’avait fourni la plupart de mes armes, soit une cinquantaine au total. Et Chopin, et sa Nocturne, amenaient à une de mes préférées. En y repensant, je me suis souvenu du premier contrat que j’avais signé avec….

« Donc, si j’ai bien compris, Monsieur Rennek cet homme risque de faire capoter votre mise sur le marché ?

-Tout à fait. Je représente un conglomérat de sociétés pharmaceutiques, et nous lançons le mois prochain une pilule dans laquelle nous avons investi des millions d’euros. Cette pilule peut, dans une proportion très faible, entrainer des complications…

-Dangereuses ?

- Disons que l’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, c’est bientôt l’été, les gens vont se ruer sur notre projet de minceur express, et il y aura sans doute un ou deux quidams qui y resteront, une broutille en comparaison du bénéfice engrangé ! Cet homme, Alexis Deschamps, risque de tout révéler au grand public, et ça serait non seulement l’interdiction, mais sans doute le tribunal pour nous tous. Je dois signer le contrat Lundi prochain, Deschamps doit y passer d’ici là.

-Hmmm… Je n‘aime pas beaucoup vos méthodes, ni les risques que cela représente

-Allons, Monsieur Skoënig… Ne jouez pas les hommes de bien, vous avez sûrement plus de morts sur la conscience que moi. Mais si cela vous répugne tant, soit, je ferai appel à d’autres.

-Non, non… Je m’en occuperai, à une condition

-Allons donc… Je vous écoute ?

-Je vois sur votre mur pas mal de trophées de chasse… Je suppose qu’un homme aussi puissant que vous n’aurait aucun mal à m’obtenir une arme digne de ce nom ?

-J’ai en effet quelques contacts… Mais cela serait déduit de votre paiement.

-Cela va sans dire. Il me faudrait un M200, de la marque Cheytak. C’est ce qui se fait de mieux en fusil de précision.

-Vous l’aurez. Ou dois-je le déposer ?

-Je viendrai la récupérer ici, dans une valise sobre, Après demain.

Ce fut le premier contrat dont je fut fier. Mr Rennek était un pourri, on ne sacrifie pas des innocents sans raison, surtout pas avec un tel dédain. J’ai pris les 2 jours suivant à étudier son manège, ses allers et venues, avant de repérer sa voiture. Une fois de plus, recherche internet. Le lendemain, date de livraison du fusil, j’ai su rester très professionnel. Un rapide salut, je récupère la valise, et je vais m’installer au bout de la rue. Tous les soirs, à 19h30 précises, il sortait du parking au volant de sa corvette. J’avais acheté une seule balle, une balle expansive à pointe semi creuse. Le principe de ces balles était génial, au contact de la cible, elle perdait énormément d’énergie. Son extrémité se déformait alors, et éclatait pour maximiser les dommages, et le contenu de la pointe se répandait alors, environ 20 centimètre à l’intérieur de la cible. Pour mon modèle, le contenu était 2 gouttes de nitroglycérine. Ce liquide verdâtre, qui avait servi à la mise au point de la TNT, était hautement instable, et explosait presque instantanément après un choc. J’ai juste eu à viser  le réservoir alors que la voiture freinait en sortant du garage, pour ajouter un petit article en plus dans la colonne des faits divers. Bien entendu, le produit à été dénoncé, et peu de personnes ont regretté la mort de Rennek.

Tuer quelqu’un, c’est comme peindre un tableau, ou écrire un roman. On se souvient de chaque petit détail, parce que ça porte notre marque, c’est une de nos réalisations.

Quoiqu’il en soit, la planque indiquée à Samuel contenait 2 armes, l’Intervention et un Sig Sauer P226. Je faisais attention à ne jamais me faire rouler sur mes armes, parce que c’est l’outil qui fait le praticien. Une vieille diatribe de mon paternel, un éminent dentiste. Malgré toutes mes armes, la façon d’agir que je préférais était de loin celle qui nécessitait l’utilisation de subterfuges « faits maison ». Je grappillais de ci de là de nouvelles méthodes, plus par précaution que par sadisme. Même pour un commercial, j’avais acquis des notions de chimie, pour la concoction de poisons ou d’explosifs, de biologie, pour le combat à main nue ou à l’arme blanche, et dans d’autres matières plus ou moins poussées, pour les détails comme la force de Coriolis lors d’un tir à longue distance. Si l’assassinat avait nécessité des études, j’aurai sans doute majoré.

Je côtoyais sans cesse des personnes agissant dans l’illégalité la plus totale, des policiers corrompus, des marchands d’arme, des dealers, mais je ne connaissais en tout et pour tout que 3 assassins. J’entends bien évidemment des assassins au sens précis, agissant méticuleusement, avec une certaine conscience. Si on comptait toutes les personnes ayant des morts sur la conscience, on passait tout de suite à plus de 100. Samuel faisait partie de cette élite, et ça m’a toujours fait rire de constater nos spécialités respectives. Je misais souvent sur la mise en scène, le timing parfait, l’absence complète de preuve, tandis que lui était accro à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un objet tranchant, avec une préférence toute particulière pour les scalpels. Avant de se lancer dans le droit, il voulait être chirurgien, et j’ai vite compris qu’il avait quelques tendances schizophrènes. L’ironie du sort est que, malgré sa face sombre, il demeurait un excellent avocat, un ténor du barreau absolument incorruptible. Bien évidemment, pour discuter de nos petits exploits de nos fiertés professionnelles, nous ne pouvions pas nous permettre de nous installer à la terrasse d’un café. On se retrouvait généralement chez moi, mes petites affaires se révélant lucratives, j’avais pu me payer un petit duplex perché sur les toits de Paris. C’était les moments les plus chers, les plus précieux de notre existence, savourer cette tension, entre Sandra, qui ignorait tout de mes activités criminelles, et Samuel, qui partageait ce hobby. Toute une histoire de faux semblants, autour d’une salade, d’un petit vin frais, baignés dans la chaleur d’un coucher de soleil parisien. Je raccompagnais Samuel chez lui, et nous pouvions enfin commencer à parler des choses intéressantes. Le meurtre, c’est comme la cigarette, sur bien des points. C’est une addiction, et c’est risqué, mais on se sent bien. C’est une simple ligne dans un roman qui m’avait ouvert les yeux. Sur 183 criminels arrêtés pour meurtre ces dernières années en France, puis relâchés pour bonne conduite, saviez-vous combien avaient récidivé ? 183. C’est quelque chose qui s’ancre en nous, que l’on soit tueur du dimanche ou vrai professionnel, quelque chose nous pousse à recommencer.

