Smith's House
Manon B.Castle
Samedi je suis allée dans la maison des Smith. Les parents de Kyle n'y étaient pas. Pendant qu'il terminait de travailler ses partitions, je décidai d'arpenter les recoins de sa maison. J'avais toujours aimé la présence qui se dégageait de ses murs, de ses objets, de cette décoration.
Mrs Smith avait voulu mélanger les styles passant d'une décoration coloniale à une décoration anglaise victorienne. Chacune des pièces qu'elle avait décorées n'avaient jamais le même esprit. Je me suis toujours demandé si elle n'était pas elle-même comme cela. Plusieurs Elizabeth.
Mais avant de pouvoir errer dans leur maison, je frappai d'abord à la porte. Je sonnai une fois, comme à mon habitude. Ce fût Kyle qui m'ouvrit la porte avec son t-shirt verdâtre et son jean bleu marine. Il m'invita à entrer en arborant son habituel sourire candide. J'entrai donc dans la maison des Smith. Me prenant par la main, puis me serrant ensuite dans ses bras, il me proposa à boire. Mais je déclinai l'offre. Je n'avais pas soif de cela, j'avais soif de sa maison. Il m'accompagna au cellier fraîchement refait dans un style beaucoup plus moderne. Chaque veste étaient rangée soigneusement dans une penderie ouverte. Au dessus, on y trouvait les affaires pour leur chat, du linge et un téléphone. Drôle d'endroit pour un téléphone me dis-je. Kyle m'invita à passer à la cuisine. Ce n'était pas la première fois que je venais chez lui, mais je ressentais cette impression de first time chaque fois que je revenais. C'était comme une première fois. Je ne saurais pas comment décrire le style de leur cuisine. On pouvait la trouver à la fois moderne et vintage. Les objets modernes étant la poubelle, le lave-vaisselle, le frigidaire, le micro-onde. Le seul élément vintage était l'évier. Vous savez, c'était un de ses grands éviers que nos grands-parents possèdent chez eux. Je le trouvais magnifique. La cuisinière quant à elle était grande. Plus grande que la mienne. Je m'imaginais cuisiner un ragoût de pomme de terre, confectionner un gâteau aux cerises. Cette cuisine avait une âme. On pouvait ressentir les joies et les peines qu'ils avaient pu vivre. Au milieu se tenait la table familiale. Une table assez petite. Mais étais-ce une façon de se rapprocher des gens qu'ils aimaient ? Je ne saurais vous le dire. Derrière la table, une commode faisait office de porte-enceinte d'une radio. Ils écoutaient souvent la radio. En général de la musique classique et les informations. Au dessus même de cette commode, se tenait une étagère où de nombreux livres de cuisines y étaient disposés et méticuleusement rangés. La cuisine devait avoir une place importante dans leur vie. Je ne sais pas si l'on pourrait dire qu'ils aimaient suivre les ordres. Tout comme dans une recette. Comme un chimiste obéissant pour un gouvernement qui voudrait tirer des profits d'un autre pays. J'aimais leur cuisine. Poursuivant mon énième aventure dans leur maison, je me dirigeais vers une espèce de « salon » mais je n'eu pas le temps car Kyle avait pris ma main pour m'emmener dans sa chambre. Nous montâmes donc un escalier en bois en passant par la porte d'entrée. La, nous prîmes la première porte à droite. Je connaissais bien cette chambre, mais laissez moi vous la montrer, où plutôt vous la raconter. Cette pièce avait été récemment refaite car Mrs Smith s'était lancé dans le projet de « famille d'accueil ». Elle avait refait chacune des deux chambres qui se trouvaient au premier étage de la maison. Le lit était resté le même mais il avait changé de place et était désormais au milieu de la pièce. Il avait laissé place à une magnifique commode victorienne. Elle était imposante. Lorsque je l'ouvrais, je retrouvais ce rangement méticuleux propre à cette maison. On sentait que les vêtements avaient été pliés avec amour. Mais ce qui était ironique, c'est que l'amour ce cette famille ne se ressentait que par ces objets rangé à leur place. Lorsqu'on les voyait ensemble, cet amour n'existait plus. Aucun regard, aucune caresse, aucune attention. C'était les Smith. Je touchais les vêtements de Kyle. Ils sentaient le frais, un parfum d'herbe coupée. Je refermais la porte puis me dirigeât vers la chaise à droite de la commode. Cette simple chaise était spéciale car elle avait un nounours posé dessus. Celui-ci aussi était spécial car avant d'être laissé seul sur une chaise, il était auparavant un être important de cette maison puisqu'il était le doudou de Kyle. Mais