SORTIES DE ROUTE avec le plein des sens

laurent-saint-damien

 

SORTIES DE ROUTE

Avec le plein des sens

« S’introduire comme dans un rêve dans l’esprit d’une jeune fille est un art, en sortir est un chef-d’œuvre»

« Il n’y a rien sur qui plane autant de séduction que sur un secret »

                                                    Søren Kierkegaard

                                   (Le journal du séducteur)                                   

Prologue

C’est une belle journée ensoleillée de l’année 2011. Comme le joli mois de Mai sait en produire de nombreuses sans avoir à tenir compte des années. Le parc de la tête d’or de la ville de Lyon s’est coloré d’un vert intense avec une succession de plages d’herbes lumineuses, de feuillages drus et variés. Les massifs floraux inondent l’espace de parfums multiples aux nectars enivrants et développent des  couleurs que  les photographes capturent fidèlement et que les peintres tentent de restituer sur leur palette pour mieux les révéler sur la toile. Ce parc nature, véritable poumon de la ville, s’exprime dans toute sa splendeur. Les nombreux points d’eau dont la surface est calme et reposée semblent figer le temps. Seuls les mouvements agités des enfants qui déclenchent les glissades des cygnes et l’amerrissage des colverts, troublent agréablement l’inertie du film aquatique. L’heure est à la bonne humeur et tout est beau, bien en place et pour le meilleur. Les amoureux se bécotent sur les bancs publics. Les sportifs, en short et baskets transpirent sur les sentiers de santé, les cyclistes font tourner leurs roues sur les allées ombragées, les anciens donnent de sommaires victuailles aux écureuils et aux pigeons et les enfants jouent, rient et ne s’inquiètent de nulles choses. C’est l’après-midi salutaire des êtres au sein de mère nature.

Julian profite de ce bol d’air en présence de toute sa grande famille. Géraldine, sa compagne de route depuis plus de vingt ans; belle et  jolie épouse. Ses deux  filles âgées respectivement de quinze et douze printemps et son fils qui a consommé ses neuf hivers. L’heure est à la quiétude et ce puissant sentiment qui émane de ce partage d’instants privilégiés s’appellerait presque la plénitude. Tout est là, calme et tranquille. Tous sont ici en parfaite communion.

Pourtant, une pensée indélicate travaille l’esprit de Julian comme une araignée  tisse sa toile sans perdre de vue son dessein.

Quelques semaines plus tôt, il avait fait la rencontre d’un beau brin de femme au cours d’une soirée entre amis. Bien arrosée de liquide désinhibant. Il picolait et blaguait avec ses deux inaltérables amis de bordées. La musique recréait l’ambiance des années 80 chère à leurs souvenirs de fêtes estudiantines. Comme souvent,  ils se suffisaient à eux-mêmes et ne prenaient pas grand soin du monde alentour. Leurs sorties étaient comptées et comptabilisées dans l’agenda de leurs épouses respectives. Ils profitaient donc pleinement de ces rares moments de célibat et ne s’encombraient nullement de faire la causette aux autres. Leur motivation première était de se retrouver ensemble, sans femme et libres de s’hydrater le gosier à leur guise et sans retenue.

De toutes les façons, une femme digne de ce nom et avec l’intuition qu’on lui connait, ne pouvait pas tenter de s’immiscer dans le trinôme qu’ils forment depuis l’adolescence. Au risque couru d’avance de se faire chahuter verbalement ou de se faire poliment éconduire. Ce sont de joyeux drilles mais il n’en demeure pas moins qu’ils véhiculent des valeurs de pères de famille endurcis et d’époux fidèles. Ce ne sont réellement pas des proies faciles.

Mais que peut-on faire face à la magie?  Surtout quand elle opère avec tout son cortège de pièges irrésistibles.

Un simple regard furtif et spontané avait suffi à éveiller l’intérêt de Julian pour le fruit défendu. Un regard, un seul mais déroutant. Pas de strabisme ni de coquetterie dans les yeux mais une puissance qui transperçait les volutes de fumée comme un laser d’ophtalmo. De loin, la couleur des fenêtres de son âme, était impossible à deviner mais à en juger la manière avec laquelle elles réfléchissaient les lumières artificielles des spots, Julian pouvait parier sur le vert clair. Ses traits étaient fins et bien dessinés, la chevelure naturellement ondulée et noire de jais et le nez, petit et à la retourne comme pour mieux respirer les hauteurs de la vie. Un délice à regarder mais un véritable enfer pour celui qui a juré, même devant le maire, de ne pas céder à la tentation. L’église ne l’aurait pas protégé davantage.  Julian est athée depuis bien des «croisades» contemporaines.

Plus tard dans la soirée alors qu’ils se tournaient le dos, l’un et l’autre sentaient la présence de chacun. Les phéromones circulaient à fortes doses. Ces substances chimiques secrétées par le corps comme de petites bulles, des molécules invisibles, diffusent les informations du sel de la vie à ceux qui veulent bien les voir ou les sentir.

Julian a passé le cap des quarante ans et son choix délibéré de ne pas se laver plus que de raison favorise la sécrétion de ces messages sexuels. Il ne l’empêche pas ni ne l’efface. Aussi, ils n’avaient pas tardé de se faire face. Elle possédait bel  et bien de beaux yeux verts clairs avec de magnifiques bâtonnets de couleur jaune fauve. Tout allait très vite. La discussion se faisait sans peine et chacun finissait les phrases de l’autre comme si ils s’étaient toujours  connus. Elle portait le sage prénom de Sophie et le moment viendrait de faire plus ample philo.  L’échange fut succinct mais Julian avait fini par être en possession de son numéro de téléphone et elle l’invita à ne pas tarder pour se manifester. La chose était entendue, ils se rencontreraient à nouveau  mais  en comité restreint.

Le rendez-vous de tous les dangers

L’après midi nature s’achève sur un sentiment de culpabilité. Julian s’en veut énormément d’avoir ressassé les souvenirs de cette rencontre éphémère alors qu’il n’avait qu’à jouir, tout simplement, de ces instants de bonheur passés en famille.

Pourquoi l’être humain ne se contente t-il donc jamais de ce qu’il a? Pourquoi en vouloir toujours plus? Sans doute garde t-il de ses ancêtres, les stigmates de l’instinct de la chasse!

En fait, l’image de Sophie avait été provoquée par le spectacle des lions. Ce n’est pas  tant la crinière dense du roi des animaux qui lui avait rappelé sa chevelure ondulée mais bien le comportement sexuel de cet animal et de ses accouplements brefs et souvent répétés. Le coït peut se renouveler  cinquante fois par vingt-quatre heures. Mais c’est la lionne qui en décide. Le mâle passe plusieurs jours avec une femelle puis la quitte pour recommencer avec une autre. Julian aime ce maître de la jungle autant que la panthère noire.

Demain, c’est inscrit dans un coin de sa mémoire, il téléphonera à Sophie pour convenir d’un rendez-vous.

Lundi, 18 mai, 12h30. Julian bascule son troisième verre de Pastis. Une douce euphorie commence à le gagner. La promesse qu’il s’était fait la veille trouve un écho dans sa tête désinhibée. Il profite de l’absence de son partenaire d’apéritif, parti vidanger sa vessie, pour mettre à contribution son téléphone portable. De mémoire et sans marquer d’hésitation, il compose les dix chiffres inhérents au numéro de la femme aux yeux verts, couleur menthe à l’eau comme l’a magnifiquement  chanté un certain chat sauvage.

Cette première tentative échoue sur la messagerie vocale de Sophie. La voix est douce et posée mais le message sibyllin. La géo localisation de l’un ou de l’autre semble perturber les ondes.  Après le signal sonore paraissant l’inviter à décrire les raisons de son appel, il ne restera qu’un grand silence sur la bande. Julian ne daigne pas laisser de trace de son appel masqué. Pas plus qu’il ne désire communiquer son propre numéro afin de rester maître de correspondre selon son bon vouloir. Il rappellera plus tard à l’heure du digestif.

Après un déjeuner convivial, légèrement alcoolisé, à refaire le monde et à gentiment élucubrer, Julian réitère sa tentative avec un engouement non dissimulé. Les yeux pétillent comme les bulles de son Perrier qui se mélangent aux sucres du Get 31, au zest du citron vert tout en percutant les petits cubes de glace.

Sophie répond. L’intonation de sa voix révèle une certaine méfiance et ne cache pas la surprise. Julian sait qu’il faut être bon et efficace. La machine à laver les mots pour ne pas trahir les pensées est lancée. Le but étant de se faire reconnaître et d’obtenir la rencontre espérée. La discussion est bien engagée et Julian  profite de son cerveau embrumé et de sa folie du moment pour jouer sur le velours de l’humour et de la bonne humeur. Il n’en faut pas davantage pour que la confiance gagne Sophie. L’envie de se voir à nouveau est mutuellement partagée. Le lieu et le jour restent à définir.

 Sophie l’informe d’être seule depuis peu tout en s’excusant de l’immédiateté de cette annonce. L’idée de reconstruire une relation sentimentale n’est pas sa priorité et elle tient à donc à poser les bases de cette situation. Fort de cette révélation, Julian prévient spontanément et avec une franchise déconcertante qu’il est marié et qu’il serait préférable et aucunement engageant d’en discuter simplement au cours d’un bon dîner. En territoire neutre et débarrassé des curieux et d’éventuels espions ou autres langues de vipères de la ville qui pourraient mal interpréter leur tête à tête et commettre l’irréparable dans la diffusion de bruits et de rumeurs.

Julian tente de convaincre  Sophie de démontrer ses talents culinaires et lui consent trois jours pour préparer le menu et le décor de sa table. Sophie s’amuse de sa proposition et de sa définition du territoire neutre. Mais sa façon un soupçon cavalière de provoquer les choses semble avoir trouvé chez elle une résonance. Son assurance a largement titillé sa sensibilité et encouragé sa curiosité.

Le rendez-vous est donc confirmé pour le Jeudi soir 20 h 30,  chez Sophie. 35 rue du Goliath. Résidence «Les chardonnerets». Fontaines sur Saône dans le Rhône. 1er étage. Code de l’entrée du parc fermé: 01568.

Bingo!!!

 

Jeudi 21 Mai, jour de l’ascension. Julian voit dans cette date comme le signe d’une  montée au ciel. Peut-être vers le septième! Pour l’heure il va commencer par le premier étage. 20h15. La voiture garée, le moteur coupé, il se surprend à s’interroger sur ses motivations. Son esprit est clair et la démarche qu’il s’apprête à faire n’est pas facile. La culpabilité commence à l’envahir. Il pense à son épouse, à ses enfants et à toute la construction qu’il a mis des années à asseoir.

Il se souvient de l’aisance dont il avait fait preuve pour obtenir cette rencontre. Hier tout était fun, open, et les risques ignorés et indolores mais à cet instant T, le bien fondé de cette envie animalement ressentie est loin de recueillir son assentiment. Mais il est là et la tentation de découvrir l’autre est grande et excitante. Il lui faut foncer et laisser glisser. La suite s’écrira selon la formule consacrée: «qu’il advienne que pourra».

Julian se retrouve devant l’interphone. Il fait défiler les noms du premier étage. Il ignore celui de Sophie mais se persuade que son choix sur les quatre possibles sera le bon. Bonne pioche, sa première tentative est un succès. Julian  voit  en cet heureux hasard une preuve que l’approche doit se poursuivre. De reconnaître la voix de Sophie lui procure une sensation vécue à l’adolescence où le pouls subitement s’accélère et tout devient confus, incontrôlable. Comme un premier rendez-vous sérieux où le désir d’une situation inconnue lutte contre la peur de faillir.

Julian se retrouve rapidement devant une porte entrouverte et la vision de Sophie suffit à faire oublier toutes ses appréhensions. L’image diffuse qu’il gardait d’elle était en deçà de la vérité. Sa conscience ne l’avait aucunement magnifiée ni sacralisée. Sophie lui apparaît plus belle et plus grande que dans ses souvenirs. Elle n’arbore pas de robe de soirée ni de maquillage superfétatoire. Un simple jean délavé qui lui dessine fidèlement ses longues jambes parfaites et un chemisier blanc qui laisse entrevoir l’absence d’accessoires pour le maintien d’une poitrine qu’elle porte haute, fière et apparemment ferme. Julian aime la simplicité. Et le naturel que dégage cette femme balaye d’un trait ses réticences éprouvées quant à l’interdit de cet instant. Une chose est sûre, il ne fera pas l’erreur d’écourter la soirée ni ne commettra l’imprudence de la décevoir.

Sophie l’invite à passer directement au salon pour prendre l’apéritif. Clairement, elle ne souhaite pas lui faire visiter les lieux. Ils ne se connaissent pas,  l’intimité demeure sacrée et se respecte. Sur la table basse ou le verre épais est joliment enchâssé dans une structure massive en ébène, tout est déjà en représentation. Les crevettes roses, les tomates cerise, les antipasti de poivrons rouges, jaunes, verts marinés à l’huile d’olive, le jambon cru en chiffonnade de fines tranches et le saucisson encore ligoté ainsi que le bol en porcelaine fine de  la mayonnaise montée «maison». Un verre à pied en cristal gravé et un verre à whisky au cul massif. Une bouteille de rosé «Pétale de rose» dans un seau transparent, empli de glaçons, une bouteille de Ricard non entamée, une bouteille de Chivas de 12 ans d’âge au tiers plein et un broc à eau en argent transpirant les perles fraîches des «cailloux» de glace. Indéniablement, Sophie sait recevoir et cette délicate attention montre ostensiblement son désir de partager agréablement cette soirée avec son hôte.