En quelques semaines, j’avais appris mes trucs à Samuel, et il m’avait rendu la pareille. Je lui avait appris que toutes les répliques de Fight Club n’étaient pas vraies. D’après Tyler Durden, il suffisait de mélanger du jus de fruit et du savon pour obtenir de l’explosif. Plusieurs éléments étaient faux. D’une part, le jus, c’est n’est pas n’importe quel jus. Sur les jus à très forte concentration en vitamine C ou B3 se décomposent en nitrate, et c’est ce nitrate qu’il faut mélanger au savon (savon exclusivement à base de glycérine) pour obtenir de la nitroglycérine. Ce composé étant instable, on peut le mélanger avec du salpêtre et du soufre pour obtenir un composé beaucoup moins risqué, plus connu sous le nom de TNT. Ce mélange était extrêmement malléable, malgré tout, ce composé restait de faible puissance, et si on avait du savon en quantité suffisante, ou pouvait faire des explosifs d’un tout autre calibre. Il m’avait appris tous ces trucs en rapport avec les scalpels, comment couper, où couper, selon que l’on désire faire souffrir ou tuer rapidement. J’étais encore jeune, je n’avais pas encore le sens des limites, et on a continué comme ça de longues semaines. Il a disparu de la circulation un long moment, parti s’occuper d’un travail en Colombie, et il était revenu… Différent. Avant de partir, il montrait une profonde aversion envers les armes à feu, qui, pour reprendre son personnage favori, ne permettaient pas de sentir toutes les petites joies de la mise à mort. Il était revenu et m’avait demandé de lui apprendre à tirer. J’avais généreusement payé un gardien de décharge pour nous fournir plusieurs épaves de voitures encore fonctionnelles. On les avait toutes conduites dans la forêt de Rambouillet, loin de toutes les habitations, en pleine période de chasse ouverte, et je lui avais appris tous ces trucs, les histoires de réservoir, de pneus, ou viser selon qu’on veut détruire le véhicule ou tuer un occupant en particulier, quelles armes, tout. Au final, il m’a aidé à trouver une petite maison, un hôtel particulier avec Jardin en plein cœur de Paris (Le jardin était vital…), dont l’ancien propriétaire avait disparu mystérieusement.

J’étais encore plongé dans mes pensées, et soudain, j’ai eu le signal. Une petite joie m’avait envahie, un sourire de satisfaction. Il n’avait pas oublié mes leçons. Peu à peu, la cours de la prison s’est remplie d’une odeur si familière... un mélange de plastique brûlé, de tissus carbonisé… Et surtout, de porc grillé. Samuel avait fait son œuvre. Petit cadeau, il pouvait bien évidemment garder l’arme jusqu’à ma sortie de prison, qui devrait arriver incessamment sous peu. J’aime ce côté corruptible de la société, savoir que malgré toutes ces belles paroles, les riches et les puissants connaitront toujours moins longtemps la froideur d’une prison. Tout le monde court, et hurle, les gardiens affolés tentent encore d’éteindre la carcasse de la Mazda. Adieu, Jojo et Maurice. J’aime cet aspect parfait, ce mécanisme digne d’une montre suisse.

                Malgré tout, je n’ai jamais prétendu être infaillible. J’ai réussi tous mes contrats, et la chance à parfois joué son rôle. Lors d’un dîner donné à l’ambassade de Russie, j’avais reçu l’ordre d’éliminer un général, soupçonné d’être responsable de quelques massacres dans les Balkans, mais toujours sauvé in extremis par des supérieurs, ou par des pots-de-vin judicieusement distribués. La méthode était on ne peut plus simple : les premiers cours de chimie peuvent orienter vers l’amande amère. Bien que comestible, cet arachide possède la particularité d’être extrêmement chargé en amygdaline, une molécule qui se décompose dans le système digestif pour devenir du cyanure. Une cinquantaine de ces amandes peut entraîner la mort d’un homme, mais il ne faut jamais laisser de place pour le doute. Les dîners d’ambassade sont comme les commissariats : plus notre comportement est naturel, plus on se fondra dans la masse. Je planifie généralement mes assassinats en 2 ou 3 jours, toujours selon la même méthode : On se renseigne sur la cible, puis sur son agenda, ou au moins sur un lieu où on est sûr qu’elle se rendra, puis on s’intéresse à la méthode. Je reconnais que généralement, je restais dans le sobre, arme à feu ou arme de contact, mais parfois, lorsque la situation le permettait, j’aimais ajouter du piment. L’empoisonnement est toujours un excellent subterfuge, car tout le monde pense que la victime peut s’en tirer, tout le monde panique, court partout sans même songer à retrouver l’assassin, qui peut en profiter pour s’éclipser.