il avait grandit depuis ce jour là, et « petit ours » restait là, seul, assis sur une simple chaise. Près de celle-ci, on y trouvait la table de nuit. Rien d'extraordinaire pour une chambre. Je regardais à présent la fenêtre. Ils auraient pu mettre un velux, vu la disposition de la pièce, mais ils avaient mit une fenêtre, comme s'ils voulaient voir plus grand, voir plus loin. Un détail avait retenu mon attention sur cette fenêtre. Elle n'était pas quelconque car elle avait posée sur sa poignet, un attrapeur de cauchemar. Vous savez, cet intriguant collier fait de plume accrochées autour d'un cercle qui lui avait une sorte de toile de fil au centre. Comme une toile d'araignée. Je pense que c'est à cet endroit qu'il attrape les cauchemars. Kyle faisait donc des cauchemars ? Il ne m'en avait jamais parlé. Mais il ne me parlait jamais. Ce que je ne vous ai pas dit, ni mentionné, c'est que cette pièce n'avait aucune forme. Elle n'était ni carrée, ni rectangulaire, et ce n'était pas non plus un polygone. On ne pouvait donner aucune forme à cette pièce. Un peu comme l'être humain ; il est à la fois une matière, une poussière, un liquide, une chair. A côté de cette fenêtre, il y avait une autre commode ancienne. Cette commode avait deux étages ; une petite étagère et un plan de travail en dessous. Celle-ci était petite et elle possédait deux grands tiroirs. Sur le premier étage de cette petite commode, se trouvait une petite poupée et sur le plan de travail, un minuscule bébé enveloppé dans sa couverture. Ces objets avaient surement du appartenir à la sœur de Kyle ; Maggie. Oui, car avant d'être la chambre de Kyle, c'était celle de sa sœur. Lui dormait juste en face. Maintenant la chambre de Maggie était devenue celle de Kyle, et la chambre de Kyle est devenue celle des enfants accueillit dans la maison. Sur ce plan de travail, juste à côté du bébé enveloppé dans une couverture, il y avait un immense globe représentant notre monde. Un désir de voyage ? Sûrement. Les jeunes rêvent de voyager et de découvrir le monde. J'avais trouvé cela étrange que ce globe soit précisément à côté d'un bébé. Serait-ce un acte inconscient pour nous rappeler que nous sommes tout petit ? Là encore, je m'interrogeai mais je n'avais aucune réponse. Ce n'était pas ma maison. Ce qui était étrange dans cette chambre, mis à part son informité, c'était le fait que l'on avait l'impression que cette pièce conjecturait vers l'infini. Certes elle s'arrêtait mais elle possédait une profondeur cachée derrière l'immense bureau de Kyle. J'avais l'impression de regarder un vide. Etait-ce le néant de sa vie ? Ou ce vide représentait-il l'angoisse de son existence ? Ce ressentis en regardant cette partie de la pièce m'inquiétait. Je m'imaginais endormi sur le lit au milieu de la pièce. Mes yeux s'ouvrirent vers cet infini inquiétant. Un monstre pourrait surgir de ce vide. Mais ce vide, ou ce néant pourrait être aussi une porte vers un autre monde. Je ne savais jamais quoi penser de cette partie de la pièce. Pour éviter de ressentir cette inquiétude, j'avais pris l'habitude de regarder les objets du bureau de Kyle. Ce que l'on remarquait en premier, c'était son ordinateur, un peu tape à l'œil. Il était tout le temps allumé sur des partitions de piano. Mais pour l'heure, j'étais intriguée par le bazar sur son bureau. Alors que chaque chose était rangée à sa place, seul son bureau était un capharnaüm de papier, de cahier, de partition en tout genre. En revanche, autour du milieu de ce bureau, les choses y étaient rangées. Ses livres de « sciences et découvertes », ses robots miniatures, ses livres sur la physique, la biologie. Et puis il y avait ces photos. Ces deux photos de lui petit. Sur la première il était sur un piano. C'était son piano m'avait-il dit. Sur cette photo il avait six ans. Sur la deuxième photo, c'était son portrait. Une photo d'école il me semble. Il est tout sourire, heureux. Un bonheur simple d'enfant. J'aimais cette photo. Elle dégageait de la force, du courage, de bonheur, de la joie. La tristesse et la peine n'y étaient pas, comme bannit d'un pays. Au plafond, Mrs Smith avait accroché un lustre d'un style oriental. A chaque fois que je le voyais, j'aimais me mettre dessous et toucher les perles qui dégoulinaient comme des perles de pluie sur une vitre. En dessous de ce lustre, j'avais l'impression d'être partie dans un autre monde, un monde irréel et magique. Voilà sa chambre. C'était la sienne et elle lui appartenait.
