Sofia
Caïn Bates
Sofia, la plus belle gosse des rues, la plus instruite des filles de catins, la plus chère aussi. La liste de ses clients s'allongeait à chaque semaine qui passait, le tavernier du coin prenait les réservations en échange d'un petit pécule. Victime de la Justice, Sofia connaissait mieux que toutes les poupées de Londres comment cette ville fonctionnait, comment les hommes étaient faciles à manipuler, comment le coeur d'une femme était simple à briser.
Les règles étaient simples: pour un penny, Sofia vous parlait; pour 5 pence, elle faisait la même chose en s'asseyant sur vos genoux; pour 10 pence, elle concluait la scéance par un baiser. Pour cette somme, vous ne pouviez bien sûr pas la toucher, un homme restait silencieusement dans un coin tout le long pour eviter tout "débordement". Pour un shilling (12 pence), Sofia vous offrait sa tendresse et pour 2 de plus, elle le faisait selon votre bon vouloir (tant que vous respectiez les règles de séance).
Les clients qui payaient des sommes accrues étaient plus rares mais plus influents encore, il n'y avait pas un seul bourgeois qui ne l'avait visitée. 1 pound suffisait à lui ôter sa tunique crasseuse, 2 pound lui retirait toute pudeur, 5 pound et sa docilité fuyait, 10 pound et ses larmes coulaient, 12 pound et vous vous endormiez subitement contre elle, 15 pound et vous ne vous pouviez plus vous réveiller, 20 pound et votre famille brulait.
À votre première visite, Sofia était candide. À la seconde, elle avait le regard accusateur de votre femme et, à la dernière, elle exposait son gisant encore tiède dans le lit que vous veniez juste de louer. Cette dernière visite se finissait presque toujours par une douce étreinte autour de votre gorge qu'elle infligeait avec la corde qui lui avait retiré son père le jour de ses 8 ans.
Les règles étaient si simples car Sofia connaissait mieux le monde que toutes ces putains qui rendaient heureux les porcs. Souillée par les larmes et le sang, impure jusqu'au plus profond de son âme, celle qu'on avait jugée à tort etait devenue voleuse des biens les plus precieux que vous aviez: elle vous attrapait d'abord par votre crédulité, vous arrachait le coeur et celui de vos proches avec ses mains d'enfant avant d'aspirer votre âme lors d'un subtil baiser. Plus que votre vie, elle dérobait toute votre influence pour l'éparpiller sur les pavés, le peuple n'ayant plus qu'à vous piétiner.
C'était le prix élevé à payer pour baiser la plus instruite des catins de Londres.