 Le dîner était donné en terrasse, j’ai donc dû la jouer finement. Déguisé en serveur, j’ai fait mon apparition vers 22h30, alors que le dîner battait son plein. Avant même mon arrivée sur les lieux, j’avais pu me renseigner sur la cible. Plusieurs sites proposaient des photos de bonne qualité de l’homme, cité comme un héros par les ultranationalistes, mais une seule était suffisamment récente pour donner une idée de l’homme. D’une part, le blanc des yeux, généralement d’un blanc laiteux, virait chez lui au jaune pâle, signe de faiblesse du foie. D’autre part, une pâleur caractéristique au niveau des pommettes, du menton et du front, et rougeurs appuyée du nez. Notre homme avait donc des soucis d’alcoolémie un peu trop prononcée, et un dîner en ambassade proposait généralement d’excellentes bouteilles. J’ai donc amené ma contribution personnelle à la soirée, avec ma petite tenue de serveur, une perruque, ma barbe de 3 jours et une bouteille de vin qui, étonnamment, possédait un arôme plus proche de l’amande que du raisin. Pour assurer le coup, j’avais broyé et filtré presque 800 amandes, pour récupérer uniquement la zone la plus riche en Amygdaline. Notre cher général est mort quelques heures plus tard, avec près de 6 grammes de cyanure dans le sang. Ma chance a joué car je n’étais pas au courant des effets secondaires du cyanure, notamment une infection possible par inhalation lors du bouche-à-bouche. L’infirmier qui a tenté la réanimation a frôlé la mort, alors qu’il n’avait que 16 ans, un petit stagiaire qui avait voulu bien faire. Je me suis maudit intérieurement.

« -Thomas ? T’es encore réveillé ?

-Non, Yuri. Qu’est-ce qu’il y a ?

-Bah…J’me disais. Tu as jamais cherché une sorte d’assistant pour ton travail ? Enfin j’veux dire, un mec pour te protéger, tu vois ? »

Il me fait rire. Il est ici pour violence avec voie de fait, je suis ici pour 86 meurtres, et il veut me protéger.

-Non, Yuri. Les gens ont trop peur de moi pour oser m’attaquer. Ils savent que j’ai des amis.  Tu crois que Querand est mort tout seul ? Ce n’est pas un accident.

-Ah… Bon bah, bonne nuit alors

Décidément, il me fait rire.

 -Attend. J’ai eu un assistant, pendant un moment. Mes premiers meurtres, je faisais encore des gaffes stupides, et j’avais un pote spécialiste pour tout ce qui concerne les enquêtes criminelles, un fou de toutes les séries genre NCIS, qui m’avait donné les méthodes policières pour arrêter les criminels. Il était tellement à fond dedans qu’il suivait mes meurtres jour après jour, sans savoir que c’était moi le meurtrier. J’étais rentré dans son jeu, en lui racontant que ça m’intéressait, d’arrêter les malfrats, et il m’avait cru. Il m’avait tout raconté, la lumière bleue, les empreintes, tout. Il m’a aidé plus qu’il ne pouvait l’imaginer, et grâce à lui, j’ai progressé. Et quelques semaines plus tard, il m’a annoncé qu’il voulait qu’on se lance sur les traces de l’assassin. Et le pire, c’est qu’il était doué, il se rapprochait de moi, mais il était trop naïf. Je n’étais pas fier, mais j’ai dû lui mettre des bâtons dans les roues. Un jour où on enquêtait sur un de mes meurtres, du côté de Montmartre. J’ai fait mine d’être bousculé par quelqu’un, je l’ai poussé dans la rue du calvaire, il a dévalé les marches, doubles fracture. Il a passé un mois à l’hôpital, et il a décidé d’arrêter les enquêtes. On se reparle, de temps en temps, mais je préfère couper les ponts, je travaille mieux seul.

-C’est dommage, on aurait pu faire de bons associés.

-Je n’en doute pas, Yuri. »

Je dormais sur mes deux oreilles. Je venais sans doute de lui éviter la prison à vie, j’avais arrêté un pédophile. Même les monstres ont une conscience…

Le lendemain, tôt dans la matinée, je reçois la visite de mon ange gardien. Son sens de l’humour est toujours aussi présent, et son style théâtral inimitable embellit la journée. Quand il est l’avocat, il me vouvoie et me regarde avec mépris, sans parvenir à masquer ce petit rictus, celui d’un bon ami fier de sa blague.

« -L’ai-je bien descendu ?

- C’était parfait. Le matériel était-il à votre convenance ?

- Pardon de… trancher… dans le vif du sujet, mais je ne suis pas venu pour ce genre d’affaires. J’ai reçu ce matin une lettre qui t’es destinée, de la part de Sandra. Vous la voulez ?

-Oui. »

Le mot était venu tout seul, et j’ai failli m’effondrer. La première chose qui me manquait, en ce moment, c’était Sandra, et j’avais pu être assez stupide pour lui mentir. Samuel me fixa d’un regard condescendant, l’air de celui qui ne comprend pas les sentiments tels que l’amour.

« T’es sûr que ça va ?

-Oui, oui. Mais, 5 semaines dans ce milieu, tu comprends que je puisse ne pas dénigrer un peu de tendresse féminine.

-Tout à fait. Mais je vous prierai de me traiter avec les égards qui me sont du, aussi vous demanderai-je instamment de me vouvoyer.

-Comme tu veux »

Je fus raccompagné dans ma cellule, sans plus d’informations sur une éventuelle sortie de prison. La lettre n’était pas ouverte, un des avantages des hommes de loi dans le milieu carcéral. Enfin, des hommes de loi fortunés. Je pris quelques instants, pour retourner savourer ces quelques moments d’intimités. Le style était sobre, mais pas dénué d’amour.

