Son Sourire

Al'

18.02.14

Ce sourire, vous le voyez, ce sourire ? Non, vous l'voyez pas, vous l'voyez plus. Il a déserté ses lèvres, ne vient plus taquiner son visage et ne se ressent plus par ses yeux. J'vous jure, c'est le mur, elle-même s'en rend compte, elle arrive plus à sourire, ou à rire et ça lui fait mal. Elle me lit des extraits d'son journal qu'elle s'est mise à tenir et j'peux vous garantir que c'est pas la joie, c'est même un peu comme une hécatombe, vous savez, le genre de bombe qu'on lâche pour faire pleurer les morts, parce que non, les faire se retourner dans leur dernière demeure, c'est trop connu et revu. Alors maintenant, on les fait chialer, ces pauvres vieux.

 

Mais son sourire. Ca fait une éternité que j'en ai pas vu un vrai, beau et vigoureux sur ses lèvres, qui vienne de son cœur et de ses tripes. Au fur et à mesure qu'on avançait dans l'année, son sourire s'est fané, parce que oui, son état se dégradait. Aujourd'hui, ça fait 5 mois et 25 jours -quelque chose comme ça, presque six mois- qu'elle est dans l'enfer blanc. Et, ce soir, elle m'a avoué qu'elle n'avait pas changé d'idée, que son poids idéal serait toujours 38 kilos, des os en verres et de la peine à tenir debout. Elle se torturait à une époque, elle était son bourreau et sa victime, et elle l'est toujours, même si c'est dans une moindre mesure.

 

Et elle est toujours paumée, en dérive sur son radeau construit à la va-vite, débris de son corps, débris de son âme, pour seul fardeau. Et j'vous assure, c'est si dur de voir qu'on n'a pas assuré dans ce rôle de protection qu'on assimile au grand frère ou à la grande sœur. J'vous jure, j'ai l'impression d'avoir échoué. Elle-même m'a dit que j'aurai rien pu y faire mais j'peux pas m'en empêcher et pour tout vous dire, ça me laisse un goût amer dans la bouche.

 

Cette année qui se termine, j'me rends compte que ça aura été la pire comme la meilleure. Comme toutes les autres. Mais disons que là, je l'ai sentie passer. En quelques mois, on s'est enfoncés dans une routine de manque et de tristesse, depuis ce terrible jour de juin, pour remonter la pente au fur et à mesure qu'on avançait dans le temps. Se dire que c'est presque fini, se dire qu'elle va et ira bientôt mieux est le soleil de mon existence, comme si je ne vivais que pour ça, un peu comme mon oxygène, peut-être, un peu comme la lumière qui me guide depuis que tout a commencé, depuis que tout a continué et que tout s'est déchaîné.

 

Cette année se termine et dans notre famille, on profite, on passe un maximum de bons moments, et on souffle. On ressent l'instant présent, oui, on vit, réunis comme avant. On recommence tout, étape par étape. Tout s'enchaîne, tout se remet en place. Et, cette fois, tout se vit à la seconde. Sa présence, celle d'êtres à qui l'on tient. Son sourire, ses paroles, ses rires, que j'arrive parfois à lui soutirer. J'me sens tellement heureuse, à chaque fois, puis quand elle-même sort des conneries, des remarques, des blagues, avec un p'tit sourire en coin. Elle a encore un peu de mal mais elle est sur la bonne voie. La fin de l'enfer puant approche. J'vous jure, le jour où elle sera sortie définitivement, on aura traversé une étape, la plus grande, de notre vie de famille. On sera grandis, mûris puis moi, je serais plus sûre d'affronter la vie avec elle à mes côtés. Elle est une partie de mon sourire, de mon cœur, de mes tripes et de mon sang, et je sais que je donnerai beaucoup pour elle, à commencer par ma vie, s'il le fallait. Tout, pour lui redonner le sourire. Tout pour qu'il renaisse de ses cendres. Tout pour qu'elle reprenne espoir et nous avec. Tout pour y croire à nouveau. Toujours.

 

On se rend compte à quel point on tient à quelqu'un lorsqu'on risque de le perdre.

 

Vital et fou.

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