Sofia
tadamok
A longueur de journée, il épiait le décor.
Pancartes, parapets, chaussées peinturlurées :
Tel était le spectacle qu'il devait renvoyer,
Le tout dans un vacarme à réveiller les morts.
Un matin de printemps, affublée de promesses,
Du tréfonds de ses rêves, surgit une princesse.
A peine eut-elle pris place au volant de l'auto
Qu'il tomba de sa grâce sous le charme aussitôt.
Malgré embouteillages, cyclistes et piétons,
Elle seule emplissait tout son champ de vision.
Jamais, hélas, la belle, apprenant à conduire,
Pas même à un feu rouge, ne le regarda luire.
Ignoré, délaissé, transparent à ses yeux,
Dans le bruit et le froid, il rêvait en secret
De pouvoir, un beau jour, refléter ces derniers,
Qu'ainsi ils aient conscience de leur éclat soyeux.
« As-tu bien remarqué combien ils sont sublimes ?
Etincelants de flammes, invitant au voyage,
Ils exaltent à eux deux l'écrin de ton visage.
Approche, mire-toi, contemple ton image.
Apprécies-tu ces traits, fruits de mille brassages,
Frôlant la perfection en ses plus hautes cimes ?
Sais-tu que ton sourire façonne une œuvre d'art ?
Cependant que surgissent de saillantes pommettes,
A l'orée de la joue se creuse une fossette.
Vois-tu, dès que renaît ton âme guillerette,
L'esprit de cette quenotte, tapi en sa cachette,
Et le bain de jouvence qu'il offre à ton regard ?
Perçois-tu l'éclosion de cet air malicieux
Qui, d'un souffle, éparpille des étoiles dans tes yeux,
Quand parfois tu lutines, manœuvrant l'ironie ?
Et cette sombre crinière, fluctuant à l'envi ?
Torsade aujourd'hui, ondulations hier,
L'alternance, mesdemoiselles, est le secret pour plaire. »
Par salves régulières, il mandait ses lubies.
Nonobstant ses ahans, point de télépathie :
Aucun de ces mots doux n'atteignit les esgourdes.
A toutes ces questions la nymphe restait sourde.
On avait beau lui dire, moniteurs et amis,
Que les rétroviseurs, lui purent sauver la vie,
Pas la moindre attention, pas le moindre coup d'œil.
Et quand du cours suivant, elle se trouva au seuil,
Démarrant la berline, la belle se rendit,
Des réglages rituels, coupable de l'oubli.
D'abord désespéré à l'idée de ne point,
Comme à son habitude, mirer son doux visage,
Notre ami renaquit dès qu'il vit son corsage,
Et une heure durant, d'un ballet fut témoin.
Circonstance inédite, le buste était disjoint :
Infamie d'une sangle, qui, à chaque freinage,
Au pudique pilote, un peu plus fit outrage,
Resserrant son étreinte en se rêvant conjoint.
« Je n'ai qu'une obsession, et c'est là mon devoir :
Quand survient l'accident, retenir les fuyards. »
« Mensonge, s'exclama-t-il, félonie que cela !
Multiples sont les lois, qui, au cours de l'Histoire,
Briguant sécurité, menèrent au pugilat ! »
Cœur aimant, ce disant, il ne put lui en vouloir :
Parfaitement tracés, si bien proportionnés,
Génialement apprêtés en un large décolleté
Fait de tissu plissé soigneusement noué,
De mémoire de dossier, jamais ceinture n'avait
Dans aucune contrée, drapé si beaux attraits.
Promis juré craché, ouallah poil aux nénés !
A la leçon suivante, une fois n'est pas coutume,
Le soleil francilien ne fut pas mollasson.
On put même, vitre ouverte, se préserver du rhume :
A la splendeur du cadre vint s'ajouter le son.
Le discours qu'il perçut fleurait bon l'allégresse.
D'euphorisants nuages s'élevaient en arabesques.
Par moments s'échappaient des bouffées de sagesse.
Ce qu'il faut de respect, un soupçon de finesse :
Cette vraie quintessence d'élégance mauresque
Ornait comme il se doit une immense gentillesse.
Le tout, formant déjà un tableau fort joli,
Etait agrémenté d'une pincée de folie.
Quant à l'éternuement, ce fut l'apothéose :
Il semblait le clairon d'un pinson virtuose.
L'expérience sonore, intense quoique brève,
Acheva de sceller l'ancrage de son rêve.
Le jour de l'examen, bouillonnant de désir,
L'adorateur muet, dans un dernier caprice,
D'un éclair aveuglant s'accorda le loisir
D'altérer le discours de l'examinatrice :
« Vos rétros, mademoiselle, surveillez vos rétros !
Il est impératif, dans tout déplacement,
D'avoir pleine conscience de son environnement !
L'imprudence au volant constitue un délit.
Revenez donc me voir quand vous l'aurez bannie.
En attendant, ma chère, vous prendrez le métro ! »
Ne pouvant se résoudre à de cruels adieux,
Le galant forcené trois fois récidiva,
Mais le cinquième essai fut un succès glorieux,
Et vint offrir enfin droit au certificat.
Tandis que, radieuse, elle serrait les poings,
L'amant inconsolable, tout de vers et d'acier,
A travers l'inspectrice lui glissa un billet.
« Mes félicitations, vous voilà diplômée ! »
La bouche pleine de « merci », elle semblait enchantée
A l'idée d'aller seule à l'assaut des ronds-points.
Elle quitta le cocon de sa métamorphose,
Et il la vit, folâtre, rejoindre pour toujours
Le royaume du passé à l'angle du carrefour,
En serrant sur son cœur un petit papier rose,
Sur lequel on peut lire, si on croit aux poèmes,
Le plus beau des permis, celui qui dit « Je t'aime ».
Merci ! C'est vrai que j'aime bien le côté classique de la construction des poèmes, avec au minimum des rimes et un même nombre de pieds du début à la fin, autant de règles à respecter sans s'éloigner du sens de ce qu'on veut exprimer. C'est ce qui rend l'exercice de style intéressant selon moi.
· Il y a presque 14 ans ·tadamok