Julian se sentirait quasiment comme chez lui. Il enlèverait bien ses chaussures et ses chaussettes mais c’est beaucoup trop tôt et ce serait complètement déplacé. Mais l’idée lui à caressé l’esprit. Par amusement et pour jauger sa réaction. Sans doute également pour apporter une note négative à cette présentation presque trop parfaite. Julian se défend d’être une proie facile et il préfère le rôle de chasseur. Toutes ses années de vie commune n’ont pas occulté ses penchants pour la gent féminine ni le plaisir du jeu de la séduction. Pourtant ce soir il redécouvre les signes de la timidité de sa jeunesse et les symptômes du manque d’assurance.

Sophie lui sert spontanément une rafale de Ricard, comme si elle connaissait déjà son inclination à se délecter de ce liquide et un verre de rosé pour elle-même. L’échange peut commencer. Doucement, délicatement mais sûrement.

Tout en pérorant sur des banalités d’usages, Julian laisse voyager son regard dans la pièce. Il croise de temps en temps les yeux de Sophie sans s’attarder dessus afin de ne rien déclencher précipitamment. Il s’arrête sur une photo posée sur le poste de télévision. La photographie n’est pas belle et Julian connait son affaire. Il est photographe de métier et surtout par passion. Mais malgré le cadrage très imparfait, il aperçoit un semblant de photo de famille. Sophie pose en présence d’un enfant, plus âgé  que son garçon à lui, et d’un homme dont elle parait très proche. Lors de leur entretien téléphonique, Sophie avait mentionné son récent célibat sans s’épancher. D’ailleurs, Julian ne lui en avait pas laissé le temps. Mais maintenant il veut savoir et avant même de la questionner, Sophie prend les devants. Décidément cette femme est surprenante dans sa manière d’anticiper les actions d’autrui.

Oui, elle est mère d’un enfant de treize ans et oui, il s’agit bien de son mari. Mais les deux sont absents et viennent de partir vivre en Amérique du Nord pour une durée indéfinie. Mais au minimum deux années garanties. Une décision difficile qu’ils ont prise tous les trois et acceptée dans la douleur, pour le meilleur ainsi que pour le pire. Elle ne pouvait pas se résigner à quitter un poste qu’elle avait brigué de longues années et obtenu de haute lutte. Quant à son mari, il ne concevait pas de refuser un pont d’or pour un poste à grandes responsabilités dans un pool bancaire de renommée internationale. Le garçon avait choisi de suivre son père. Ils avaient tous deux, validé son choix de préadolescent. Visiblement, Sophie ne souhaite pas s’appesantir sur le sujet.

 Pas à pas, verre après verre, Sophie se dévoile sur d’autres thèmes et Julian tisse sa toile. Sophie  semble vouloir y rentrer et daigner se prendre au jeu des confessions. Julian rentre en empathie avec elle et assure comprendre les affres de sa récente séparation même si elle n’en parle pas ni n’en montre rien. Il en profite pour révéler sa propre situation. Ses longues années de mariage sans tâche et son heureuse paternité. Dès les prémices, les choses ont le mérite d’être claires. L’instant est agréable et l’atmosphère fleure bon. La cuisine commence à exhaler un fumet de viande que Julian reconnaît comme celui d’un rôti. Mais ni l’un ni l’autre ne désirent écourter le moment de l’apéritif. Ils préfèrent continuer le jeu de la belle souris et du gentil chat. Les langues se délient, les rires deviennent complices et les yeux se regardent fixement et de plus en plus régulièrement. Le travail de séduction est déclenché par chaque partie et la magie des phéromones s’accélère.

Bien vite, les regards insistants et mutins prennent l’avantage sur le langage, et les silences qu’ils engendrent, baignent la pièce dans une douce ambiance de romantisme à l’italienne, version française mieux maîtrisée. Sophie est d’origine italienne et doit une grande part de sa beauté aux racines de ce beau pays latin. Un doux mélange de Monica Bellucci et Ornella Mutti. Les deux actrices préférées de Julian. Mais ce soir, c’est bien meilleur que le cinéma et si tous les deux jouent la comédie de l’attirance, c’est naturellement et sans scénario.

Le dîner est manifestement prêt. Les odeurs culinaires en attestent. Mais curieusement l’envie de passer à table est devenue secondaire. Ils préfèrent poursuivre leur échange autour de la table basse comme pour garder intact les sensations qu’ils vivent comme des adolescents sous l’emprise de sentiments naissants.

Julian nourrit le désir de lui goûter la bouche. Ses lèvres sont naturellement pulpeuses et ses dents aussi blanches que les neiges du Kilimandjaro. Mais il s’emploie à réfréner ses pulsions. Sophie esquisse d’infimes déplacements de son corps, ses mains se touchent et ses longs doigts fins se caressent entre-eux comme pour donner des informations de consentements à d’éventuelles initiatives auxquelles il pourrait se risquer. Julian tire sur sa cigarette, et tel un gamin, se promet de tenter une approche dès la fin de sa sucette à cancer. Les volutes de fumée qui diffusent un voile irréel comparable au dessin imprimé sur un vieux paquet bleu de Gitane blanche sans filtre, lui procure une douce sensation de bien être. La gitane noire dansante  lui murmurerait certainement d’oser l’embrasser.

Dans un élan soudain, il se lève du fauteuil pour… Demander le petit coin. Ils sirotent les liquides enivrants depuis plusieurs heures et la nature se rappelle à lui par la lourdeur de sa vessie. Sophie ne s’attendait visiblement pas à cette demande et Julian l’a bien senti. Au point de savoir maintenant qu’elle pouvait accepter sans esquiver la rencontre de leur bouche. Il espère que le passage obligé par les toilettes ne va pas faire redescendre la température. Aussi s’active-t-il à faire sa course. A contre cœur cependant, car la pièce dispose d’une petite bibliothèque où les bandes dessinées côtoient les revues photographiques et les livres de poche. Un plaisir qu’il semble partager avec la maîtresse de maison. Encore une chose qu’ils ont en commun. Il se rassure en pensant qu’il reviendra sûrement dans ce petit coin de culture pour une plus longue course.

A son retour, il constate que Sophie a changé de place. Elle est passée du fauteuil qui lui faisait face, au canapé deux assises, en cuir sombre. L’objet sensuel par excellence, rendu célèbre par la publicité sur la bière qui peut faire à son utilisateur le meilleur des numéros : le un, deux six et un quatre!

Sans mot dire, Julian ne s’étonne pas de ce changement stratégique, et avec une certaine assurance, se pose délicatement à ses côtés. Il sent les choses s’accélérer entre eux mais il estime plus jouissif de retarder l’échéance et  sa curiosité le pousse à en savoir davantage sur le lieu clos qu’il vient de quitter :

« Qui a eu l’idée de la petite bibliothèque sanitaire ?

- Mon mari ! Mais il n’a pas rencontré d’obstacles pour me convaincre. J’apprécie ces moments de douce quiétude et j’en profite pour m’évader un peu.

- Les lectures sont aussi le choix de ton mari ?

- Affirmatif pour ce qui concerne les BD ainsi que les revues photographiques. Pour le reste, j’ai apporté ma touche personnelle.

- Je ne connais pas ton homme mais je l’apprécierais presque. Il gagne certainement à être connu. 

- Restons en là, veux-tu ?! Il ne sert à rien de parler des absents et encore moins de lui ! »

Julian accepte volontiers cette recommandation et s’en veut d’avoir évoqué cet être. Cet intermède n’a pas refroidi l’ambiance. Les messages sont clairs et à sa surprise, c’est Sophie qui s’exécute. Avec une souplesse de danseuse, elle s’assoit sur lui, prend sa tête entre ses grandes mains et fougueusement lui titille sa lèvre supérieure avec la pince de ses dents. Cette attitude est complètement nouvelle pour Julian mais il ne s’en offusque nullement. Au contraire, il apprécie la fougue et la prise de contrôle de sa partenaire. Il savait les brunes du Sud entreprenantes et soupçonnait leur côté sanguin. Quel pied ! Même les vapeurs de rosé mélangées à celles du Ricard et à l’odeur de la cigarette ne parviennent pas à calmer les ardeurs. Elles les nourrissent plutôt.

Julian s’autorise à ouvrir délicatement le chemisier de Sophie. Bouton après bouton, il dévoile les ronds attributs de ce corps en éveil. Il ne s’était pas fourvoyé sur le port altier de la poitrine qu’il avait deviné à son arrivée. Les seins de Sophie sont fermes et remplissent harmonieusement ses larges mains. Rodin ne les aurait pas mieux sculptées. Les aréoles dessinent un disque fin et pigmenté clair. Les mamelons sont sensibles et gorgés du plaisir naissant. La peau tendue qu’il caresse à l’envi est douce et le grain délicat et discret.

 Leurs regards se croisent à nouveau et les messages qu’ils donnent à lire, conduisent à poursuivre plus en avant et en profondeur leurs attouchements. Avec vigueur, Sophie tire sur la chemise noire de Julian pour désunir en une seule fois le maximum de pressions nacrées. Elle se plait à regarder sa peau mate et halée que le moindre rayon de soleil dore visiblement  sans peine. Il est brun et ses racines méditerranéennes lui apparaissent clairement. Sophie incline son buste vers l’arrière pour mieux s’occuper de défaire la ceinture du pantalon de Julian. Ce dernier profite de cette nouvelle position pour redessiner de sa main droite le corps plein de frémissements de sa partenaire. Il commence par les lèvres puis redescend doucement par le menton. La tête de Sophie bascule de façon lascive vers l’arrière. Il caresse maintenant son cou davantage offert, s’attarde avec son index dans la vallée de ses deux seins et finit par poser sa main entière sur son ventre tout respirant. La chaleur qu’elle diffuse comme un cataplasme de soins, le remplit d’un plaisir certain.

Avec une grande légèreté, Sophie se soulève afin de bien saisir le pantalon de Julian et de le faire glisser jusqu’à ses chevilles. Elle est  surprise de constater qu’il ne porte pas de sous-vêtements. Julian adore le contact du jean Denim sur sa peau. Il en retire une douce sensation de liberté et un réel gain de temps lors de l’effeuillage. L’érection de son membre saute aux yeux de Sophie. Elle ne s’en effarouche aucunement. Bien au contraire, avec ses deux mains elle saisit la perche tendue comme pour mieux mesurer l’ampleur du corps étranger que le sien va recevoir. Elle s’occupe maintenant de son propre jean et dans une danse aguichante et maîtrisée, doucement elle le fait glisser le long de ses jambes qu’elle à longues comme des lianes, et s’en débarrasse avec un franc dédain. C’est au tour de Julian, d’apprécier leur point commun. Tout comme lui, elle est nue sous son bleu délavé Denim. Même pas le temps de s’en expliquer, elle revient s’asseoir délicatement sur ce sexe turgescent que chacun de ses mouvements gonfle de sang et emplit de désirs. L’union de leurs deux organes ne rencontre aucune difficulté. Pas de rejet ni de pénétration douloureuse. Tout glisse parfaitement comme si leurs sexes étaient nés l’un pour l’autre. Les mains de Julian posées sur ses fesses rebondies et musclées, exercent des pressions régulières pour rythmer le va-et-vient. Sophie masse sportivement ses pectoraux de plongeur en apnée. Ils fusionnent totalement et s’accordent dans une réelle symbiose pour un accouplement énergique qui dure.

 Font-ils l’amour ou baisent-ils seulement? A l’acmé du plaisir les frontières de la bonne morale et des sentiments ne sont plus visibles et le résultat recherché ne s’encombre pas de ce genre de distinction. Les perles de la sudation hydratent leurs corps et matérialisent les effets de leurs courts déplacements, vifs et répétés. Julian n’oublie pas de se tirer discrètement sur les testicules afin de retarder le plus possible l’évasion de son liquide séminal. Il tient cette technique d’un ami qui pratique le sport de « hot » niveau. Le dessert qu’il goûte avec grand appétit ne tolérerait certainement pas la rapide gourmandise et il préfère, aussi loin qu’il pourra tenir, se faire reconnaître pour sa qualité de gastronome.

Comme pour bien marquer leur entente corporelle, ils jouissent ensemble et sans fard, transportés avec extase hors d’eux-mêmes. Sophie avec des râles de petite mort et Julian, en silence mais avec des pressions manuelles de plus en plus puissantes à l’endroit des fermes rondeurs de son fessier. Leur orgasme consommé et assumé, ils s’enlacent  pour se remercier de la prestation de chacun et recevoir la confirmation de l’épuisement de leur corps.

« Tu m’as tuée mon bel inconnu » lui avoue-t-elle après une forte respiration qui en dit long sur son état de satisfaction.

Julian marque le coup et le jaune changeant de ses yeux fixant le vert clair des siens, se laisse aller à son sport favori ; le compliment déguisé qui ne dit volontairement pas son nom :

 « Alors toi, belle princesse, t’es une sacrée sorcière. Sans prévenir, tu m’as vidé … de mon énergie et je suis incapable de remettre le couvert, même avec la meilleure intention. A moins que tu me surprennes encore.»

Sophie entend l’appel du bis repetita mais ne désire pas faire montre de toutes ses capacités. Elle se protège de ne pas tout dévoiler la première fois et s’interdit de tout donner même si l’envie vient la titiller. Au plus profond d’elle-même, elle sait que Julian ne retrouvera le chemin de son home sweet home qu’à la condition de créer le goût du revenir. Et le meilleur moyen de nourrir la chose, c’est de lui donner à manger petit à petit, un peu différent chaque fois, mais toujours en privilégiant la qualité plutôt que la quantité.

Tous deux se rhabillent en se regardant le faire pour conserver l’empreinte mnésique du corps de l’autre qu’ils décodent avec plus de recul et de distance. Les petits rires qui naissent de cette observation en disent beaucoup sur leur relation consommée et à naître. Le plaisir continue d’agir. Ils sont vraiment  et définitivement en phase.