Je me réveillais près de ses cheveux. Il sentait bon. Son odeur m'évoquait une nostalgie étrange. Je le regardais dormir encore un peu, puis me décida de continuer mon exploration, dans la maison. M'agrippant au drap pour cacher ma nudité, je me dirigeai vers la mezzanine. Dans cette partie de la maison, je me sentais comme en sécurité, intelligente, et curieusement différente. Je ne saurais expliquer pourquoi. Ce lieu, enfin cette infime partie de leur maison, me redonnait une confiance et une assurance que jamais je n'avais ressentis. Les sentiments sont étranges. La première chose que l'on remarquait en arrivant ici, c'était l'échiquier posé sur une magnifique table basse. J'y avais joué avec Kyle une fois. Bien entendu, il m'avait battu. Mais qu'importe. J'avais l'impression que cet échiquier rendait la pièce plus intelligente, plus intellectuel. Posés près de la table basse, on pouvait découvrir des coussins à motif léopard. Un côté sauvage que Mrs Smith avait voulu signifier dans sa maison, mais aussi dans son propre caractère. On pouvait aussi remarquer un fauteuil et un canapé en bois tressé. Ces objets de décoration étaient aussi différent les uns des autres. Je trouvais qu'ils rendaient la pièce unique mais aussi extraterrestre. Une pièce hors de la loi du temps et de la gravitation. Juste à droite de ces objets, il y avait une commode, assez grande. Sur celle-ci y était posé un bateau. Mr Smith aimait les bateaux. Je ne vous ai pas encore parlé de lui. C'est parce que je trouve qu'il est peu présent dans les objets de la maison. Comme si c'était sa femme qui contrôlait chaque chose, chaque personne dans la maison. A gauche de cette commode, une bibliothèque. Enfin, une microscopique bibliothèque car il n'y avait qu'une rangée. Mais il n'y avait que des livres intéressants. Notamment des livres de voyages. Je pensais que c'était dans cette partie de la maison que l'on retrouvait Mr Smith. Je venais de me rappeler qu'il adorait les voyages. D'ailleurs, il en faisait souvent avec son travail. Parfois, lorsque je le regardais, je ressentais comme un vide. Comme s'il lui manquait quelque chose, une folie dans sa vie, une sorte d'aventure qu'il n'avait pas pu achever. J'aurais aimé lui dire qu'il en avait encore le temps, il avait le temps de découvrir autre chose, il avait le temps de découvrir ce monde qu'il voudrait regarder par-dessus ses lunettes. Mais je me taisais. Je me taisais parce que je n'étais pas de leur famille. Je n'étais qu'une simple étrangère, une personne de passage dans cette maison. Je détournai la tête pour poser mon regard sur l'autre partie de la mezzanine. C'était la partie « bureau ». Au centre, posé en biais, il y avait encore une commode. Dessus, il y avait un vieux téléphone, une vieille radio, et des photos de famille. J'aimais l'esprit vintage qu'avait crée Mrs Smith. Puis, juste à côté, il y avait le bureau. Un ordinateur fixe et une imprimante oppressait le paysage vieillot de cette pièce. Mêlant technologie moderne et technologie ancienne, Mrs Smith avait su faire ressortir la continuité de deux siècles. Accroché sur le mur, Elizabeth avait décidé de poser une immense horloge de gare londonienne. Le temps était-il si important pour elle ? Sur le mur conjoint à celui-ci, elle avait remplacé le « tableau des cartes postales » par un tableau d'artiste. Mr Smith était-il d'accord ? Je longeais le mur, et je me retrouvais en face de ce miroir, juste à côté de la chambre de Mr et Mrs Smith. Je me suis toujours demandé pourquoi ce miroir, qui était posé sur une armoire avait été mis ici. Pile en face de la fenêtre. Peut-être voulaient-ils se contempler dans l'infini. Je me regardais alors dans ce miroir si particulier, le miroir pile en face de la fenêtre. Mais mes yeux ne me fixèrent pas longtemps, attirés par cette chambre sur ma droite. J'y entrais. La chambre de Mr et Mrs Smith. Je n'arrivais pas vraiment à trouver un style à cette chambre. Je pensais à l'époque victorienne et napoléonienne en même temps. Peu importe, cette chambre reflétait un certain raffinement. Cette chambre me paraissait plus petite que les autres. Une sorte de nid d'amoureux peut-être. Je sortis de la chambre des Martin et je me dirigeai vers la salle de bain du premier étage. C'était une salle de bain quelconque avec une petite douche et un immense miroir. Pourquoi les personnes avaient toujours de grands miroirs dans leur salle-de-bain ? Je me demandais bien ce qu'ils pouvaient regarder ? Leurs regrets ? Leurs déceptions ? Leurs peines ? Je ne savais pas, mais je décidai de faire comme eux. Me regarder fixement devant le miroir. Mais je ne voyais rien, je ne ressentais rien. Tout ce que je voyais, c'était une fille inconnue. Une fille qui n'était pas moi. Soudain, une ombre cacha un de mes yeux. C'était lui. Il était excité car je pouvais sentir son érection au creux de mes reins. Je me demandais ce qu'il ressentait quand je m'offrais à lui. Peut-être qu'il ne ressentait rien. Tout était plausible ; il y a énormément de possibilité sur ce que ressent un être humain. On peut cacher, étouffer, enterrer un sentiment. J'étais encore prise au piège, je ne pouvais plus poursuivre mon aventure dans la maison.