Thomas… Tu m’as menti. J’ai quitté l’appartement, j’ai tout laissé en plan, je n’avais pas la force d’y rester. Qui sait combien de cadavres peuvent pourrir dans notre petit jardin ? Je ne sais pas quoi penser de toi, derrière ton sourire, tu me cachais toutes ces horreurs. J’ai fini par douter de plus en plus, peut-être que tu avais des amantes, que j’étais une cible, je n’en sais rien. Je pensais avoir trouvé un homme doux et attentionné, un commercial charmant avec qui je vivrais une idylle, mais tu as tout brisé. Je pars vivre ailleurs, ne me cherche pas. Si j’ai de nouveau envie de te parer, je te recontacterai. Je me souviens de tes derniers mots, avant de partir soit disant en séminaire. « Quand je rentre, on ira au ciné, et on ira diner chez Guissep ». Je ne veux plus de ce ciné, je ne veux plus dîner avec toi. Plus encore que le sang sur tes mains, plus encore que tes mensonges, c’est le fait que tu aies pu me prendre pour une imbécile qui m’a blessé. Et j’y ai cru, je t’ai suivi dans ton univers de mensonges. Je t’aimais, Thomas.

Sandra

Je relisais la lettre plusieurs fois, en l’imaginant, résignée, écrire à celui qu’elle aimait. J’essayais de comprendre le sens de ces mots, de retrouver ce sentiment d’affection que je sentais entre ses bras, sans même y parvenir. Mais plus effrayant encore, je n’arrivai pas à être triste, à sentir quoique ce soit.  Je pliais la lettre pour en faire un petit avion, souvenir de quand j’étais un enfant, avant de le lancer dans la cours, sous une pluie battante. Il fit quelques gestes élégants, avant de s’écraser contre le mur d’enceinte, finissant sa course en s’émiettant, détrempé. Je suivais encore quelques secondes les circonvolutions de l’encre qui se diluait dans l’eau, avant de retourner à ma cellule. Je sentais l’eau brouiller mon regard, les gouttes, perler le long de mon visage. Mais ce n’était que la pluie.

Après cet épisode, je n’ai plus reçu la moindre nouvelle de Sandra. Elle était trop pure, trop innocente, baignée dès son plus jeune âge dans la chaleur d’une famille aimante, avec les amis merveilleux que peut trouver une fille alliant le charme et l’intelligence. Je savais ce qui lui avait plu chez moi. On s’était rencontré par hasard, un après-midi de Juillet, à la terrasse d’un café parisien. N’allez surtout pas vous imaginer le scénario romantique, la réalité est bien plus marrante. Je venais d’être victime, pour la deuxième fois de ma carrière, d’une tentative d’assassinat. J’avais pu retrouver le commanditaire, mais ça, c’est une autre histoire. Quoiqu’il en soit, il avait engagé un dealer pour me tuer, et le gamin avait choisi la solution de facilité, l’accident de voiture. Il m’avait suivi durant une demi-heure, jusqu’à ce qu’il me voie me poser à la terrasse du fameux café de Flore. Le pauvre gosse était défoncé jusqu’aux sourcils, et sans réfléchir, il a foncé. Un véritable miracle, il n’y eut que 2 blessés et un mort. Le dealer s’était tué en percutant  un des piliers, sans avoir attaché sa ceinture. Il avait foncé directement moi, et j’avais pu me décaler à temps, mais pas éviter tout ce qui se trouvait sur ma table, à savoir les couverts et un café brûlant. Résultats des courses, quelques points de suture et une brûlure bénigne. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Sandra, elle était infirmière, et c’était la deuxième blessée. On nous a mis dans deux lits côte à côte, et mon absence totale de sentiments est passée pour du flegme.

Une des premières phrases qu’elle m’ait dit était « Tu es un type bizarre, toi ! Complètement déstructuré ! »

Ça a été la révélation, et j’ai ouvert les yeux. Je n’étais pas quelqu’un de foncièrement méchant, ou sans cœur, j’agissais juste différemment. Quand j’étais enfant, j’adorais lire, et cette passion m’a toujours suivie. Sans elle, je ne serai sans doute plus de ce monde, car les méthodes de survies, les tactiques d’espionnage, on ne peut les apprendre que par les livres. Celui qui parle de l’expérience sur le terrain est un imbécile, il ne sert à rien de risquer sa vie directement quand on peut tout apprendre, confortablement installé dans un transat. La seule différence va être la capacité à se projeter dans l’action, à s’imaginer en train de faire ses mouvements pour qu’au moment opportun, il n’y ait pas d’hésitation, juste un geste parfait. Cet aspect déstructuré que l’on retrouvait dans mes phrases, mon côté curieux, mes changements incessants de sujets, n’étaient qu’un moyen d’équilibrer avec la rigueur constante dont je faisais preuve lors de mes contrats.

                En toute modestie, j’avais toujours eu ce don pour attirer les femmes. L’air de rien, je prenais soin de moi, non pas pour séduire, mais plutôt pour être au top pour mon job. A la base, le but était de me rapprocher de mes cibles, et personne n’aura jamais envie de se rapprocher d’un homme ne prenant pas soin de lui. Outre mes exercices, je faisais attention à mon aspect. Au final, j’avais l’air de monsieur tout le monde, tout en attirant l’œil, et j’ai su dès la première seconde que Sandra était captivée. Les femmes aiment ce qu’elles ne peuvent obtenir, et mon cœur était déjà pris, par ma soif de sang. A la sortie de l’hôpital, on est allé boire un verre, et quelques jours plus tard, elle m’a rappelé. Sans ça, je l’aurai sans doute oubliée. Je me suis attaché à elle, petit à petit. J’étais fier, fier de mon talent, fier de mon changement. J’ai souvent envisagé de raccrocher, de m’installer avec elle. A vrai dire, après tous ces meurtres, ma fortune s’élevait à plus de 16 millions d’euros, et elle ignorait l’existence de la quasi-totalité de cette fortune. Nous vivions dans le luxe, mais pas dans cette insupportable opulence qui corrompt les âmes et affaiblit les esprits. J’ai passé 3 années merveilleuses, nous allions fonder une famille, et si tout ça n’avait pas eu lieu, je serai à Venise en ce moment même, à naviguer dans ces petites rues, Sandra entre mes bras. Sans le vouloir, j’ai souri en m’imaginant ainsi.