Ils partagent la même cigarette de l’après copulation avec un réel satisfecit, une lueur de félicité dans les yeux. L’instant encourage les impressions et réflexions postopératoires. Comme si elle voulait se dédouaner de son entreprise fougueuse, Sophie manifeste l’envie de préciser qu’elle n’est pas coutumière du fait. Une force intérieure l’aurait incitée, sans raison gardée, à désirer agir plutôt qu’imaginer le faire. Et Julian de rebondir en ces termes:

« Bien t’en a pris ! Si tu n’avais rien provoqué, le chat aurait regagné son milieu plus tôt et se serait rongé les griffes d’avoir laissé tranquille la belle souris.»

Appréciant le compliment à sa juste valeur, Sophie se verrait bien garder le chat un peu plus longtemps:

« Veux-tu rester dormir? Il se fait tard et nous avons bu jusqu’à l’ivresse et beaucoup plus que ce qui est autorisé!

-   Pas ce soir ! Mais j’apprécie l’invitation. Elle me laisse à penser que je pourrai revenir pour finir le repas que nous n’avons pas touché.

-   Avec grand plaisir. Mais ne tarde pas trop. Mon traiteur compte prendre sa retraite.

-   Ne t’inquiète de rien, j’adore ta façon de recevoir et manger ce que j’ai pris grand plaisir à goûter me suffit amplement. Et si j’en juge les odeurs dégagées par ta cuisine, je suis persuadé qu’il n’y a pas plus de traiteur que nous ne portons de sous-vêtements.

-   A ce propos, tu te promènes souvent de la sorte?

-   Régulièrement ! Les slips, ça comprime les bourses et les caleçons, ça disperse les noix.  De plus, je préfère de loin le contact avec la matière du jean. Toi aussi tu m’as bluffée ! Ta machine à laver est en panne?

-   A la vérité, Je pensais que sans culotte, je me protégerai de toi si l’envie me prenait. Je m’étais convaincu que raisonnablement, je n’oserai pas me dévoiler ainsi, nue sous la toile du pantalon. Mais mon désir a eu raison de mes  résolutions.»

Sur ces confessions poétiques, Julian prend congé de Sophie. Ils auraient aimés pousser cette discussion plus loin, mais Julian se savait attendu. En effet, Géraldine, son épouse, ne trouve le sommeil qu’à l’heure de son retour. Une fois débarrassée de la peur maintes fois éprouvée qu’il ne lui arrive un accident… de la route !

 Ils s’embrassent une dernière fois avant la prochaine qu’ils souhaitent tous les deux, très proche et se disent mutuellement et dans un tempo comme un écho… Merci !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’heure de la réflexion et des sollicitations

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur le chemin du retour, de ce nid d’amour où il aurait aimé s’attarder davantage jusqu’à sa voiture, Julian se surprend à penser à des détails techniques qu’il à occulté avec une grande insouciance et une véritable légèreté. L’euphorie est retombée. La raison gagne sa conscience et lui crie au cerveau qu’il a sacrément merdé. Il ne s’est pas protégé. Le sida, cette putain de maladie qui empoisonne sa génération, les présentes et celles à venir, n’a toujours pas trouvé de remède. Le fait avéré est que la contamination guette chacun et se nourrit de l’oubli. Il culpabilise de ne pas s’en être souvenu. A aucun moment, Sophie ni lui-même, n’ont abordé le sujet. Ils n’ont écouté que leurs désirs et le jeu de la séduction a complètement balayé la protection de leur intimité… de leur intégrité. Sa lucidité du moment trahit l’irresponsabilité du passé consommé.

Le mal est fait et Julian tente de se raccrocher à des souvenirs de la soirée qu’il veut rassurants. La photographie qui trônait sur la télévision suffirait presque à le convaincre que Sophie n’est pas une femme libertine; qu’elle n’est pas de la race de celles qui s’offrent facilement et lascivement au premier blaireau venu. Bien évidemment et comme de bien entendu, il n’est pas un mec comme les autres. Aussi a-t-il l’outrecuidance de se persuader qu’il mérite de se faire déshabiller. Physiquement comme moralement.

Il se sait clean et ose espérer qu’il en est de même à l’endroit de Sophie. Il s’interdit de croire que cette soirée sous l’emprise des sens puisse se transformer en des lendemains de cauchemar. L’idée seule de cette éventualité qu’il refuse fortement, le renvoie au doux spectre de Géraldine. Il pense à elle et à ce que serait leur vie si la chose était rentrée en lui. Assis dans sa voiture, Julian se regarde dans le rétroviseur central. Il attend de son double dans la glace qu’il lui pardonne son écart. Il se gifle les joues comme pour se punir. Se regarde à nouveau dans la petite fenêtre qui lui renvoie son image. Il se parle à lui-même, se dit qu’il est con mais se console en repensant combien sa connerie était bonne. De toutes les façons, ce n’est pas dans sa nature de regretter ses actions. Qu’elles fussent moyennes ou qu’elles soient mauvaises. Il existe selon le sens défini par l’existentialisme : «L’homme est ce qu’il se fait» comme dirait Jean Paul… plus connu sous le nom de Sartre.

Pour l’heure, Julian doit se concentrer sur sa conduite et sur la route. Il doit arriver entier chez lui et ne pas attirer l’attention des forces de l’ordre.

Il est conscient qu’il lui faudra également faire preuve de discrétion et s’armer de précautions pour ne pas éveiller les soupçons de Géraldine. S’interdire de prendre une douche avant de rentrer dans son lit et ne pas réveiller toute la maisonnée. Se laver les parties suspectes avec un gant de toilette ; à grandes eaux du robinet en même temps que le lavage des dents anesthésiées par les liquides alcoolisés. Il conviendra de bien masquer le subterfuge. 

En définitive, ne rien faire de différent que ce qu’il a coutume de pratiquer lors du retour de ses virées nocturnes passées en compagnie de ses amis de bringue.

Le lendemain matin, à l’heure où la maison s’est vidée de toutes ses âmes, parties pour l’école et le travail, Julian se remémore ses turpitudes de la veille. Il réfléchit plus posément aux raisons qui ont favorisé son écart de conduite. Aux éléments déclencheurs qui ont fabriqué l’humus de sa déviance.

Sexuellement parlant, Julian ne connait pas d’orages avec Géraldine. Les jeux de l’amour sont réguliers et fréquents. Bien sûr, ils ne ressemblent pas à ceux de leur jeunesse où tout était folie, insouciance et douce légèreté. Ils ont perdu en intensité ce qu’ils ont gagné en discrétion. Oubliés, les ébats spontanés dans la cuisine, le salon, la salle de bain, le jardin ou autres lieux plus insolites. Interdits, les doux gémissements ou les rugissements de plaisir. Obligée, la couche parentale, la lumière éteinte, à l’heure où la maison dort d’un sommeil profond. La présence permanente des enfants a largement contribué à cet état de fait. Géraldine semble s’en contenter. Elle vit beaucoup pour ses enfants, en bonne mère kangourou. Julian en souffre davantage et pas toujours en silence. Il s’en énerve parfois.

Il aime profondément sa femme et il adore le sexe avec elle. Il revendique de ne jamais en être tombé amoureux. L’absence de passion n’a jamais faussé son jugement ni aveuglé ses sentiments. Avec le temps et le partage de leurs vies, il a appris à l’aimer. Et à très bien le faire ! Il préfère ce cheminement au circuit de cristallisation  qu’emprunte l’amour fou, passionné, dévorant et dévastateur. Au point  que chacun s’oublie pour l’autre tout en excluant les autres.

 Leurs corps se sont toujours bien acceptés et charnellement mélangés. Il est vrai que depuis quelques années, Julian est bien trop souvent à l’initiative de leurs attouchements. Il déclenche le moment et la manière. Il attend en vain que Géraldine l’étonne même si elle ne lui refuse que rarement ses entreprises.

Il ne fait aucun doute que l’attitude de Sophie, la veille au soir, a largement fait voler en éclats ses habitudes sexuelles et combler ses attentes en la matière. Mais le résultat obtenu ainsi que les moyens employés ne sauraient en rien lui expliquer les causes qu’il cherche à appréhender. Au plus profond de lui-même, il sait que le sexe n’était pas le moteur de sa rencontre avec la belle inconnue.

Professionnellement, ses affaires ne sont pas au beau fixe. La crise économique est bien installée et tout laisse à penser qu’elle sera longue et dévastatrice. Julian a crée sa jeune SARL, six ans plus tôt après avoir sévit chez un employeur mal attentionné et protégé par de hauts murs érigés par de francs maçons. Petit à petit, année après année, il s’est fait reconnaître en tant que travailleur indépendant dans le dur milieu de la photographie publicitaire haut de gamme. Spécialisé dans les natures mortes ainsi que les paysages, il a développé un réel sens de la mise en situation des groupes d’adolescents et des mises en scènes de bonheur pour les seniors et nouveaux retraités. Son travail et son art se sont largement nourris de sa capacité à observer les instants de la vie quotidienne et ont su capter les attentes de ses clients et de la société contemporaine en grande mouvance. Avant la crise, qu’il a ressentie dès septembre 2008, en concomitance avec les premières exactions des traders et des organismes bancaires internationaux, l’essentiel de son chiffre d’affaires était réalisé aux deux tiers avec les marchés d’Amérique. Mais la chute incessante du dollar face à l’euro et la résurgence du protectionnisme américain ont eu raison du développement croissant de son activité. Se sont ajoutées à ces désagréments, les difficultés de paiement de ses clients nationaux. Les temps sont durs et il gère seul ses problèmes professionnels. Les banques qui sont à l’origine du marasme économique actuel sont devenues amnésiques et fermées aux réelles demandes d’aide de leurs bienfaiteurs. Les contribuables  que nous sommes. Il voudrait en parler à son épouse mais il préfère l’épargner. Des épreuves similaires, tous deux en ont vécues plus tôt dans leur vie et il sait qu’il est le seul à pouvoir trouver les solutions aux problèmes du moment. Et même si les rires et les joies de ses enfants ne résonnent plus avec l’écho agréable des temps sereins mais plutôt comme une sourde agression, il ne peut décemment pas leur reprocher leur indifférence aux soucis qu’il connait et aux évènements qu’il subit. En bon père de famille, il se fait fort d’être rassurant. En sa qualité de protecteur naturellement défini, il s’efforce de ne rien laisser paraître.  Pourtant il se persuade de ne pas rencontrer le soutien de sa femme qui dit comprendre la situation et les difficultés du moment, pour eux, pour les autres et l'ensemble de la société en général.  Certes elle travaille et cela donne des droits ! Mais notre société consumériste nous conditionne à désirer ce que nous gagnerions à ignorer, favorise le sentiment de réussir dans sa vie par les biens que nous possédons et ceux que nous consommons. Quelle pernicieuse société que celle dont le modèle privilégie le paraître et s'évertue insidieusement à nous détourner de l’essentiel. Qui omet de prévenir les ménages de ne pas dépenser plus que ce qu'ils gagnent. Voir ses enfants, ainsi que sa femme, souffrir de ne pas pouvoir se faire plaisir sans trop compter, interpelle Julian. Il n’est pas plus ascète que prophète mais depuis la naissance, il s'est toujours refusé les plaisirs faciles, les achats inutiles, les choses futiles, vite consommées et vite oubliées. Il leur préfère de très loin les actes qui comptent et les moments qui restent gravés dans le long terme. Comme les longues promenades revigorantes en forêt où il apprend à ses enfants à différencier les champignons comestibles de ceux qui sont vénéneux. Une bonne expérience pour se méfier des apparences. Les plus beaux spécimens avec leurs vives couleurs rubicondes et brillantes comme les amanites tue-mouche et phalloïdes, ne sont-ils pas... les plus mortels?! Les tentations sont grandes et il convient de s'en prémunir.

Blanche neige et la métaphore de la belle et grosse pomme rouge ne nourrissent-elles pas cette légitime défiance qu’il convient d’avoir envers les belles choses qui s’avèrent finalement trompeuses?! Shrek et Fiona, les personnages  des studios DreamWorks et des films d’animation, qui sont les descendants diamétralement opposés du Prince et de la Belle au bois dormant, ne sont-ils pas plus humains et plus charmants que leurs aînés de Walt Disney? Ils sont laids à l’extérieur mais beaux  à l’intérieur. Et ce qu’ils sont à l’intérieur suffit à les voir sains, magiques  et finalement beaux. Sans même bénéficier de l’emploi de bifidus actifs.

 Alors tant pis si Géraldine, Sophie et Julian sont physiquement très agréables à regarder. C’est leur chance ou leur problème. C’est surtout leur droit de nature mais l’important, ce sont leurs valeurs intégrées qui n’ont guère besoin de démonstration mathématique. Certains vont s’égarer et s’écarter de notre chère morale judéo-chrétienne,  mais à aucun moment ils n’agiront  pour se tromper.  « Il faut se garder d’ouvrir une main pleine de vérités».  Et cultiver son jardin!  Surtout bien garder en mémoire que « la liberté de chacun commence ou s’arrête celle d’autrui » et ne jamais s’oublier soi-même pour enrichir l’autre. Vivre ensemble mais pas au détriment de.

Julian discute de toutes ses idées avec ses vrais amis. Ensemble, ils philosophent sur la vie pendant de longues heures qu’ils ne voient que rarement s’écouler; bien souvent autour d’un repas convivial et de verres liquoreux. Où le déjeuner rejoint le dîner voire le petit déjeuner de l’aube avec une bonne tête de veau sauce gribiche à la clef.