Le revoilà endormi. Les rayons du soleil reflétaient sur sa peau et lui donnaient une brillance presque évangélique et mystique. Je recommence. Mais cette fois-ci, j'allais vers son ancienne chambre. Elle aussi avait changé. Plus de tapisserie, mais une peinture bleu turquoise. L'ancien lit de Kyle était recouvert d'une jolie couverture fleurie. Un doudou était posé sur un fauteuil et une armoire était à la place du bureau. Ce n'était donc plus sa chambre. La chambre où Kyle et moi nous nous embrassions, où nous passions notre temps ensemble. Maintenant c'était une chambre de petite fille. Notre amour n'y existait plus. Il s'était envolé par la fenêtre. Je repensai à cette période avec nostalgie. C'était l'époque ou un amour entre deux jeunes personnes était en train d'éclore, de naître. Nous passions des heures à nous embrasser, nous regarder. Il me parlait de sa journée, des ses envies, de ses loisirs, et moi je l'écoutais. Mais le meilleur moment était lorsqu'il me jouait du piano, en bas de la maison, près de la cheminé, entouré par les tableaux d'Elizabeth. Je m'asseyais sur le canapé qui était placé juste à coté de son piano. Je pouvais l'écouter durant des heures. Nous étions hors du temps. La musique défilait sur les aiguilles de ma montre et je ne m'en rendais pas compte. Nous étions heureux. Parfois, je venais m'asseoir près de lui pendant qu'il jouait. Je le regardais d'abord, puis il m'apprenait ensuite. Ses doigts. C'est la première chose que j'avais remarqué chez lui. Ce n'est pas les doigts d'un homme qu'il possédait, mais les doigts d'un ange. Avant même qu'il ne les posait sur les touches du piano pour jouer sa note, mon cœur était déjà en ébullition. Et lorsqu'il était lancé, Kyle n'était plus avec moi, il était dans un autre monde. Un monde auquel je ne pouvais pas y accéder, mais que je pouvais regarder de l'extérieur. Et ce monde avait l'air si beau, si tranquille que je m'étais laissé emportée. Il ne jouait pas de la musique, il était la musique.
Le canapé dans lequel j'étais assise, tournait le dos au deuxième. Ils avaient pourtant les mêmes motifs, possédaient le même bois. Ils étaient identiques, mais pourtant, ils se tournaient le dos, comme s'ils avaient pris des chemins séparés. C'est ce qui arrive en général aux anciens amoureux ; ils se rendent compte de leur erreur et choisissent de continuer leur chemin sans l'autre. Derrière ce canapé, il y avait trois objets qui avaient retenu mon attention ; deux livres d'énigmes, un jeu d'échec et une malle. Lorsque je les avais vus la première fois, j'avais pensé qu'ils aimaient les voyages d'aventures. Je n'avais pas tord. Juste en face de l'échiquier posé sur une autre table, il y avait une deuxième bibliothèque beaucoup plus fournie que la première. Un livre s'était démarqué des autres. Ce livre sur la physique. C'était celui de Mr Smith. Il avait été comme sa bible. C'était assez paradoxal d'ailleurs ; un livre de physique comparé à la bible. Pourtant, Mr Smith comprenait ce qui était écrit et il croyait en ces écrits. Il était un homme de raison, tout comme sa femme. Parfois, je me demandais s'il pouvait décrire d'une façon logique ce qu'ils ressentaient. La télévision se tenait juste à côté de la bibliothèque. Sur le sol, face à elle, on découvrait des coussins entassés, et sur la droite, une pièce rectangulaire accueillant une immense table pour les invités, un immense miroir et une vue imprenable sur le jardin. Cette pièce était composée d'un style exotique qu'elle côtoyait avec un style colonial [...]