                Yuri était déjà dans notre cellule, lisant une revue pour hommes en manque. Dans mon esprit, Sandra était déjà loin, je n’y pensais plus, je ne pouvais plus. La seule pensée qui put traverser mon esprit à ce moment, et j’en aurai presque honte, était

« J’espère que le menu de ce soir sera meilleur que celui de ce midi »

Mon compagnon de cellule me sortit de ma léthargie bienheureuse.

« -Dis, Thomas… T’as une copine ? Une femme qui t’attend à la maison ?

-Non, Yuri. Plus j’y pense, et plus j’ai l’impression que les personnes proches de moi finissent par disparaître. Je suis comme le feu, j’attire les insectes, mais tous ceux qui s’approchent trop perdent la vie.

-Bah non, regarde ! On a passé 3 semaines dans la même chambre, et j’suis toujours là. Enfin, c’est pas ici qu’il risque de m’arriver quelque chose, hein ? »

Le pauvre Yuri n’eût jamais de réponse à sa question. Le mur contre lequel il s’appuyait quelques instants auparavant venait de basculer dans le vide, avant de s’effondrer lourdement sur le gazon 9 mètres plus bas. Mon pauvre compagnon de cellule était mort sans un bruit, broyé par la masse de béton armé qui me retenait jadis prisonnier. Partout, l’agitation était à son comble, les gardiens se ruaient vers la brèche creusée à l’explosif, de l’autre côté du bâtiment. Samuel était un pro, il avait provoqué une émeute dans la cours, pendant un transfert, pour semer le chaos dans la prison. J’eus tout le loisir de m’échapper, descendant en rappel avec mes draps, comme dans les vieux films hollywoodiens. A quelques mètres, un van blanc m’attendait, avec mon sauveur. A peine monté, il démarra en trombe, vers les beaux quartiers.

« -Bon retour à la civilisation, cher accusé !

-Hilarant. Sors moi d’ici, je paie le resto »

                Quelques mois plus tard, j’étais libre comme l’air. Nous avions feint la mort, en provoquant un accident mortel sur une route de campagne, en prenant soin d’impliquer le van blanc. Nous avions maquillé un cadavre pour qu’il devienne feu Mr Skoenig, et Samuel, qui n’avait pas été identifié, n’eut même pas à « mourir ».

Le plus compliqué, lorsqu’on veut faire croire à sa mort, c’est de s’occuper du cadavre le cadavre. Avec les nouvelles techniques d’identifications dentaires, il fallait s’assurer de laisser des preuves suffisantes. Ainsi, Samuel et moi partagions une chambre froide, au sous-sol de son appartement, ou nous laissions quelques cadavres de contrats. Puis, le modus operandi était toujours le même : effacer les traces du meurtre, brûler une partie du corps, ainsi que les doigts, limer les dents pour qu’elles correspondent à l’une de nos dentitions, puis placer le cadavre atrocement défiguré dans une épave de voiture brûlée. Le résultat était saisissant de vérité, et pour l’ADN, il suffisait de semer sur les lieux de nos autres crimes quelques morceaux de notre cadavre. Ainsi, j’étais mort 4 fois.

 J’ai toujours essayé de me démener dans mon travail pour assurer un revenu confortable, sans pour autant sombrer dans l’opulence. J’avais aussi quelques studios un peu partout en France, dans chaque grande ville et dans chaque lieu où je devais me rendre régulièrement. Un de mes favoris était un petit chalet en montagne, près de Megève, dans les Alpes. Je n’ai jamais été un grand fan de ski, mais la montagne possédait d’autres atouts indéniables, notamment hors des périodes de vacances. Assis à la terrasse d’un café, je me suis surpris à sourire en regardant le ciel. Tout ici amenait à la quiétude,  cet infini opalin posé sur un écrin de nacre, ces montagnes majestueuses, déchirant le ciel telles les dents d’un colosse minéral. Je me replongeais dans un roman, en savourant la douceur d’un chocolat liégeois dans les premiers jours de Décembre.

                Je fus tiré de ma torpeur par la mélodie de mon téléphone. Enfin, l’appel tant attendu. Je réglais ma consommation avant de retourner au chalet. J’enfilais un costume de marque, vérifiais le bon fonctionnement de mon Glock, avant de me mettre au volant de la Audi R8, en direction de la Suisse et de ses promesses dorées.

                La Ostenwald Nazional Bank n’était pas vraiment le genre d’endroit ou pouvait entrer monsieur Tout-le Monde. Le principe d’admission était des plus simplistes : pour faire partie de son élite, il fallait être parrainé par un membre, avoir une solide culture générale sur la Suisse et ses spécialités culinaires, et posséder une fortune comptant au minimum 7 chiffres. Réticent lors de mon entrée, j’avais bien vite oublié tous ces tracas au vu des nombreux avantages qu’offrait cette enseigne. D’une part, le secret bancaire y était une règle absolue ; pour un observateur externe, le fait de se plonger dans les comptes d’un des membres revenait à signer son arrêt de mort. Très peu de membres se connaissaient,, et l’accès aux comptes ne pouvait se faire que depuis le centre névralgiques des opérations. Toute la finesse du procédé résidait dans le fait que le titulaire du compte se devait de passer au siège de l’ONB au moins une fois par an, pour prouver qu’il était toujours en vie. Dans le cas contraire, toute sa fortune était répartie sur des comptes préalablement choisis.