En fait, ce qu’il pense rechercher dans une liaison avec Sophie, c’est le repos du guerrier. Une certaine paix de l’esprit. Etre avec une femme sans qu’elle ne lui rappelle ses responsabilités de chef de famille et ses obligations de répondre aux besoins de confort de la tribu. Se laisser aller à des instants de douce quiétude et de pirouettes charnelles sans courbatures ou presque. Saura-t-elle lui apporter ce semblant de repos dont il sait déjà qu’il ne pourra pas être simple ni même tranquille?

Les contraintes et les complications seront obligatoirement au rendez-vous mais il en accepte les règles dès maintenant. Et l’avenir en fixera les limites !

Mercredi 03 juin. 9h30. Résidence «Les chardonnerets». Premier étage. Appartement de Sophie. Pratiquement deux semaines se sont écoulées depuis la soirée que tous deux ont gardée en mémoire. Ils se sont repassés leur aventure  en boucle pendant des jours sans pour autant se téléphoner. Même si Sophie avait souhaité le faire, elle n’aurait pas pu. Elle ne possédait pas son numéro de portable. La veille, Julian avait manifesté l’envie de la revoir. Sophie lui avait donc proposé ce créneau du matin. Malgré le départ de son fils pour le pays lointain, elle avait souhaité conserver la journée de Mercredi comme jour de repos. Elle est assistante de direction dans une importante société de vente de produits issus de la culture biologique. Un poste spécialement créé pour elle. Cette journée de milieu de semaine, c’était son rayon de soleil. Le jour de congé scolaire hebdomadaire où elle profitait pleinement de son «bébé».

Sophie reçoit Julian en nuisette de soie. Le genre de matière qui sollicite les mamelons et donne l’agréable impression de les tenir en éveil. C’est aussi le matériau pour lequel les mains de l’homme hésitent entre se glisser dessous ou caresser la surface tant la sensation est suave. Julian s’étonne quelque peu de cet habit de réception. Il est levé depuis 7 h 00 et se sentirait presque coupable d’être en tenue de travail. Chaussures noires en daim imperméabilisé, pantalon noir, ceinture noire et boucle en acier rutilant, tee-shirt noir avec col en V et veste marron en suédine. Relax mais habillé ! Il se trouve un tantinet dépareillé avec son journal et ses croissants. Sophie s’empresse de le mettre à l’aise et le conduit à la cuisine.

« Ton café… Long ou court? Avec ou sans sucre?

-   Court sans sucre avec un verre de jus de pamplemousse.

-   Et avec ceci? Une petite gâterie?!»

L’humour associé à sa légèreté de déplacement a tôt fait de plonger Julian dans une ambiance qui lui sied à ravir. Il n’aurait pas rêvé meilleur accueil pour débuter sa journée. Dans sa tête, il pense fort que si elle lui trouve du pamplemousse, elle continuera de le surprendre. C’est tout con mais c’est le genre de signe qui suffirait à lui donner bonne conscience quant à sa présence en ce lieu et en cette matinée.

«Voici ton café court non sucré, ton verre de pamplemousse … et pour le reste, il  faudra t’armer de patience.» Lui lance-t-elle, en s’apprêtant à quitter la pièce.

« Tu ne m’accompagnes pas? Demande Julian.

-   Commence sans moi, je vais passer quelque chose de plus présentable.

-  Ne te dérange pas pour moi. Reste ici en l’état. S’il te plait.» La prie-t-il avec un air de chien malheureux, la tête légèrement inclinée, la bouche en cul de poule et les yeux attendrissants. La tête redevenue droite, les sourcils froncés et l’index pointé vers la chaise vide, il se fait faussement plus catégorique.

« C’est un ordre! C’est mon meilleur petit déjeuner depuis bien longtemps. A dire vrai, ce n’est pas un exploit… Je n’en prends jamais.

-   Bien chef ! A vos ordres chef !»  Elle simule le salut de soumission de l’élève militaire envers son supérieur, marque une courte pause et se justifie :

« La vérité, c’est que j’éprouve un peu de mal à me sentir à l’aise dans cette petite tenue. Tu dois me penser aguichante et l’idée même me déplait. En fait tu m’as sortie du lit avec la sonnerie de l’interphone.  J’étais repartie dans les bras de Morphée. Le début de semaine a été infernal. Ma tête a jugé salutaire de s’endormir à nouveau et mon corps a du trouver bon de flemmarder.

-   Alors maintenant, fais moi plaisir. Profite pleinement de ton réveil. On ne va pas tordre du cul pour chier droit ! Ne te justifie de rien. Prends le temps des choses. Assois-toi et goûte aux bienfaits de ces croissants. Ils sont à croquer avec ce qu’il faut de beurre et chauds à souhait ! »

Ils se regardent manger et boire. S’échangent des banalités et se sourient comme  pour meubler les silences. Ils répètent à nouveaux le jeu prenant de la séduction et le charme de chacun opère comme aux belles heures enivrées de leur soirée. Sans liquide désinhibant, c’est encore plus naturel et ça semble vraiment sincère. Julian saisit l’instant de bien être pour se débarrasser de sa veste qu’il pose sur le dossier de sa chaise. Il montre par ce geste qu’il n’est pas pressé de partir. Il a du temps de libre. Il se l’est octroyé et compte bien l’utiliser. Son statut d’entrepreneur indépendant lui autorise toute latitude dans l’organisation de son travail. Et ce matin justement il a prévu de remettre ses obligations professionnelles à l’après-midi.

Sophie pose délicatement le plat de sa main sur la table, à bonne distance pour inviter celle de Julian à venir la recouvrir. Une tactique discrète mais non dissimulée qu’il capte spontanément. Mais ce genre d’attention n’est vraiment pas son truc. D’ailleurs il ne se souvient pas l’avoir pratiqué avec Géraldine, même au temps des plus belles années. Autant dire qu’il va se faire souffrance mais il sait qu’il se doit de répondre à cette invitation. Il s’exécute donc. Il recouvre sa main et de façon hésitante et maladroite, il lui parcourt  l’avant bras, dans un va et vient qu’il souhaite le plus tendre possible. En son for intérieur, il se trouve ridicule et ne se reconnaît point dans ses caresses empruntées. Afin de surseoir à ce rituel de romantisme dont il se défend par nature, il tente une demande plus osée mais davantage en adéquation avec lui-même :

« Maintenant que nos mains se sont reconnues, que dirais-tu de venir reposer ton séant sur la cuisse confortable de  « papa»?

- Ne joue pas avec ça ! Prévient-elle. Surtout ne t’avise pas de recommencer… Mon père est décédé l’année dernière et je n’arrive pas à me résigner à sa mort.»

Sophie, le visage fermé et marqué par une gravité manifeste, l’assomme comme  le ferait un uppercut porté à la base du menton.

Julian est groggy et aphone au point de ne pas pouvoir se confondre en excuses. Il vient de prendre une claque et se voit déjà ramer très fort pour regagner l’estime de la femme blessée.

Sophie se lève de table, quitte la cuisine sans mot dire en le laissant seul avec ses remords. «Pauvre con que tu es ! Quelle belle burne tu fais !» Soliloque-t-il. L’échine courbée, les coudes solidement arrimés à la table et la tête calée entre ses deux mains, il accuse grandement le coup.

Dans l’interstice de la porte, Sophie observe le résultat de ce qu’elle a créé. Elle oscille entre la satisfaction de son effet et la commisération pour celui qui en est victime. A pas légers comme une chatte qui cherche à se rendre invisible, elle s’avance dans le dos de Julian, lui pose la main sur la tête. Il se redresse subitement en provoquant le recul de sa chaise. Il abhorre qu’on lui touche les cheveux sans sa permission. Sophie en profite pour s’asseoir sur ses cuisses, lui enroule les bras autour de son cou et de sa bouche pleine de miel à l’adresse de son oreille, lui lave d’une phrase murmurée, le fiel qu’elle lui avait instillé :

« Mon père est toujours vivant et bien présent. Et s’il te savait là, tes cuisses t’en cuiraient.»

Julian la regarde droit dans les yeux. Il n’éprouve aucune rancune. Mieux encore, il ressent une réelle admiration pour celle qui vient de lui faire subir ce qu’il a coutume de s’amuser à produire chez les personnes qu’il apprécie.  Elle a révélé un trait taquin de son caractère. Il y a de lui en elle et il commence à se sentir vulnérable. Elle devient trop en phase. Trop vite et trop parfaitement. Il y a danger dans la maison Julian. Après l’avoir longuement fixée, il se fend d’une gentillesse :

« T’es une sacrée belle garce ! Mais total respect. Tu m’as bien eu. N’en parlons plus !

-  C’était mon test à moi. Je voulais savoir si tu tenais à moi. Même un petit peu.

-  Et alors? Quel est le verdict de ton foutu test… quelque peu machiavélique?

-  J’ose affirmer que tu n’es pas indifférent. Sinon, tu aurais fait comme beaucoup de mecs qui ont consommé la chose. Après avoir merdé, tu aurais profité de mon absence pour te carapater. Et roule ma poule… ni vu ni connu, je disparais.

-  Ce genre de mecs que tu décris, tu en connais encore?  T’en as connu beaucoup?

-  Honnêtement? Non. Mais tu sais, entre femmes, on discute et on se nourrit des mauvaises expériences des unes pour ne pas les vivre avec des autres.

-  Je suis content de ne pas faire partie de cette catégorie de «lascars» mais je ne suis pas convaincu que ton test suffise à me blanchir. Fais attention ! Sache que dorénavant je vais rester sur mes gardes.

-  Dans l’immédiat, baisse ta garde et occupe tes mains à bon escient. Laisse-les te dire ce que ta tête t’empêche.

-  Explique-toi !» Lui dit-il, un rien décontenancé.

Prenant  une voix masculine, se redressant fièrement et gonflant la poitrine comme pour simuler de virils pectoraux, Sophie tente l’inspection de  la conscience de Julian comme une introspection:

« Méfie-toi… Cette fille est dangereuse… Elle a dû bourlinguer… Elle sait le faire avec les hommes. Tu n’es pas champion du monde. Ce que tu as déjà obtenu sans trop de peine, d’autres l’ont sans doute eu également. Peux-tu réellement lui faire confiance? Tu la sautes le premier soir… En plus, sans capote ! Attention grand fou, tu prends de sérieux risques. Ok… Elle est belle, bien balancée et pour ne rien gâter, elle semble brillante. Pire… elle te plait ! Et tu vas…

-  Arrête tout ! Ne vas pas trop loin et ne recasse pas le vase de Soissons. Tu n’as pas faux sur tout. Tu as même raison sur beaucoup de points. Mais n’est-ce pas légitime de se poser ce genre de questions? Et puis pour parler vrai et sans détours, je reconnais que la seule chose qui pourrait me bloquer, c’est le doute sur le Sida. Tant que je n’aurais pas la certitude de pouvoir le lever, il y aura toujours un frein, même inconscient. J’ai même trouvé étonnant que nous n’ayons pas pensé à nous protéger. Pas sur le moment mais le lendemain ! Pour le reste, ton passé avec les hommes, et ton aisance… c’est ta vie. Et puis merde… Oui, j’ai pris un sacré pied lors de notre première fois. Et affirmatif, tu me plais dans tout ce que j’ai vu, ce que je vois encore et dans ce que j’entrevois.»

Sophie se lève, l’air vexé. Elle cherche son paquet de cigarette. Le trouve. En extirpe une avec nervosité. L’allume sans même lui en proposer. A sa manière de tirer dessus, Julian sent l’irritation aller croissant. En jouant à se mettre dans sa tête, elle a allumé des mèches et des réactions qui semblent ne pas répondre aux effets escomptés.

La vie est un grand terrain de jeu. Un tapis vert où on joue, on gagne ou on perd. Un bon conseil: le Joker! Il évite bien des galères.

Rêvant de dissiper tout malentendu et afin de ne pas scléroser la situation, Julian voudrait voler à son secours et l’inviter à faire sortir d’elle, le problème qu’elle parait dissimuler. Ses simples propos venant de sa part, n’ont pas pu générer cette attitude disproportionnée. Sous la fanfaronnade, il croit avoir touché du doigt une sorte de fêlure voire  une défense qui a du mal à se cacher. A la vitesse de la lumière, il se rappelle que la séparation d’avec son fils et son mari, est récente.

Il spécule épais. Il se remémore leur soirée et se revoit  être survenu à un moment vraisemblablement critique ou le manque de ces personnes aurait dû être palpable.  Il aurait dû l’envisager. Mais il était absorbé par le jeu de la séduction et de l’attirance. Il transpirait la joie de vivre,  s’évertuait à plaire et il cherchait délibérément à inspirer la confiance. Il se souvient maintenant de la réticence de Sophie à parler de sa famille. Aussi se surprend-il à penser que, l’ivresse aidant, elle aurait comblé l’absence des siens avec son aide et à son insu. Possible mais pas exact. Certes, il n’avait pas été entreprenant mais il était bel et bien consentant.

« Sophie, parle-moi… Dis-moi les choses qui t’embarrassent. Excuse-moi mais c’est le genre de truc que je ressens. Et ton comportement en témoigne, dit Julian afin de renouer le dialogue.

- Tu ne peux pas comprendre et je ne le souhaite même pas, lui répond-t-elle sèchement.

- Permets-moi au moins de me risquer à une explication. Si elle te déplait, tu es libre de me virer. De toutes les façons, tu es libre de le faire quels que soient mes pensées et mes délires.

- Je t’écoute mais ne brûle pas tes chances de m’énerver davantage, lui assène-t-elle encore plus durement.

- Te sens-tu coupable, même de façon lointaine de notre passage à l’acte? Tu as remarqué, je fais des efforts, je prends des gants… de velours.

- De loin, pas du tout. De près, un petit peu.

