Sorio - Liberté

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atelier écriture du mardi 13 octobre 2015 Une image, qui devient le décor d'une scène de théâtre/film. Raconter ce qui s'y passe... j'ai choisi Chad, ma halfeline <3
L'été vient à peine de commencer, et déjà le sol se fait sec et chaud. En cette fin d'après-midi, les nuages, au loin, peinent à quitter les vastes horizons réchauffés par les rayons du soleil. Les hectares de vignes de la famille Vert'Epine s'étendent à perte de vue, entre les grands prés et les massifs, qui seront bientôt remplacés par d'autres hectares de vignes.

Ses longs cheveux noirs rassemblés en une grande tresse derrière sa nuque se perdant dans le vent, sa robe déchirée relevée au-dessus de ses genoux meurtris par ses chutes multiples, les larmes dévalant ses joues à grands torrents, Chad court, à perdre haleine, à travers le bois clair, trébuchant sur chaque pierre, chaque branche morte. Insensibles à sa peine, tout autour d'elle, les troncs immenses et fins s'étirent pour toucher le ciel de leurs branches hautes. A cet instant la petite créature rêverait d'être aussi grande qu'eux pour atteindre l'univers, s'y agripper, s'extraire du sol et s'échapper de ce monde qu'elle hait, qu'elle déteste de toute son âme.
A travers ses sanglots, la petite halfeline voit l'horizon. L'ailleurs, le Monde, arpenté par des créatures et des peuples de toutes formes, de toutes races. Il est là, juste là, elle n'a qu'à franchir cette limite pour quitter le domaine viticole de ses parents, et commencer une nouvelle vie, SA vie, une vie qu'elle aura choisie. On ne marie pas Chad comme on met des fleurs dans un vase. Chad est un oiseau que l'on ne peut mettre en cage, elle est libre comme l'air, elle va où elle veut, fait ce qu'elle veut, comme ça lui plait. Personne n'a le droit de lui dicter son comportement, ni de qui elle doit être l'épouse. Du haut de ses 75cm, elle se fraie un chemin à travers les arbres massifs et si imposants pour elle. Ils ne lui font pas peur, Chad n'a peur de rien ni de personne. L'interdiction, le danger, la mort, elle s'en rit. Rien ne peut l'arrêter.
Cela fait si longtemps qu'elle court, entre ces géants immobiles, qu'elle n'entend pas le bruit terrifiant qui la suit, seulement sa respiration sifflante et son cœur qui bat à ses tempes. Elle est si préoccupée par l'idée de fuir sa famille qu'elle ne sent pas le sol trembler un peu plus à chaque instant. Ses yeux qui regardent droit devant, vers son salut, ne remarquent pas que, petit à petit, son ombre est engloutie par une autre, noire et angoissante. Son esprit avide de liberté ne prête aucune attention à son instinct qui lui hurle de se cacher du regard de la bête ignoble qui la suit. Ce n'est que lorsque le monstre gigantesque frappe la terre séchée de sa patte énorme à côté d'elle, que la halfeline comprend enfin. Mais il est trop tard. La force de l'impact la projette dans les airs avant qu'elle ne retombe sur le sol, entre les pierres grises et les racines noires de ces arbres effilés qui se tendent vers le ciel. Le souffle coupé, sonnée par le choc, elle se redresse péniblement. Elle lève la tête, et ce qu'elle voit alors la fige sur place.
Les deux larges cornes tendues sur sa tête large, couplée à sa silhouette carrée, lui donnent un aspect invincible. Sa carapace aux reliefs escarpés lui fait ressembler à une immense montagne rocheuse. Son aspect bipède n'a rien retiré à sa nature purement bestiale. Ses énormes pattes et le ton orangé virant au jaune de ses larges écailles reptiliennes ne lui donne un aspect que plus dangereux. Son souffle nauséabond et brûlant vient lécher allègrement le visage de Chad. Elle croyait ces créatures disparus depuis des siècles, et pourtant l'une d'elles lui fait face. Elle avait quitté les marécage pour une raison inconnue, et se trouvait à présent dans ce bosquet aux arbres hauts. Une tarasque.
Toujours au sol, incapable de se lever, comme si elle n'avait plus la moindre force, la gorge nouée par la terreur, la pauvre halfeline regarde, impuissante, le monstre qui approche vers elle sa gueule énorme, garnie de dents aussi longues qu'elles sont tranchantes… elle voudrait crier au secours, supplier tous les dieux de Sorio qu'ils la sauvent. Mais elle ne parvient même pas à penser. La peur l'enchaîne au sol et lui retire ses cris. D'autres non loin, lui parviennent alors.
_ Chad ! Sauve-toi !
Monté sur un des chiens de selle du domaine viticole, William arrive, tel un chevalier sur son noble destrier. Il ne possède qu'une modeste dague, un couvercle de poubelle en cuivre tendu devant lui, ainsi qu'une grosse casserole sur la tête en guise de protection, et malgré ses quatorze ans, n'éprouve aucune crainte envers le monstre vingt fois plus gros que lui. Au contraire, il le menace, comme s'il ne risquait rien, comme si ce n'était qu'un de leurs innombrables jeux. Le chien de selle, un grand rottweiler presque entièrement brun, appuie le geste de William et aboie toute sa haine contre le monstre, sans crainte aucune.
Les arbres gigantesques autour d'eux, semblent soudain trembler, mus par une âme, tout à coup. Chad se redresse, incertaine. Intuitivement, elle sait ce qui va se produire. Elle n'y peut rien. Elle se tourne vers son frère, non loin du monstre rugissant.
_ Mais, William…
_ Pars, maintenant !
Pressée par le ton qu'il emploie, Chad n'ose pas contredire les ordres de son frère. Et tandis que la bête affreuse se retourne vers le jeune halfelin juché sur sa monture, reprend sa course effrénée, non pas pour découvrir la vie, mais pour échapper à la mort, entre les êtres effilés qui se tordent à mesure qu'elle avance vers le futur, vers Sorio.
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