Le siège de l’Ostenwald était un immense château bavarois, construit au 17ème siècle aux alentours de Berne. Le seul accès possible était un téléphérique privé, constamment gardé par deux molosses équipés de fusils d’assaut. Le bâtiment en lui-même était posé sur les bords d’un ravin, dominant les massifs Suisse de près de 800 mètres. Je devais rencontrer le directeur, Mark Hemmingway, à 17 heures. Le Soleil était déjà sur le départ, peignant ses trainées iridescentes dans le ciel glacé d’hiver. Les vieilles roches, malgré les millénaires passés, conservaient leur aspect inamovible, bercées par une brise légère. Au seuil de la Luxueuse bâtisse, je retrouvais Mr. Hemmingway Junior, fils du fondateur de l’ONB. Avant son ascension à ce poste, le capital de la banque suisse était en chute libre, les derniers clients étant de bons amis de feu William Hemmingway. Dans le seul but de sauver le blason familial, Mark avait abandonné ses études pour reprendre les rênes de la société, assurant ainsi la pérennité de leurs armoiries en sombrant dans l’illégalité.

                A son habitude, Mark me reçut dans le Hall du château, magnifiquement décoré dans un style médiéval. Des armures et des armes de toutes les époques ornaient les murs, mais je comptais parmi les seuls clients à savoir que, derrière ces merveilles du passé, les panneaux en bois pouvait pivoter pour dévoiler un équipement militaire beaucoup plus contemporain, ainsi que des munitions suffisantes pour tenir un long siège. Bien évidemment, tous les employés étaient au fait de l’utilisation de ces armes.

« -Monsieur Skoënig ! Votre présence réchauffe ces murs glacés. Puis je vous proposer un peu de chocolat ? Suisse, bien entendu…

- C’aurait été avec plaisir, Monsieur Hemmingway, mais je crains que le temps ne joue pas en notre faveur. Mon avion décolle dans une heure, aussi vous prierai-je d’aller à l’essentiel.

Ce ton sec et cassant était contraire à mes habitudes, et cet histoire d’avion, un mensonge éhonté, mais ma dernière visite ici s’était soldée par une crise de foie due à un excès de chocolat.

-Je comprends tout à fait, reprit-il. A vrai dire, il y a fort longtemps que plus personne ne se délecte de ces petites friandises ici-bas. Moi à part, bien entendu. Pour ce qui est de notre affaire, ou plutôt, de nos affaires, j’ai 2 nouvelles à vous annoncer. D’une part, vos excellentes prestations professionnelles vous jouent des tours. Passé le cap des 40 millions d’euros, il devient difficile pour nous de masquer l’intégralité de votre fortune aux yeux du monde. Je ne saurai que trop vous conseiller d’en investir une partie dans différents domaines, en plusieurs fous si possible. J’ai pris la liberté de me renseigner sur les secteurs les plus porteurs pour vous, dit-il avant de boire une gorgée de son chocolat chaud.

-Je vous en suis très reconnaissant. Mais vous avez évoquées nos affaires, j’aime à croire que mes compte ne sont donc pas la seule raison de ma venue ici.

-Et bien…. Pour tout vous dire, reprit-il en posant sa tasse, vous n’avez pas tout à fait tort. J’ai depuis quelques semaines des soucis avec les autorités internationales. Le nom d’IRS vous parle-t-il, monsieur Skoënig ?

-Une branche du fisc américain, il me semble

-Précisément. L’IRS, ou International Revenue Service, est une organisation visant à éconduire les différentes méthodes de fraudes fiscales. Officiellement, cela se limite à des envois de lettres, mais officieusement, leurs méthodes sont plus… Expéditives. Leurs interventions peuvent aussi bien faire parler l’encre que la poudre, et cela nous place en fâcheuse posture.

-Vous me semblez pourtant bien équipé pour vous défendre?

-Allons, ne soyez pas si naïf. Je n’ai rien à craindre ici, ces murs ont sûrement vu couler plus de sang que vous et moi réunis. Non, le véritable bémol, c’est que l’IRS a fait dépêcher en Europe un agent ayant une fâcheuse préférence pour la poudre. Vous n’êtes pas sans savoir les méthodes de répartition des biens de nos clients, et vous vous doutez bien que ces personnes préfèreront redistribuer leurs biens à ceux qui leurs sont chers plutôt qu’à leur banquier. Donc, en tuant mes clients, il s’en prend directement à l’ensemble des membres. Si la banque disparaît, votre fortune sort de l’ombre.

-Vous voudriez que je tue un membre des services spéciaux américains en pleine mission ?

- Sans que quiconque puisse remonter jusqu’à nous, bien entendu. Paradoxalement, une banque qui agit dans l’illégalité la plus totale à besoin de montrer patte blanche aux yeux du monde.

-…Très bien, je vais m’en occuper.

Un sourire apparut furtivement sur son visage, aussitôt masqué par sa tasse de chocolat.

-Monsieur Laffitte ne m’avait pas menti à votre propos. Vous êtes un professionnel, mais un pro digne de confiance. Maintenant, si je puis me permettre, j’aimerai discuter de vos honoraires. Non pas que je sois vénal, mais j’aimerai savoir le prix que vous attachez à une vie humaine. Comprenez, pour un banquier comme moi, une vie n’a pas de prix, et vous êtes là pour en débattre.