-  Pourquoi as-tu pris la mouche quand… Non, pas cette question là. C’est trop tôt… Ok ! Je me relance. Arrives-tu à gérer l’absence des deux personnes présentes sur la photo posée au dessus de la télévision?»

Sophie semble circonspecte par cette question on ne peut plus directe. Visiblement, elle est gênée et la réponse peine à sortir. Quand les mots finissent par quitter sa bouche, ils claquent comme pour donner raison à l’analyse de Julian.

« C’est… dur… C’est … beaucoup  trop dur », ânonne-t-elle en même temps qu’elle lui tourne le dos. Mais il constate aisément que des spasmes provoquent le tremblement du haut de son corps. Sophie ne tarde pas à éclater en sanglots.

Se levant d’un bond, Julian prend soin de lui retirer sa cigarette et de l’éteindre dans l’évier proche. Pas le temps de trouver le cendrier. Il la retourne dans sa direction jusqu’à lui faire face. Il la serre contre lui et lui suggère vivement de continuer de pleurer, d’évacuer toutes les larmes ainsi que ses tensions. Il lui offre ses larges épaules pour se libérer du mal intérieur qui parait la ronger. Il voudrait lui dire combien il apprécie de la voir se mettre dans cet état pour les gens auxquels elle tient. Il appréhende la grandeur de cœur et la puissance de l’amour qu’elle porte en elle et qu’elle ne peut malheureusement pas dispenser du fait de la grande distance qui la sépare des deux hommes de sa vie. Il a véritablement appuyé là où se nourrissait et grandissait la douleur et il est persuadé maintenant que le fait d’avoir employé le terme du Sida et d’avoir évoqué cette putain de maladie, a engendré la peur et mis à mal leur confiance mutuelle. La peur de mettre les absents adorés en danger et la perte de confiance issue de l’émergence de cette crainte.

 Le fait est qu’il ne peut plus douter de sa saine santé et il s’en voudrait presque d’avoir osé, indirectement, obtenir d’elle une garantie à ce sujet. Elle s’était donnée à lui en toute sécurité, sans craintes, sans même lui demander de se protéger. Sans doute avait-elle lu en lui qu’il était réellement ce qu’il paraissait : un mec clean sauf volage, un mari fidèle qui n’est pas coutumier des rencontres extra conjugales.

Afin que Sophie se libère de son énorme poids, Julian lui offre son torse et la prie de tambouriner dessus comme s’il s’agissait d’un sac de boxe.

« Frappe- moi. Frappe-moi fort. Défoule-toi et ne ménage pas ta peine. Mais ne déborde pas le support ! Frappe plus fort… Frappe encore. Dis-moi qu’il n’aurait pas du partir avec ton môme. Dis que tu t’en veux de les avoir laissés partir loin, de ne pas avoir assez insisté pour les retenir. La vie, ce n’est pas le pognon. La vie, elle se vit ici et maintenant. Pas une fois devenus vieux et plein de fric où le temps vous manquera pour le dépenser. Avoue que tu n’en peux plus de cette situation. Libère-toi ! Eructe si tu veux mais explose une bonne fois ! Lâche tout !»

Sophie s’exécute et martèle ses pectoraux, tantôt avec les poings, le pouce à l’intérieur à la manière typiquement féminine, tantôt avec le plat des mains comme autant de claques maladroites. Elle est avare en mots mais la fréquence des coups portés parait correspondre à l’acceptation des assertions de Julian.

Alors qu’il sent la tension redescendre, Il commence à esquiver les coups tel un boxeur acculé dans les cordes et son déhanchement ludique produit l’effet recherché de déclencher les rires, même nerveux de Sophie. Il semblerait que Julian soit arrivé au résultat souhaité. Sophie a vidangé son trop plein de douleurs intérieures et, épuisée, elle s’écroule sur ses épaules. Il l’enserre à la taille et doucement les fait se balancer dans une danse à deux temps. Le calme à fait place à la tempête et l’ordre harmonieux reprend gentiment ses droits.

Sophie s’excuse de son comportement, le remercie de sa compréhension et de son aide et d’un mouvement rapide anticipant toute réflexion, elle l’embrasse.

Julian essuie ses larmes qui continuent de couler le long de ses joues jusqu’à la commissure de ses lèvres. Le voile humide qui recouvre ses yeux augmente la douceur de son regard. Le volcan s’est éteint et l’être qui en revient est à fondre. A croquer, même.  Elle est mûre pour être cueillie mais il ne souhaite  pas profiter de sa faiblesse passagère.

Comme par enchantement ou bien parce qu’elle a simplement su parfaitement lire dans le fond de ses pensées, Sophie lui prend la main et le dirige. En bon guide qui seul sait où il va, elle le tire en tenant toujours franchement sa main et il se laisse la suivre. Bien sûr, il a sa petite idée mais le fait de ne rien encourager, le séduit grandement.

Ils se retrouvent, sans surprises, au seuil de la chambre. Une pièce épurée aux murs blancs immaculés. Aucun poster, aucune photo. Ni miroir ni tableau. Les draps du lit, avec des stries de couleur vert et pourpre sont encore froissés. Julian est frappé par la taille du lit. A l’œil, il s’agit d’un deux mètres par deux mètres comparable à ceux qu’il lui est arrivé de rencontrer dans les chambres des hôtels de luxe. Mais le plus remarquable, ce sont les quatre gros oreillers violets qui dorment sur le lit en ordre disparate. Leur déformation suggère qu’ils sont extrêmement moelleux. Ils ont largement épousé le corps de Sophie et répondu à ses sollicitations. Leur présence en grand nombre tend à confirmer les absences dont Sophie souffre. Aussi s’enquiert-il de savoir si elle est prête à réitérer l’expérience de leur première fois :

« Es-tu vraiment sûre de vouloir pousser plus loin la chose? Es-tu prête à voir sortir la bête qui est en moi?

-   Affirmatif ! Je suis même disposée à la recevoir en moi.

-   Je vois que tu as retrouvé ton humour. Mais n’est-ce pas prématuré? Ne veux-tu pas remettre ça à quelques… secondes ?»

Pour toute réponse, Sophie le pousse sur le lit. Il n’oppose aucune résistance et tombe franchement de tout son long, sur le dos. Il constate de suite la haute qualité de confort du matelas. Les oreillers confirment également leur légèreté et leur douceur. Sophie s’occupe à lui délacer ses chaussures qu’elle lui retire. Elle lui enlève ses chaussettes. Les jette sans déférence dans la pièce. Julian se laisse déshabiller avec un plaisir certain. Elle lui détache sa ceinture, déboutonne son pantalon, fait descendre le zip de sa braguette et fait glisser le tout, le long de ses jambes. Comme les chaussettes, le pantalon vole dans la chambre. L’effeuillage provoque chez eux une réelle excitation. Julian perçoit nettement les tétons de Sophie qui grandissent sous la soie jusqu’à tendre ostensiblement la matière. Sophie ne peut que constater le désir qu’elle à fait naître en lui et ce qu’elle voit lui déclenche le sourire. Le sexe de Julian, en grande érection, déborde largement de son boxer. Elle marque une pause comme pour photographier mentalement la scène. Puis elle libère la «bête», et fait tournoyer le sous-vêtement avant de lui faire prendre son envol. Le spectacle qu’elle vient de capturer lui fait oublier de délester Julian de son T-shirt. Il ne s’en plaint pas. Sa peau ne souffrira pas d’éventuelles griffures ou autres stigmates de plaisir.

Sophie vient s’allonger à ses côtés et son corps tout entier semble vouloir s’abandonner aux caresses. Julian ne fait pas l’effort de lui retirer sa nuisette. Il désire laisser cachées les parties intimes de son anatomie. Elles sont largement suggérées et hautement sacralisées. De sa main droite il parcourt lentement et en douceur sa jambe gauche interminable jusqu’au galbe musclé de sa fesse. Il continue l’exploration de son postérieur pour s’attarder au niveau de la chute des reins. Il en masse la zone et joue avec les deux os iliaques. Les pressions répétées qu’il exerce sur eux provoquent de petits soubresauts à l'endroit de son bassin. Elle cahote légèrement alors qu’il l’asticote gentiment. Il aimerait être pourvu d’autant de mains que le corps qu’il caresse, possède de zones érogènes, et ce, afin de toutes les solliciter en même temps. Créer une explosion des sens qui échapperait à tout contrôle. Mais la nature est ainsi faite qu’il faut s’armer de patience pour en apprécier le fonctionnement et appuyer sur chaque bouton, l’un après l’autre avec la dextérité d’un explorateur aux balbutiements autant qu’ au sommet de son art. La maladresse peut provoquer de douces sensations inattendues et la maîtrise préfère se reposer sur la technique plutôt que l’artistique. N’est pas prestidigitateur qui veut !

Sa bouche tète son téton gauche et sa langue redessine son aréole avec des mouvements circulaires attentionnés. La main qui explorait l'arrière train de sa partenaire, se décide à venir constater les effets que produisent ses tendresses. Le sexe de Sophie, tel un jardin tropical, baigne dans une douce humidité. Il aimerait que ce noir jardin qui ruisselle soit plus dru mais les normes esthétiques de notre société moderne encouragent la gent féminine à réduire leur densité pileuse au minimum, à la crête d’un Iroquois. Son  index en partenariat avec son majeur s'entendent à masser le clitoris qui enfle comme un jeune Boletus Edulis; ce divin «bouchon de champagne» appelé aussi Bolet ou cèpe de Bordeaux et qui s'offre au ramasseur de champignons quand ce dernier soulève délicatement la mousse qui le cache.

Sophie se remplit de plaisir et son corps ne peut que répondre favorablement aux stimuli. Son excitation la pousse à saisir fermement le membre gonflé de flux sanguin de Julian qu'elle branle au rythme de ses propres sollicitations. Quelques secondes suffisent pour qu'ils composent avec leurs doigts une partition harmonieuse. Alors que son vagin semble lui dicter sa volonté de participer aux festivités, elle vient s'asseoir sur le centre d'inertie bien érigé de Julian. Il la reçoit sans peine tant leur «outils» respectifs sont bien «alésés» et parfaitement « huilés». Comme deux machines qui seraient issues du Taylorisme, ils s'activent en cadence et font leur travail de l'amour. De toute évidence, l'humain possède plus de créativité que le robot et Sophie de jouer à faire l'hélicoptère. En prenant grand soin de ne pas défaire la douce union de leurs organes, elle fait preuve de véritables aptitudes gymniques et malgré ses  jambes qu'elle porte longues, elle démontre une grande souplesse: par phases bien senties, elle pivote autour de l'axe étranger qui vit en elle en s'assurant de ne pas le tordre. Le corps de Julian se soulève par à-coups comme pour simuler le décollage. Doux Jésus qu'ils paraissent bien!

Profitant que Sophie lui tourne le dos, et pour prendre l'initiative des ébats, il se redresse contre son corps avec l'énergie de ses abdominaux cachés par le gras bien dissimulé sous un fin manteau de peau. Il se love contre elle et sûr de lui, il les fait délicatement basculer en arrière. Maintenant ils chavirent sur le flanc. Dans la  foulée et sans brusquer les choses, il lui impose la position  à quatre pattes. Et là, comme une image subliminale ressurgie de son subconscient ou plus justement issue du souvenir collectif, il repense aux deux ouïes dessinées à la plume de plomb et à l'encre de Chine sur la célèbre épreuve de Man Ray intitulée «le violon d'Ingres». Le corps de Sophie lui apparaît comme un stradivarius; les fesses forment un joli cœur et les épaules sont musclées juste ce qu'il faut. Le dos, dans une cambrure à damner un saint pourrait s'habiller de cordes virtuelles qui accompagneraient la musique de chambre d'un Mozart version «Amadeus» de Milos Forman. Tout l'être de Sophie va l'amble au rythme d'un cheval à bascule, aidé par deux mains fermes et masculines bien agrippées à sa taille de guêpe et favorisé par de fougueux coups de boutoir. Et Léo Ferré de chantonner «c'est extra» dans la tête de Julian qui s'émoustille d'un tel spectacle. Ils jouissent ensemble et leurs muscles se relâchent. Sophie s'affale sur le ventre et Julian se vautre sur le dos. Ils prennent congé de leurs excitations et se reposent sur leurs satisfactions. Spontanément, Julian remet sur leurs corps les draps chiffonnés comme pour éviter de nouvelles tentations ou bien s'agit-il tout simplement d’un juste retour de pudeur. Dans tous les cas, les draps bougent. Ils rendent compte des mouvements respiratoires de leurs hôtes en phase manifeste de récupération. Apaisés, ils se prélassent comme des chérubins sur un nuage ouaté de plumes d'oies dont les oreillers sont bien emplis.

Après de longues secondes d'un silence réparateur, Sophie, les yeux pétillants  et assurément mutins, lui propose ce qui va s'avérer être une véritable douceur,  un cadeau de déesse fait à un prince qui pourrait ne pas se défendre de se sentir comme un seigneur:

«Veux-tu que je te fasse le sous-marin? Lui demande-t-elle.

- Plait-il? Quèsaco exactement?

- Laisse faire le capitaine de vaisseau! Immersion enclenchée! A toute à l'heure.»

