Son regard de braise (Dr Forlen)

Caïn Bates

        Dehors, on pouvait entendre le troupeau qui commençait à s'attrouper dans le champs à l'arrière de la cité, profitant de nos rares moments de liberté. Je pouvais presque sentir le mal depuis l'obscurité de sa tanière, seul un mince rayon clair parcourrait la pièce, je tentais de regarder mais ça me dégoûtais, les cloches sonnaient. Les citoyens la condamnaient mais je commençait à me sentir comme elle. Je l'ai vu rôder ces treize dernières heures et les ai passés à penser. Elle s'est levée et s'est habillée puis a embrassé sa femme et sa fille. Au contact de la lumière, sa peau s'est mise légèrement à scintiller, je lui ai souri.
        Je les revois encore l'enchaîner à la chaise, ils allument un feu et les cloches se remettent à sonner. Ils commencent à réciter des litanies quand ils voient ses pieds se réduire en cendres, quand ses muscles craquent, que sa moelle et son sang sifflent, que sa chair se consume comme du cuir rétréci. Les os de ses jambes pendent au dessus des flammes qui montent pour lécher ses cheveux, son crâne devient comme une boule de métal en fusion, ses yeux étincellent puis fondent dans leurs orbites. Quand elle ouvre la bouche, elle boit le feu et quand elle la ferme, le feu se propage à l'intérieur et pourtant, les cloches sonnent toujours, personne ne semblait vouloir la sauver.


           
         13 ans qu'Alec et moi avions assistés à cette exécution arbitraire du Conseil des Mœurs. Epöna se devait de rester pure de toute déviance selon eux, c'était inscrit dans un texte très ancien retrouvé dans les décombres d'un lieu de culte en pierre surmonté d'un homme accroché à une croix. Ce livre contenait nombre de punitions pour ceux qui présentaient des signes de "monstruosité". C'est peu de temps après qu'il s'est enfui, ils voulaient s'en prendre à lui depuis qu'il avait incendié le vestiaire des bourreaux qui venaient d'arrêter des jeunes filles légèrement vêtues aux abords des remparts. Il savait qu'elles seraient leurs prochaines victimes.

        J'ai mis tant d'années à comprendre qu'il avait raison, que c'est moi qu'il tentait de protéger, je suis comme elles. Je ne compte plus les heures passées à me questionner sur cette étrange attirance, je ne suis ni louve ni folle, mais ils me disent "Luciférienne". Je ne sais pas ce que ça signifie mais désormais, je m'exécute à cette voix, à sa vue je vomis de peur tellement son corps est large et froid. Elle supplante ma couche chaque nuit, dérobant bible et idoles comme si je devais défier les dieux. Je les entends frapper à la grande porte en bois et la voix de la déesse est revenue plus forte que jamais:

          "Dans cette lumière, tu seras à moi pour les siècles des siècles. Les ténèbres seront les témoins de notre union, les foudres du ciel seront nos cierges. Je te possède, j'embrase notre étreinte par cette dernière onction, moi, fiancée de ta perdition."

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