-Je ne pense pas. Une vie ne vaut rien, ce qui coûte cher, c’est l’innocence. Un enfant n’a pas de prix. Un nourrisson n’a pas de prix. Mais pour cet homme, je ne demanderai pas d’argent. Je souhaite simplement pouvoir piocher une ou deux arme dans votre collection. La collection moderne, j’entends. Ainsi que tous vos renseignements sur cet agent de l’IRS.

Une moue de soulagement apparut sur le visage de mon interlocuteur. Tous les banquiers que j’avais rencontrés étaient cupides, et Mr Hemmingway n’échappait pas à la règle. Son avarice était telle qu’il n’avait même pas envisagé que les armes que je piocherai vaudront sans doute beaucoup plus que les habituels 50 000 euros requis pour un contrat. Je décidai donc de lui rendre son sourire, avant de lui tendre la main.

-Je prends donc congé de votre belle demeure, Monsieur.

-Je ne vous retiens pas plus longtemps, juste le temps de vous accompagner à l’armurerie. Quand comptez vous vous occuper de cet individu ?

-Je ne sais pas. Tout dépend de sa localisation.

-Il est ici. En Suisse. La succursale de l’IRS en Europe est un immonde bâtiment moderne près de Bâle. Il doit y rendre des comptes après chaque nouvelle attaque.

-A quand remonte la dernière ?

-Oh, je suis navré, je pensais que vous le sauriez. C’est votre parrain, Samuel Desmarais, qui a été visé il y a deux jours. Il a été admis en urgence, à Saint Vincent de Paul, à Paris.

Je n’entendais pas les derniers mots. Je m’efforçai de garder mon calme, mais d’imperceptibles tremblements commencèrent à agiter ma main droite.

-Où est votre armurerie ?

La réserve d’armes était immense. 8 râteliers d’armes s’étalaient sous mes yeux, portant des centaines d’armes de tous les styles et de tous les calibres. Des snipers, des fusils, des mitraillettes, et armes de contact, plusieurs centaines de grenades, et des explosifs en quantité suffisante pour raser le château. Je me dirigeais immédiatement vers les fusils de précision, emportant un M82, puis vers les fusils d’assaut pour jeter mon dévolu sur un F2000. Un des gardes me confiait une malette pour emporter mes acquisitions, avant de me raccompagner à la sortie. Dans le hall, je sentais le regard inquisiteur des rois d’antan, qui me fixaient depuis leur socle de Pierre. J’ai commencé à trembler plus fortement sous le coup de la colère. Je la sentais inonder mon corps, mes veines, remplaçant mon sang par du magma brûlant. Il m’avait trahi.

                Je n’étais même pas inquiété pour Samuel. On finit tous par mourir dans ce métier. Mais Hemmingway m’avait tendu un piège. Tous ses employés étaient sûrement des mercenaires, des anonymes qui aurait pu tuer cet agent gratuitement. Il y avait de C4 dans l’armurerie pour raser le siège de l’IRS a New York, alors une simple succursale… Non, Hemmingway était un traître. Il comptait se débarrasser de l’agent et de moi par la même occasion. Depuis le divorce avec Sandra, ses comptes avaient été détachés des miens. Le seul compte que j’avais désigné. Donc si je venais à mourir, les 42 millions iraient à mon banquier.

Je devais agir prudemment. J’étais encore sur son territoire, je devais demeurer silencieux jusqu’à ma sortie du territoire Suisse. Une fois dans la voiture, je me pose un instant. Si je pèse le pour et le contre, j’ai plus de risque d’y passer en m’opposant à Hemmingway qu’à l’IRS. Je ne suis même pas sur de la véracité de ces propos, je prends mon téléphone pour appeler Samuel. Le doute subsiste, pas même une tonalité, c’est le répondeur qui prend mon message laconique. « Rappelle-moi, Urgent ». Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sens dans l’impasse. Je dois faire face à un adversaire plus puissant, plus riche, et qui dispose de moyens matériels bien supérieurs au miens. La situation s’annonce désespérée, mais c’est dans ces cas-là que les éclairs de génie surviennent. Je vais devoir bluffer. Le soleil se couche peu à peu derrière les montagnes, et le grondement du V8 s’éloigne vers Berne.

Moins d’une heure plus tard, je suis au cœur de la capitale. D’après Internet, le siège de l’IRS occupe un bâtiment récent, à quelques kilomètres au Nord de Reichenbach. Le soleil est déjà caché par les Alpes, laissant ses traînées fantomatiques embraser le ciel. Je m’y attendais un peu, mais la Berline grise qui me suivait depuis Bâle se gare à quelques mètres à peine, avant d’éteindre ses phares pour sombrer dans l’anonymat et la discrétion. Malgré les vitres teintées, je sens un regard meurtrier posé sur moi. Je n’ai pas beaucoup d’alternatives, je dois finir toute cette histoire dans la nuit.

J’ai à peine le temps de poser le pied dehors que la morsure du froid se fait ressentir. Malgré la veste et la chemise épaisse, rien ne peut faire oublier le rude climat suisse. Je me dirige vers mon poursuivant, avant de toquer à la vitre, en vérifiant que les caméras de sécurité de l’IRS ne peuvent rien voir ou entendre. C’est un colosse qui ouvre la fenêtre, l’air patibulaire. Un rapide coup d’œil me renseigne sur le degré de confiance de Mark : le pauvre homme est seul. Il doit bien faire 100 kilos, taillés dans la même masse que le Château de L’Ostenwald.