Lascivement comme un serpent qui n'a rien de froid, elle se glisse sous les draps, par doux paliers, le long de son buste. Julian comprend son intention et saisit parfaitement ses allusions métaphoriques. Il s'étonne presque de sentir son périscope reprendre du service. Il avait oublié qu'il pouvait repartir aussi rapidement. Des années de bons et loyaux services auprès de son épouse, ont progressivement endormi la répétition du plaisir consommé. Il est devenu par habitude et contentement mutuel, l'homme d'une seule fois. Mais la nouveauté ainsi que les circonstances exceptionnelles qui en découlent, réveillent sensiblement son appétit sexuel. L’immersion de Sophie produit sur lui une soumission partielle. Seules ses mains restent actives sur cette noire chevelure offerte comme une touffe dense et ondulée qu'il se plait à farfouiller. Cette dernière lui cache une bouche complètement magique qu'il remplit sans contrôle de la protubérance de son sexe. Il imagine les veines de son membre abandonné, saillir à chaque effort de Sophie. Avec grandes délicatesses et de façon précautionneuse, elle manipule ses ballasts. Le sous-marin est réellement en danger et les liquides qu'il contient, menacent de se répandre. Julian voudrait la prévenir de cet incident qu'il sent éminent mais il est déjà trop tard. Il inonde la bouche de la belle sirène qui, loin de s'en offusquer, prolonge le dégât des eaux troubles et épaisses jusqu'au repli progressif du périscope. Cette plongée sous-marine lui a fait gagner les airs, parler aux anges et sortir sans emphase ni politesse, des mots associés au nom du créateur pour confirmer son adhésion à cette pratique réalisée de mains de maîtresse. La grande messe est dite, le petit jésus s'en est rentré et les enfants de cœurs se bercent de louanges. Bon dieu que c'était bon!

Après ces fortes émotions, la logique voudrait que Julian  réponde à l'appel de la douche... même froide. Ce qu'il demande sans perdre de temps:

«Tu es complètement... out of the world! En dehors du monde et j'adore!, lui dit-il. Et marquant une légère pause, il continue : je connais le salon, les toilettes, la cuisine et ta chambre... Voudrais-tu  m'indiquer la salle de bain? Après toutes ses images d'eaux salées,  j'ai besoin des caresses d’une  eau douce!

-  Attends un peu. Garde sur toi un peu de moi. Un temps encore. Juste assez pour  que je t’avoue que tu es le seul homme depuis mon mari, avec qui je partage mon intimité. »  Elle semble attendre de cette révélation qui lui coûte profondément, une réponse de sa part  mais au final, elle ne reçoit que l’image d’un torse qui se bombe et d’un visage qui s’illumine d’une vraie  satisfaction  d’étalon  à  la sauce italienne.

« Tu sors de la chambre, tu prends  sur ta droite, tu longes le corridor jusqu’à la  première porte à gauche  et tu... tu te démerdes!» Poursuit-elle en ses termes, sans doute légèrement déçue  qu'il se décide à rester silencieux et ne daigne pas offrir de remerciements ni s’ouvrir  sur ses propres expériences. Il a bien senti son humeur. Aussi tente-t-il de la rassurer en lui disant qu'il aime l’odeur d’amour qu’il sent sur leur corps, qu'il apprécierait d’en garder l’empreinte plus longtemps mais qu'il craint sincèrement que ses clients ne trouvent  son parfum pas très professionnel. Il s’efface de la chambre pour gagner le lieu où il pourra se laver de toutes ces bonnes choses.

Il tombe sur une pièce sanitaire spacieuse avec deux zones de bain susceptibles de produire un grand confort. Une baignoire d’angle avec des ouvertures qui appellent le souvenir déjà éprouvé de l’émergence  de puissants  remous et un espace douche luxueux réalisé de façon artisanale avec de nobles matériaux colorés d’un bleu intense et magnifié par des mosaïques dignes de thermes romains .

Son choix est fait. Ce sera la douche.

Julian n’a même pas le temps de comprendre le fonctionnement de la robinetterie que Sophie surgit dans la pièce et se propose instantanément de le guider dans la  manipulation des objets chromés.

Comparables à deux êtres volontairement piégés et seuls dans une pièce aquatique du genre publicité format petit lagon comme au cinéma, ils s’arrosent d’une eau salvatrice et se savonnent mutuellement au parfum puissant de la fleur de tiaré associée à la douceur de la vanille. Comme un enchantement qui devient prévisible par sa récurrence, leurs sens se réveillent à nouveau. Nourri d’une envie quasi animale, Julian se retrouve rapidement à la hauteur de l’origine du monde. Il se lance dans un cunnilingus tiède et humide que Sophie alimente parcimonieusement avec l’eau tempérée de la douche qui coule le long de son corps depuis son visage joliment déformé par les actions linguales exercées à l’endroit de ses petites et grandes lèvres. Elle ne tient pas à ce que Julian ne se saborde sous  un flux d’eau trop important. Pour le coup, l’image du sous-marin refait surface. Accolée fièrement contre une paroi vierge de tout accessoire blessant, Sophie se laisse jouir rapidement. Pour le plus grand bonheur de Julian qui pense défaillir en ressentant des picotements dans les jambes. Il connait une sensation proche de la jouissance mais il commence en définitive à souffrir de crampes au niveau  des cuisses. Quelle matinée tonique !

Alors qu’il se laisse masser par les jets et se reprend doucement des efforts produits, il regarde avec un œil photographique Sophie se sécher. Il scrute avec grande précision cette créature dont la serviette de bain révèle  la beauté vraie et une plastique de rêve à chacun de ses passages. Sophie se sent regardée et en joue avec grand charme.

«  Ai-je gagné le droit d’obtenir ton numéro de portable ? ». Lui demande-t-elle avec une simplicité toute naturelle. Mais  il est dans ses pensées et le bruit de l’eau ne lui autorise pas d’entendre sa question. Elle réitérera sa demande plus tard, au sortir de sa douche.

Pendant qu’il essaie de recouvrer ses effets dispersés dans la chambre afin de se rhabiller, Sophie revient vers lui avec sa question  restée sans réponse :

«  Avant que tu vaques à tes occupations et que tu prennes congé de moi, j’aimerais assez que tu me laisses ton numéro de téléphone. Je pense l’avoir bien mérité. N’est-il pas vrai ?

- Je te le file avec plaisir…Mais à la condition que tu m’appelles en numéro masqué ou alors, tu ne fais sonner qu’une fois. Dans tous les cas, tu ne me laisses aucun message. J’ai la fâcheuse tendance d’égarer mon portable partout dans la maison. Au su et à la vue de toute la famille. Et une dernière chose et pas des moindres… Ne tombe pas amoureuse. Je sais que je suis un mec extra mais je m’en voudrais de te faire souffrir.

- Ne t’inquiète de rien, je ne suis pas le style femme fatale à créer le bordel et pour rebondir sur ce qui ressemble à une peur primale bien légitime, c’est plutôt à toi de prendre garde de ne pas succomber à la déesse de l’amour. »

Ils échangent encore un moment sur le mode de l’humour et d’une amicale escrime verbale puis ils se quittent en une  harmonieuse embrassade avec la promesse de revivre ces moments de douce perdition où le temps n’a pas d’autre occupation que de suspendre son vol.

Le temps des complications et des confusions

Julian et Sophie, vont vivre cette histoire, en vase clos, avec une passion réfléchie pour s’éviter les problèmes. Surtout pour ce qui le concerne. Il n’est pas seul et donc pas libre et il s’efforce donc de se protéger autant que faire se peut. Il ne daigne pas s’investir dans cette relation plus que de raison. Aussi appréciable soit-elle. Un  Mercredi matin et un Vendredi soir par tranches hebdomadaires en fonction surtout de ses disponibilités, pendant des semaines mais pas systématiquement. Assez longtemps pour profiter l’un de l’autre, suffisamment pour se faire peur, se mettre en danger et semer des embûches sur le parcours qu’ils tracent avec la puissance du désir qui repousse sans cesse les limites du raisonnable.

Après de longues semaines qui se comptent désormais en mois, Julian ressent de plus en plus la difficulté de vivre deux histoires en parallèle ; ce sont les  mensonges qu’il faut inventer sans cesse en prenant grand soin de ne pas éveiller le moindre soupçon et les stratégies qu’il faut développer pour organiser deux agendas de vie  sans chevauchement discordant. Mentir n’a jamais été chose aisée. Il n’a pas de propension à ce penchant.  Il a toujours dissuadé ses enfants d’user de cette arme pernicieuse qui détourne des responsabilités, du respect et empêche de s’assumer dans ses actes. Même si notre expérience de la vie nous apprend qu’il faut se garder d’ouvrir une main pleine de vérités, il convient de reconnaître que les secrets bien gardés, ne le sont que par les applications de la méthode du savoir bien mentir. Et l’honnêteté de s’en trouver sérieusement taraudée.

Julian, en ouvrant la boite de Pandore sait qu’il a libéré certains maux comme la tromperie et la passion. Mais il espère que l’espérance qu’elle est censée renfermer, lui donnera les forces de s’en accommoder plus que de les combattre. Force est de constater que l’homme ne peut pas lutter contre les attributs qui fabriquent l’humanité et qui façonnent notre monde.

Comme un fait exprès, Géraldine a pris la résolution de s’occuper de son corps de plus en plus. Julian y voit un signe indien qui lui rappellerait symboliquement de ne pas se détourner de ses priorités.

 L’été est bien installé et les vacances du mois d’Août se précisent à grands pas. Son épouse se redessine un corps de naïade avec l’objectif avoué de faire fondre les formes acquises pour lutter contre la froidure de l’hiver et éliminer le surplus nés des pêchers mignons dont elle a abusé au cours du printemps. Peut être aussi avec l’intention  inavouée  de raviver l’appétit sexuel de Julian qui s’est montré ces dernières semaines, moins entreprenant que d’ordinaire. Sa silhouette s’affine et se raffermit à la vitesse de ses foulées de courses de fond. C'est-à-dire rapidement. Julian est sensible à ce remodelage corporel et il récompense régulièrement les efforts endurés mais consentis par des massages concupiscents  suivis d’étreintes sensuelles et de rapports dynamiques mais courts dont l’obscurité de leur chambre, à l’heure du grand sommeil de la maison, peut témoigner.

Jeudi 23 Juillet. 23h00. A la maison familiale. Les enfants dorment déjà du sommeil du juste. Le DVD de « SCARFACE » de Brian De Palma vient de s’achever dans un bain de sang d’anthologie. Julian est remonté comme un Tony Montana avant sa déchéance et Géraldine rayonne de la beauté d’une  Michelle Pfeiffer avant qu’elle ne se repoudre le nez à la cocaïne. Ce soir, la nuit promet d’être agitée.

Julian n’a pas traîné pour se glisser sous les draps. Avec une certaine impatience, il attend que Géraldine vienne le rejoindre. Il éprouve grandement les longueurs que les femmes mettent à faire leur toilette. Surtout ce soir. Les matins, il ne sent pas concerné. Il est souvent levé plus tôt mais s’occupe de lui après tout le monde. Géraldine finit par retrouver le chemin de la chambre. Comme à son habitude, elle se couche sur le ventre et attend patiemment qu’il prenne les choses en main. Il connait la musique mais il aimerait qu’elle déclenche les « hostilités ». Pour ne pas céder, il  ronge son frein et lutte contre son excitation. Géraldine le sent bouger les jambes en cycles répétitifs et s’amuse discrètement de son énervement manifeste. Mais ce soir, elle joue à se faire désirer. Après une minute qui a semblé interminable pour Julian, elle lui demande s’il a envie de faire l’amour. Madame est décidément très joueuse et en guise de réponse il précipite sa main gauche sur ces petites fesses joliment arrondies et remusclées par sa pratique assidue du sport. Il les caresse lentement puis les masse énergiquement comme le boulanger pétrit fermement son pain pour en obtenir une belle « miche ». Sa peau est vraiment tendue. Tout son corps s’est véritablement durci et fait largement oublier son âge. Il a gagné presque cinq années en très peu de temps mais en autant qu’il n’en faut à Julian pour prendre ce que Géraldine a perdu. Il se dit en passant sur ses formes sculptées qu’il devrait suivre son programme intensif. Mais cette pensée reste évanescente. Dans un sursaut d’orgueil et pour s’éviter de faire tout le boulot, il cesse la redécouverte de ce corps, se repositionne sur le dos et invite Géraldine à venir le chevaucher pour trouver personnellement son rythme de galipette. Elle s’exécute mais rencontre quelques difficultés à accepter son sexe. Elle a perdu l’habitude de cette position et la perte de ses excédents adipeux a visiblement augmenter la profondeur de pénétration et durci la rencontre des deux corps. Pourtant les conditions d’humidité sont excellentes. Confronté à ce problème récent de disharmonie dans l’union de leur sexe, Julian voit surgir sans aucune maîtrise, le spectre de Sophie ;  la souplesse et la légèreté de mouvement inhérentes à sa personne. C’est la première fois que le phénomène se produit et il s’irrite de ne pas en avoir le contrôle. Il ferme les yeux, se frotte franchement les paupières et rouvrent les yeux pour s’apercevoir  à son grand soulagement que l’image troublante de Sophie, s’est envolée. Géraldine s’excuse de ne pas trouver de plaisir et de ressentir des douleurs. Afin de la  ménager, il se dévoue pour adopter la position qu’ils ont coutume de privilégier en tant que couple tranquille, pépère et comme « rangé des voitures ». Elle, sur le ventre et lui, aussi mais au dessus. C’est la pose qu’ils apprécient tous les deux. Il ne peine pas à jouir ainsi et elle est satisfaite pour ce qui la concerne que le rapport ne dure pas trop. Heureuse et sage décision puisque leur fils, victime d’un réveil humide, a pénétré dans la pièce sans frapper. À moitié endormi, la tête encore accrochée à son rêve, il demande automatiquement comme Nono le petit robot, l’ami d’Ulysse, de l’aide à sa mère. Bizarrement, cette intrusion rassure Julian ; il est bel et bien chez lui, les stimulations amoureuses sont retombées  et l’image de Sophie ne réapparaîtra pas ce soir. Mais cette apparition non commandée laissera certainement des traces sur le chemin de son futur.

