SNOW

Aurelie Blondel

Partie 9

[... mêlés à ses soupirs]

Je m'investissais sans mal dans cette relation qui avait pris une nouvelle tournure.
Nous fonctionnions à la façon d'une résidence alternée, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Cependant je ne me sentais toujours pas prête à franchir le cap du vivre ensemble à plein temps. 
Notre couple était officiel au travail désormais et cela représentait pour "Gaston" comme pour moi une preuve d'amour suffisante. 

Ah le travail... Je m'efforçais de faire abstraction des bruits de couloir assez désobligeants qui se chuchotaient par ci par là dans mon dos mais dont je n'ignorais rien. 
Je mettais cela sur le compte de la jalousie ou de cette nécessité quasi irrépressible pour certains de dire du mal des autres.
Mais des commérages blessants malgré tout parce que je pensais la même chose. 

De toutes les questions que j'avais pu me poser sur Snow, j'en avais eu les réponses bienfaitrices grâce à la dernière et seule vraie conversation que nous avions eue.
Avais-je déjà eu une véritable conversation avec "Gaston"? 
Nous nous entendions bien, rigolions énormément ensemble, nous avions beaucoup de points communs. Un quotidien très agréable.
Mais je ne lui avais jamais posé la question que je m'étais promis de faire.
Qu'est-ce qu'il pouvait bien me trouver?
Et ces cancans d'entreprise ne faisaient qu'aviver cette envie folle de le lui demander et dans ce manque de confiance en moi. J'étais la Bête et lui le Beau ? Comment se terminait cette histoire si elle était écrite?

Il paraissait si parfait... physiquement, professionnellement, intellectuellement, dans son humour, sa façon de me faire l'amour, de s'exprimer, son altruisme, sa gentillesse, sa tendresse, son rire... Tout.
Je me sentais tellement insipide, médiocre à ses côtés. D'une banalité affligeante. Maladroite, gaffeuse, juste jolie, un look décalé qui détonnait avec son chic.

Nous n'étions vraiment pas assortis extérieurement. Il n'y a que la vérité qui blesse... Je lui poserai la question après le travail même si je soupçonnais déjà sa réponse. Une réponse parfaite ? Le cœur a ses raisons que la raison ignore... J'espérais qu'il ne me réponde pas cela. 
Je le regardais à travers la vitre floue de mon bureau, concentré à son poste de travail dans l'open-space. 

La journée terminée, nous rentrions ensemble, chez moi cette fois-ci. Je profitais du trajet pour me lancer. 
"-Tu n'ignores pas ce qui se dit sur notre couple au boulot?"
-"En effet... Et je les emmerde. J'aime quand tu dis le mot couple pour parler de nous." 
Il me sourit. Adorable.
-"Qu'est-ce que tu me trouves? Ils n'ont pas tort tu sais, je suis lucide."
-"Tu ne devrais pas te poser cette question. Laisse les dire. Bande d'abrutis!"
"-Non, je suis sérieuse. Je m'en fiche de ce qu'ils disent ou pensent au final. Je me posais cette question bien avant qu'ils sachent pour nous et expriment ce ressenti."

J'avais faussement supposé sa réponse. Une habitude décidément...
-"L'amour n'est pas une question de physique. Ni une question de raisons. On peut être beau pour quelqu'un comme laid pour d'autres. C'est un tout. Tu es mon tout, mon plus que tout et tu te sous-estimes."

Ses mots me firent rougir de flatterie non contenue. "Gaston" parfait...

Arrivés chez moi, il m'entraîna dans la salle de bain. Nous avions remplacé le tripotage d'ado en voiture, à la sauvette, par ce rituel érotique.
Nous filions sous la douche, s'adonnant à des plaisirs torrides, sans pudeur et une pratique toute nouvelle pour moi et dont il raffolait. La douche était l'endroit idéal pour cela, plus agréable, moins douloureux.