« Kann ich Ihnen helfen? »

Bien sûr que tu peux m’aider, monsieur le teuton.

« -Können Sie uns eine Nachricht für Herrn Hemmingway? 

-Was für eine Botschaft?

-Es.

L’homme n’entend même pas ma réponse, son cerveau primitif macule déjà l’intérieur cuir de son véhicule. Le silencieux a rempli son rôle, pas un bruit, personne ne se rue vers le commissariat en hurlant.  Juste le temps de passer mon bras dans l’habitacle pour déverrouiller la portière, refermer la fenêtre et laisser pourrir mon cher interlocuteur. J’ai même l’élémentaire politesse de régler sa place de stationnement, pour m’assurer 12 heures de répit, avant de me diriger vers le bâtiment de l’IRS.

« Hallo, würde Ich mag an Mr. Stamper sprechen. 

-Es geht darum, was? 

- Ich habe weitere Informationen über betrügerische Accounts, könnte das Interesse.

-…

-Ich bin in eile, frau

-Ein moment bitte. Mister .. ?

-Skoënig. Thomas Skoënig”

Quelques instants plus tard, un homme rougeaud, la quarantaine, arrive en ahanant à l’accueil.

« -Monsieur Skoënig ? »

A peine deux mots, et déjà je ne l’aime pas. Il a compris que j’étais français, ou plutôt, l’hôtesse l’a compris. Mon accent est à travailler.

« Oui.

-Veuillez me suivre, je vous prie. Nous avons à parler, je crois. »

Nous arrivons dans un bureau spacieux, savamment décoré par des statues colossales en marbre blanc dans le plus pur style modern-art.

« Je vous écoute, et j’espère que ce n’est pas une blague 

-Ce sera à vous d’en juger. Bien, je vais aller droit au but, car je n’ai pas beaucoup de temps devant moi. Devant ce bâtiment, il y a une berline grise, immatriculée en suisse, avec des vitres teintées. A l’intérieur, vous trouverez un cadavre. Cet homme travaille, ou plutôt, travaillait, pour un certain Mark Hemmingway. Je pense que ce nom ne vous est pas inconnu.

-Non, en effet. Puis-je vous proposer quelque chose à boire ?

-Non, merci. Je reprends. Monsieur Hemmingway est un spécialiste du blanchiment d’argent, aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers. Je vous épargnerai les détails, mais il a décidé de me tuer. J’ai ici les preuves de l’existence de comptes cachés, ainsi que les noms de la plupart de leurs propriétaires. Je vous les laisse en échange de deux petits services.

-A savoir ?

-D’une part, si j’ai bien compris, vos agents sont armés. Je voudrai faire équipe à celui qui a attaqué un certain Samuel Desmarais, la semaine dernière, à Paris.

-J’ai peur de ne pas comprendre… Nous ne sommes qu’une branche du fisc américain, monsieur. J’ai travaillé pendant longtemps au siège global de l’IRS, s’il existait de telles… Méthodes, je serai un des premiers informés.

-Vous vous tenez donc à envoyer des petites lettres pour prévenir ces gens de l’illégalité de leurs actes ?

-Dit comme ça, notre rôle peut sembler ridicule, mais oui, nous n’intervenons jamais en personne.

-Bien… Alors je vas pouvoir passer directement au deuxième service. Parmi les comptes que vous allez découvrir, il y a le mien. Je vous prie instamment de ne pas y toucher.

- C’est un peu fort, non ? Je suppose que les revenus de ce compte ne sont pas très… recommandables ?

-En effet, mais si vous refusez, je ne livrerai aucun nom, et je serai sans doute mort demain à la première heure. Croyez-moi, personne ne dénoncera Hemmingway.

-…Très bien. Je vous écoute, monsieur Skoënig.

-Oh, j’ai beaucoup plus simple. Je vais emprunter, l’ordinateur personnel de Mark. Si vos spécialistes sont aussi consciencieux et travailleurs que moi, vous ne devriez avoir aucun mal à trouver votre bonheur. Je vous le ramènerai demain, d’ici là, je compte sur vous pour ne pas prévenir les autorités.

- Je comprends. Bonne chance. Dites-moi, votre métier, c’est espion ?

-Non. C’est tueur.

Il me restait 8 heures avant le lever du jour. Une fois de retour à l’Audi, j’ai réessayé d’appeler Samuel. Petite joie, j’ai eu droit aux tonalités. Au troisième bip, une voie empâtée me répondit.

« Desmarais, avocat à la cours, qui est-ce ?

- Ramène-toi, on va skier. Et prévois du matériel, la chute risque d’être rude. »

Je raccrochais sans rien ajouter, je savais que sa curiosité maladive ferait le reste. Avant de reprendre le combiné pour m’amuser un peu

« Hemmingway

-Bonsoir Monsieur, ici Thomas Skoënig

-Ah, Thomas (malaise imperceptible dans la voix) En quoi puis-je vous aider ?

-J’ai retrouvé l’agent de l’IRS, il semblerait qu’il soit en route pour votre château. Et d’après ses antécédents, ça risque de ne pas être beau à voir. Oh, vous avez aussi le bonjour de Samuel Desmarais, il sera de la fête lui aussi

-… Vous vous croyez drôle ? Ecoutez-moi bien, petit con, vous ne pouvez rien faire contre moi. J’ai votre fortune, j’ai des preuves contre vous, j’ai des relations haut placé. Vous l’avez dit vous-même, je suis intouchable, dans ma forteresse. Ce château, c’est Fort Alamo, c’est l’Etoile Noire, vous comprenez ?

- Fort Alamo est tombé, l’Etoile noire à été détruite. Sur ce, je vais raccrocher. On se verra plus tard, très cher banquier.

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