Samedi 25 Juillet. 01h30. Résidence « Les chardonnerets ». Il est tard et Julian devait passer voir Sophie plus tôt dans la soirée. Il avait convenu avec elle de profiter d’un repas en ville avec ses amis de bordée pour la retrouver ensuite. Il devait se forcer à s’éclipser après le digestif en prétextant pour le lendemain un rendez-vous professionnel matinal exceptionnel mais d’une extrême importance. Tout était extrêmement bien planifié. Mais la puissance de l’amitié a fait voler en éclats ses prédispositions. Le partage des idées, les échanges philosophiques alimentés par les tournées de verres ont arrêté le temps et prolongé la nuit. Il avait tout de même trouvé l’occasion de prévenir de son retard mais sa voix annonçait déjà la couleur et son timbre,  l’ivre gaieté.

Il est devant l’interphone et s’oblige à rester camper droit sur ses deux pieds. Sophie lui ouvre sans émettre le moindre son. Il entame la montée d’escaliers avec une manière lourde et chancelante qui manque rapidement de lui faire louper quelques marches. Après de grands efforts, il parvient à l’appartement. La porte est entrouverte. Sophie l’attend à la cuisine, assise devant un verre d’eau comme pour lui faire passer un message et la cigarette à la bouche. Elle est énervée et son irritation ne se fait pas attendre :

« Tu es content de toi ? Tu n’as pas l’impression d’abuser ? Dis- toi bien que je ne suis pas ton casse croûte et ne t’imagines pas que tu peux passer à n’importe quelle heure. Surtout dans cet état.

- T’es fâché ma doudinette ? Je m’esecuse et j’ai pas fait esprès », lui répond-il dans un langage Tex Avery façon Bugs Bunny.

Son élocution révèle nettement son trop plein d’alcool. Sans doute manque-t-il aussi de lucidité pour  pouvoir appréhender à sa juste valeur le courroux de Sophie. Il continue de baragouiner une langue inconnue des oreilles, qui ne peut, encore moins s’écrire et il s’enlise davantage:

« Sacrée bagnole ! Je lui avais ordonnée de me ramener chez moi comme une mariée et voilà ti pas qu’elle me conduit ici. On ferait bien de revenir aux bons vieux attelages. Avec les chevaux, on peut s’endormir en étant sûr qu’ils retrouveront toujours le bon chemin.

- Arrête avec ton humour à deux balles ! Ce n’est vraiment pas l’heure et je ne suis pas du tout disposée à écouter tes conneries et tes allusions sur ton erreur de destination. »

Julian tente une approche physique pour  obtenir ce que les mots qui sortent de sa bouche et qui manquent ce soir cruellement de magie, ne parviennent pas à faire. Il lui masse les cervicales pour la détendre et recevoir son pardon. Mais l’haleine fétide qu’il souffle sur sa tête et  dont les odeurs lui explosent aux narines comme une agression nauséabonde, oblige Sophie à prendre ses distances avec lui.

« C’est horrible comme tu pues la bibine. C’est insoutenable. Tu peux te reposer sur le canapé pour te retaper la griotte  mais ne compte pas sur moi pour la discussion et oublie jusqu’à l’idée des  câlins.

- Eh bé ! Sympa l’accueil ! Dire que j’ai écourté ma soirée avec mes potes pour ce résultat là. Merci… mille fois. Au fait Sophie ou plutôt Philosophie du soir… je pars en vacances dans le Sud Ouest pour longtemps…  Quatre semaines pleines. Et tu sais quoi ? J’ai peur que notre relation ne résiste pas à cette longue séparation. Vu ta conduite de ce soir ! Je pense qu’il y a mieux comme  dernière image à emmener dans sa valise. Sois certaine que celle-là ne va pas m’empêcher de dormir. »

Sophie ne fait même pas l’effort de répondre. Elle dédaigne clairement  ce sarcasme et son intelligence l’invite à ne pas rentrer dans des joutes verbales qui finiraient certainement très mal et au-delà de ce qu’ils voudraient réellement. Sans l’embrasser, sans un mot et sans même un au revoir, elle va se coucher. Quant à Julian, il se retrouve seul et aviné comme un con. Il n’a pas la force de repartir dans son état. Prendre la voiture serait ridicule et hautement dangereux. Plein comme une huître et assommé par la réaction de Sophie, il s’affale sur le canapé du salon et ne se sent même pas partir dans les vapes.

 

Lundi 17 Août. Seignosse bourg. Les Landes. Julian est en villégiature dans cette belle région de France avec sa famille au grand complet. Depuis le début du mois, ils séjournent chez des amis de longue date. Ils profitent pleinement de chacun entre les jeux dans les vagues agitées de l’Atlantique, les promenades en VTT dans les pinèdes ombragées et vertes de leurs denses tapis de fougères, les apéritifs prolongés baignés des odeurs du barbecue et les soirées conviviales sous le plafond éclaboussé d’étoiles des cieux bleus électriques. C’est le paradis sur terre. L’atmosphère est saine, le climat tempéré et l’ambiance générale est au beau fixe. Rien ne vient perturber ces vacances idylliques. Rien jusqu’à l’appel téléphonique inattendu de Sophie à l’heure du digestif de minuit. Les enfants sont couchés depuis peu, les femmes s’attèlent à la vaisselle tandis que les hommes se détendent dans le jacuzzi de la terrasse chocolat en jatoba, le verre de vodka « Soplika » à la main.

Julian s’isole discrètement pour rappeler Sophie qui n’avait pas oublié le code d’appel : une seule sonnerie ! Ils étaient restés trois semaines sans se donner de nouvelles depuis leur dernière et unique engueulade. Il ne pensait même pas se manifester de toutes les vacances et à dire vrai, il n’avait guère songé à elle. Les rares moments où le souvenir de Sophie rencontrait ses absences, étaient vite balayés par les sollicitations de son entourage et de la nature environnante. Il n’avait pas la tête à vagabonder dans des pensées adultérines ni le temps pour le faire. Après trois sonneries, Sophie décroche et Julian de parler :

« Bonsoir.

- ‘soir. Tu vas bien ? Où es-tu ? Que fais-tu ? Trouves-tu le temps de penser à moi ?

- Que de questions ! Je profite bien. Je suis paisible dans les Landes chez des amis et… je suis content d’entendre ta voix. J’ai failli en oublier la douceur. Il faut reconnaître qu’elle est bien différente du soir où je l’ai entendue pour la dernière fois.

- Tu as un certain mérite à t’en souvenir. Il est vrai que beaucoup d’eau a coulé depuis.

- Pas que de l’eau… mais j’ose espérer que nous pouvons ranger cet épisode bien en dessous de la pile de nos meilleurs moments.

- Complètement d’accord ! Et pour preuve, je veux te voir… Tout de suite et maintenant.

- Waouh ! T’es en soucoupe volante ? Laisse- moi le temps de trouver une carte géographique du secteur et je t’indique les coordonnées de ma position pour faciliter ton atterrissage.

- Sérieusement je veux te voir et je serais déçue que tu ne puisses pas répondre à ce petit cri du cœur.

- Explique-toi et vends-moi  bien ton programme.

- Je suis basée actuellement sur Biarritz… pour quatre jours. Je suis venu ici parce que je te savais dans le périmètre. J’ai pris une chambre à l’Hôtel du Palais et j’apprécierais que tu me rejoignes. Je comprends les difficultés que je t’impose mais si tu veux vraiment tu devrais pouvoir le faire. N’est-ce pas ?

- Tu ne me laisses que très peu de timing pour m’inventer une excursion chez les Basques. J’avise et je te bigophone dans la matinée. Ce que tu me demandes, c’est du Mac Gyver.

- S’il te plait, essaie et tu ne le regretteras pas. Promis.

- A demain, alors… au téléphone. Pour l’heure, c’est la seule garantie que je peux t’offrir. 

- Fais pour le mieux. Je touche du bois. Ce n’est pas difficile… J’en suis entourée. Bonne chance et bonne vente. 

- Tchao, tchao. »

Julian sait d’ores et déjà qu’il va passer une partie de sa nuit à trouver une solution à ce problème impromptu. Cet appel a réveillé en lui les démons et l’envie d’aventure le reprend fortement. L’inconnu le grise et son surmoi ne culpabilise pas des pulsions qui renaissent instinctivement dans le ça de son psychisme. Il se sent disposé à pimenter ses vacances qui ne souffraient pourtant pas de la tranquillité salutaire. De retour dans le jacuzzi et malgré la compagnie de son ami, il ne peut s’empêcher de fomenter un plan dont la crédibilité ne laissera pas de latitude au doute pour s’installer. L’eau bouillonnante dans laquelle il baigne se fait l’écho de son cerveau et une idée lumineuse lui apparaît subitement. Demain matin, il prétextera un coup de fil professionnel d’un de ses clients pour une séance photographique en vue d’une campagne publicitaire. Une société d’assurance lui commande une série de clichés pour valoriser l’image de sa clientèle de retraités. Il s’agit pour lui de profiter de son séjour dans les Landes pour shooter un couple d’anciens encore verts, en train de surfer l’écume des vagues sur la Plage Centrale de Biarritz. Le directeur de la compagnie d’assurance est sur place, le casting est prévu pour la journée du Mardi et les prises de vues sont programmées pour le Mercredi matin. La météo promet un vent d’Est pour ce matin là. Autant dire, des conditions optimales pour des vagues bien gonflées mais légères. Le must pour une bonne réalisation de sa mission. Visiblement, le doux repos de ces dernières semaines n’a pas endormi sa fertile imagination. Son sommeil ne sera pas contrarié.

Mardi 18 Août. 15h00. Biarritz. Plage Centrale. Julian a vendu son affaire comme un chef, sans tortiller ni recevoir de mécontentements visibles. Il a emporté avec lui son sac professionnel et ses outils photographiques. Ce n’est que l’histoire d’un jour et demi. Il sera de retour avant le dîner du lendemain. Pour valider le concept né de son mensonge, il s’oblige à revenir avec des clichés dont il sait pertinemment que Géraldine manifestera naturellement l’envie de les visionner. Il a l’après-midi pour trouver un couple de sexagénaires en pleine forme pour matérialiser son idée. Il a donné rendez-vous à Sophie sur la plage afin qu’elle l’aide dans ses démarches de recrutement sauvage. Il sait la chose compliquée et il s’en voudrait presque de ne pas avoir imaginé de mettre en scène un jeune couple, surfant dynamiquement pour une publicité vantant des parfums waterproof. Le panel de gens concernés aurait été beaucoup plus large et davantage accessible. En fait, ils vont approcher les adolescents pour convaincre les grands-parents de se jeter à l’eau pour un exercice de style particulièrement fun. Après des heures de démarches infructueuses à essuyer des refus systématiques, Sophie tombe sur un groupe représentant plusieurs générations. Les longboards trônent sur le sable et les deux jeunes gaillards, sportivement affûtés auxquels elle les associe, blaguent gaiement avec un couple de sémillants soixante huitars. C’est en effet comme cela qu’elle les juge au premier coup d’œil et qu’elle s’en persuade ensuite compte tenu des informations reçues par ses oreilles  qu’elle possède indubitablement fines. Une délicieuse aubaine. Elle explique l’intention qui les motive et les deux jeunes de boire ses paroles autant que son physique. Julian avait secrètement parié sur son agréable apparence et ses attributs spécifiquement féminins pour mener à bien cette entreprise. De plus, elle représente la génération intermédiaire et cette position lui donne le crédit nécessaire pour obtenir facilement leur adhésion. Malheureusement, les anciens finalement recrutés sont novices pour ce sport aquatique et ils ne sont jamais parvenus à monter sur ce genre de planche. La chose n’est pas grave et Julian se prend au propre jeu de son simulacre de composition. Il adore voir Sophie faire montre d’autant d’engouement pour une situation qu’ils créent tous deux avec une joie perceptible et communicative. La lumière du jour est parfaite et son professionnalisme le rattrape à grands pas. Il convainc les adultes de rentrer dans l’eau et de ne pas faire différemment que les rares fois où ils se sont essayés à la pratique de ce sport. Il a déjà fabriqué dans sa tête le déroulement du film de sa stratégie. Il les veut mouillés pour pouvoir effectuer les prises de vue sur le sable. Nous sommes à l’ère du numérique et le bidouillage est devenu légion. Il profitera de la matinée de demain pour saisir des images de vagues, vierges de mouches humaines. Avec la galerie des photographies ainsi capturées, il fera un montage dont les ficelles ne seront pas décelables. Il est planté dans son monde au point d’en oublier qu’il travaille de façon sérieuse sur du vrai faux. Les néo surfeurs se prêtent au jeu et suivent ses consignes sans sourciller. Mieux, ils s’amusent et forment, sur la planche, un duo irréel sous les regards médusés des plagistes. Les éclats de rire de leurs petits-fils fusent en même temps qu’ils s’invitent spontanément à leur mimer des positions de surfeurs du circuit professionnel. L’un d’eux s’autorise sans frein à charrier sa grand-mère en lui conseillant de faire sortir un de ses seins que son mari vient de faire remodeler. Ce dernier le prend aux mots et avec l’entrain d’une jeunesse retrouvée et dénué de tout tabou, découvre un des jolis seins tous neufs de son épouse, avec la garantie nécessaire, obtenue au préalable, que le cliché ne soit destiné qu’à la collection strictement personnelle de leur famille. La séance photographique est au-delà de toute espérance et touche à sa fin. Les instantanés de leurs délires sont maintenant prisonniers de la boite à images. Après avoir échangé leurs coordonnées respectives pour correspondre et obtenir les droits réservés en cas de parution, ils se quittent en termes joviaux et mutuellement satisfaits de cette rencontre.