Et je devais avouer que j'aimais ça aussi. Surtout le moment précis où après s'être repu de moi, nos corps collés l'un contre l'autre, une de mes jambes relevée sur son bras, il me retournait contre la faïence glacée de la douche, me plaquant les seins dessus, réagissant immédiatement à ce choc thermique soudain. Il appuyait ensuite une main sur mes reins pour me faire me cambrer encore plus et de l'autre, il s'empoignait le sexe fermement -déjà bien excité et sensible- et me l'introduisait doucement dans mon orifice le plus étroit. 

Je n'aurais jamais imaginé faire et même aimer ce genre de choses.  Cette pratique était très éprouvante physiquement. Le temps de m'y habituer certainement. Heureusement, il explosait rapidement dès qu'on nous le faisions.

Cette nuit là, impossible de dormir. Ayant le sommeil léger, il avait pris l'habitude, pour ne pas me déranger, de mettre son portable sur vibreur. Il avait visiblement oublié et des bips de notifications n'en finissaient pas de sonner. 
Je tendais la main vers sa table de chevet pour le mettre en mode silencieux et enfin dormir lorsqu'il me saisit brutalement le poignet pour arrêter mon geste. Tellement brutalement que j'en sentis mes os craquer et une douleur intense me remonter tout le bras. 
-"T'allais fouiller dans mon portable?? 
Il ne plaisantait pas, hargneux et ne relâchait pas son étreinte autour de mon poignet.
-"Réponds!!" me cria-t-il sur un ton autoritaire.
-"Tu me fais vraiment mal, enlève ta main..." le suppliais-je
Il regarda la mienne dont les veines étaient gonflées par sa pression. Puis m'en délivra délicatement.
-"... Tu reçois des notifications à n'en plus finir. J'arrivais pas à dormir, je n'allais pas fouiller c'est promis, je voulais juste le mettre en silencieux."
Il me sourit et me dit gentiment: "Il suffisait de me réveiller et me le dire, tu m'as collé une de ces frousses, comme ça en plein rêve bizarre"

Je me sentais fautive. La situation avait eu de quoi porter à confusion effectivement et le réveil surprise n'est pas des plus agréables. Je lui demandais pardon. 
Il m'embrassa, éteignit son portable et se rendormit contre moi. 
Mon poignet palpitait de douleur et je ne parvenais plus à le bouger. 

Au réveil, il m'apporta un petit déjeuner au lit, déposa un baiser tendre sur mon poignet et s'excusa encore. 
Je ne lui en voulais pas. Il ne s'agissait que d'un réflexe aux conséquences un peu malheureuses. 
Du moins j'essayais de m'en convaincre. 
Je me préparais lentement, j'avais la tête de celle qui avait fait une belle insomnie et mon poignet portait les traces bleues de ses doigts. 
Il me pressait pour ne pas être en retard. Je me disais qu'il pourrait se montrer un peu plus compatissant. Mais je me taisais. 

A peine arrivée au boulot que tous les yeux se posaient sur moi. J'avais si mauvaise mine?
J'eus en revanche l'agréable surprise que ma nouvelle collègue entre dans mon bureau avec le souhait de discuter un peu avec moi. Chose qu'elle ne faisait que rarement. J'en étais ravie, me disant qu'elle commençait enfin à se sentir intégrée. 
Je l'accueillais avec un grand sourire. Pas elle...
Elle s'assit, me fixa dans les yeux, me regarda le poignet et me dit: "Il est cassé, il recommencera. Je peux voir ses textos de mon bureau. Méfiez vous de lui et de son meilleur ami. Ils sont diaboliques. Allez faire une radio."
Puis elle sortit et rejoignit son poste de travail.

Je tournais le regard vers "Gaston". Il nous avait observé et paraissait soucieux. 
Je la crus aveuglement. Elle ne me mentait pas. J'en avais l'intime conviction. 

Je ressortais des urgences, plâtrée. Mon poignet bel et bien cassé et la tête pleine des conseils et recommandations données par le médecin à propos des violences conjugales.
Il n'aurait pas du agir ainsi, quelle qu'en soit la raison. Et j'étais bien déterminée à faire la connaissance de son meilleur ami dont il ne m'avait jamais parlé. 

Ce n'est pas de la jalousie, je le sens vraiment pas ce type... C'était difficile à admettre mais Snow avait eu du flair. 


Aurélie.

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