Julian et Sophie, en s’éloignant de leurs sympathiques figurants, prennent conscience qu’ils ont passé une large partie de l’après-midi à œuvrer dans le même but sans ne vivre que pour eux. Ils ont rencontré du monde, des inconnus, certes, mais ils ont marché, côte à côte sur la  moelleuse planète ensablée. Tantôt ensemble, parfois séparément mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont parvenus à sortir de l’univers clos qu’ils s’étaient fabriqués. Julian se souvient lui avoir dit bonjour sommairement et s’être rapidement occupé à lui présenter la mission du moment passé. Il n’a même pas pris le temps de la rejoindre dans sa chambre d’hôtel, ni de se libérer de ses affaires personnelles. Il a donné sa voiture à garer ; il a récupéré ce dont il avait besoin pour son travail et le reçu du gardiennage. Il est rentré dans cette forteresse avec une facilité déconcertante. Sans même laisser son nom ni indiquer le numéro de la chambre. Simplement et anonymement. En fait, il n’avait de pensées que la préoccupation, aux accents coupables, de mener à bien l’accomplissement de sa création fictive, née de son mensonge. Débarrassé enfin de ce lourd fardeau il ne peut que s’enorgueillir de cette façon plus que magique de se redécouvrir avec Sophie. Il sait que ces retrouvailles seront marquées par le sceau du souvenir indélébile. Et le sourire satisfait qu’elle affiche clairement ainsi que le pétillement de ses yeux, à l’instant où il s’en aperçoit,  peuvent largement en témoigner.

Ils ont partagé, en l’espace de quelques heures, plus de choses et de sensations sincères que les nombreux instants déjà consommés ensemble, ne leur ont donnés à vivre. Le sexe, excepté. Mais leur journée est loin d’être finie !

Ils sont arrivés dans la suite « Prestige Océan ». Un espace de richesse bien sentie mais sans mauvais goût ni ostentation déplacée. Trente cinq mètres carrés de sage raffinement, décorés dans la plus pure tradition du style Second Empire. Un ravissement pour les yeux de Julian qui n’en finissent pas de parcourir les pièces  et  d’en fixer les moindres détails, jusqu’à ce balcon suspendu au dessus de la plage qui donne à voir l’Océan en mouvement. Les vagues qui déroulent, enflent et se brisent sur le banc de sable contrastent avec l’inertie inébranlable du Phare de Biarritz. Pour compléter harmonieusement ce tableau de mère Nature, Sophie se tient là, dos à lui. Les mains caressant le garde-corps empierré avec une légère indolence, elle respire l’air marin et boit des yeux cette vue imprenable. Ses cheveux noirs ondulés flottent avec souplesse sous l’effet de la brise marine et des odeurs iodées leur parviennent délicatement aux narines. Il voudrait la prendre maintenant, comme ça, en l’état mais son après-midi de labeur a rendu son corps    « peigueux  » et une bonne douche  revigorante s’impose. Il garde en mémoire l’image de son envie de hussard bien soigneusement et se promet de l’assouvir plus tard dans la soirée. A l’heure où les étoiles du mois d’Août fileront dans le ciel, éclabousseront au loin l’Océan pour mieux s’éteindre  et la lune, ronde et pleine, éclairera la nuit. Une question pécuniaire le taraude et il ne peut s’empêcher de la lui poser :

« Honnêtement et sans éluder la chose… tu me réponds sincèrement ou alors tu gardes le secret…libre à toi d’en décider… mais sérieusement, combien te coûte ce confort ?

- Cette question ne mérite pas ma réponse…et je m’étonne de cette curiosité… mais de toutes les façons, rien n’est trop cher pour vivre ce moment, avec toi et loin de nos mondes. Et pour ta gouverne, sache que je gagne bien ma vie, et que je suis seule à présent pour dépenser les fruits de mon travail. C’est mon plaisir et… je veux que tu en fasses partie.

- Tu es trop bonne mais s’il te plait ne fais pas de plan sur la comète… et n’espère rien d’autre de moi qu’une partie de moi. Mon moi tout entier sera impossible. Croix de bois, croix de fer… si je mens, nous irons en enfer. »

Le message se veut clair, dans les phrases et dans la rime mais la poésie de la situation se joue encore de l’interdit. La force de l’amour n’a de pouvoir que de repousser sans cesse les limites de ce que nos codes moraux nous obligent. Le fait est qu’ils s’apprécient et qu’ils sont tous les deux conscients que les sentiments qu’ils font naitre et activent sans efforts, sont de plus en plus sincères…et donc dangereux. Pour eux et leur intégrité ainsi que pour la tranquillité de leur entourage.

Mais comment pourraient-ils arrêter cette machine à laver leurs émotions grandissantes ? Ils se plaisent, se découvrent fusionnels et ne peuvent rien s’interdire quand ils sont en présence l’un de l’autre. On dirait franchement qu’ils s’aiment et la sagesse autant que le pragmatisme devraient les conduire à ériger des barrières, capables de les protéger d’eux-mêmes et suffisamment renforcées pour ne  laisser voir aux autres que ce qu’ils accepteront de donner en pâture.

Au sortir de la douche, Julian trouve Sophie alanguie sur le lit. Ses yeux sont clos. Ses paupières lisses et diaphanes, ses longs cils comme des pinceaux, son petit nez à la retourne et sa bouche charnue et sensuelle donnent à son visage une douceur lumineuse. Son corps tout entier est bercé par une respiration légère et lentement rythmée. L’impression qu’elle suscite et l’image qu’elle donne à regarder, s’appellent  sérénité. Elle est paisiblement assoupie. Il ne se lasse pas de la regarder s’abandonner à l’appel du repos mérité. Il immortalise cet instant avec l’appareil photographique devenu l’outil des créations et des secrets. Il prend soin d’archiver ces clichés intimes dans un fichier protégé de sa boite à images. Connu de lui seul. Il se repaît à nouveau de la vue imprenable que la lumière du crépuscule naissant sublime encore davantage. Il se retourne sur la belle endormie et remercie la vie de cette agréable offrande.

Avec une grande délicatesse et pour ne pas rompre brutalement la paix du sommeil de Sophie, il pose sa main sur sa cheville gauche. Du bout de ses doigts, il remonte le long de sa jambe avec juste ce qu’il faut de contact pour produire une caresse tout en toucher. Arrivée en haut de la cuisse, la chaleur de sa main dissimulée sous la robe légère, provoque l’effet escompté. Sophie sort en douceur de sa torpeur. Son être se réveille, ses paupières clignotantes essuient ses yeux humides et sa bouche s’étire dans un  long sourire  que les parenthèses formées par de fines et jolies fossettes bordent avec délice.

« Prends le temps de revenir dans le monde et quand tu seras prête, tu me diras quel est ton programme pour ce soir. Je t’ai obligé le mien cet après-midi… même si tu en étais la cause. Et juste pour l’information… j’ai une grande envie d’huîtres.

- Continue tes caresses. J’aime cette délicate attention et je veux rêver les yeux ouverts encore un instant.

- Attention…si je poursuis dans cette voie, j’ai peur que mon envie pressante de crustacés ne m’oblige à dévorer un beau spécimen qui leur ressemble.

- OK. J’ai bien compris l’image. Mais garde le meilleur pour la fin. Je n’aimerais pas que les futures huîtres souffrent de la comparaison et qu’elles en perdent du coup toute saveur. J’ai entendu parler d’un restaurant sympa sur Guétary, répondant au doux nom d’ « Hétéroclito ».

- C’est très évocateur, en effet. Mais que dirais-tu d’amortir pleinement cette suite et de prendre le dîner sur cette belle table qui fait face à l’Océan ? Je suis sûr que cet hôtel dispose d’un room service.

- Il a même très bonne réputation. L’idée me plait mais elle vient de toi. Ne suis-je pas censée définir le programme ?

- Absolument ! Va prendre un bon bain et je m’occupe de passer commande pour notre dîner aux chandelles.

- Tu es incorrigible. Mais j’aime ton pouvoir de persuasion et que puis-je faire d’autre que de m’en remettre à tes recommandations.

- Tu aimes tout ? Pas d’allergies connues ou d’incompatibilités notoires ?

- Je te fais confiance. Ce qui est bon pour toi, devrait l’être pour moi. Il semblerait que tu décides de tout ce soir… alors, poursuis ton œuvre ! » 

Sophie quitte le lit avec une légèreté de ballerine dont le repos n’a visiblement pas engourdi les muscles, et s’efface dans la salle de bain. Julian profite de son absence pour consulter le menu. Il le lit attentivement, trouve son bonheur et passe commande :

«  Room Service, bonsoir, en quoi pouvons-nous vous être agréable ?

- Bonsoir Monsieur Room Service, c’est un Monsieur affamé qui vous parle. Nous souhaiterions pour commencer deux fois douze huîtres numéro 3 et pour suivre, deux « noix de Saint-Jacques au caramel d’épices et purée de pommes de terre écrasées ». Une bouteille de Jurançon 2007, du domaine Canhapé et la cuvée « La Canopée », une eau pétillante et… pour le tout début que j’allais oublier : un Ricard doublement dosé, quatre cl, et une coupe de champagne rosé. Le tout à votre rythme… dans la demi- heure. Merci.

- A votre grand service ! »

Vingt-cinq minutes plus tard, la livraison du festin sonne à la porte. Au même moment, Sophie sort de la pièce de bain, enturbannée d’une serviette blanche et habillée d’un peignoir légèrement entrouvert qui laisse voir une gracieuse épaule nue et le commencement d’un sein. Le commis de service en oublierait presque sa mission mais son  professionnalisme, bien que paraissant jeune, a vite raison de son bref égarement tout naturel. Qui pourrait résister à cette silhouette gracile, à ce bijou resplendissant d’un éclat comparable à celui immortalisé par Julia Roberts dans le film « Pretty wowan » ? Qui plus est dans un lieu de mémoire des têtes couronnées européennes et des grands rendez-vous qui faisaient les nuits trépidantes de Biarritz.

Le dîner romantique va se passer sans fausses notes. De l’apéritif, en passant par les fruits de la mer jusqu’à la bouteille de vin blanc engloutie, tout va glisser parfaitement. Comme un surfeur parti du large se laisse entraîner au-dessus de la vague fluide et enflée  pour arriver pleinement satisfait sur le banc de sable. Un déroulement sans failles avec un goût certain pour la répétition. Tout est parfait sauf la conclusion sucrée. Et Sophie d’en relever l’absence :

« Ce dîner est extrêmement bien pensé…mais je reste sur ma faim quant au dessert. Auraient-ils oublié le principal ? La note finale !

- Que nenni ! Tout a été servi ! Ils ne sont coupables de rien. Mea culpa. J’ai pensé que le suprême dessert pourrait être moi…ou toi… ou tout simplement, toi et moi. En fin de repas, la pâtisserie reste toujours lourde sur l’estomac et j’ai estimé que nous aurions tout à gagner à rester légers. S’endormir après ce dîner frugal aurait été complètement déplacé.

- Un gâchis, tu veux dire. Alors dépêche-toi, cueille ton dessert sans plus attendre mais… prends le temps de bien le goûter ! »

Julian saisit l’invitation ainsi formulée, au premier degré. Comme dans une scène théâtrale, il bondit de sa chaise qu’il renverse, arrache Sophie à la sienne, la porte comme une mariée et dans un mouvement de douce folie,  parcourant l’espace de deux mètres, il la plonge avec lui sur l’immense lit dont l’extrême moelleux amortit sans peine leur chute. Ce dernier va devenir le ring d’étreintes pacifiques mais endiablées.  Ils vont tourner dessus sans se soucier du sens de rotation, se retourner, exécuter de multiples figures, favorisées par la souplesse de Sophie et servies par leurs imaginations. Ils vont se mettre ainsi dans tous les sens, sans dessus ni dessous pendant de longues minutes, au-delà de l’heure et jusqu’à l’obtention de plusieurs orgasmes. Trois pour elle et deux pour lui. Force est d’admettre que les huîtres sont riches en vitamines et que le vin blanc excite les sens.

Afin de récupérer de leurs efforts, ils décident de partager une cigarette sur le balcon devenu somptueux sous l’effet de la clarté lunaire. Dans la tenue d’Adam et d’Eve, ils profitent pleinement de l’agréable température estivale. Sophie est assise dans l’unique rocking chair. Julian demeure debout, il regarde l’Océan dérouler ses vagues. Il peut facilement les suivre grâce à l’écume que la lune éclaire en surface. Sophie tire sur sa cigarette avec un plaisir certain. Elle observe le corps nu de son amant et s’attarde longuement sur ses fesses. Elle l’invite à se retourner pour qu’il donne à voir l’autre face. Il s’exécute, prend la pose puis s’avance vers elle pour participer à la fumette. Le simple fait de s’approcher d’elle, lui provoque un début d’érection qu’elle ne peut plus ignorer. La cigarette à la bouche, elle utilise ses deux mains pour soupeser le sac de noix qu’il apporte sur un plateau. Il la déleste de sa cigarette afin de  rendre sa bouche disponible. Spontanément, Sophie la remplit de son sexe et profitant du balancement pendulaire de sa chaise, elle lui fait le lavage complet de la « barre de copulation ». La fellation dure et les rythmes lents de va-et-vient alternent avec les cadences rapides, aux moments les plus propices. La masturbation qu’elle exerce avec maestria sur sa verge et le massage  délicat qu’elle pratique avec le pouce et l’index sur son « chrome », ne tardent pas a faire jaillir de son prépuce, une cataracte de sperme  qui se déverse en grande partie dans le magique tunnel buccal délicieusement ourlé par de pulpeuses lèvres. Trois orgasmes à trois. Les étoiles sont dans sa tête et celles qui étincellent dans le  ciel de nuit peuvent témoigner de son état de totale extase.

Julian se remet doucement de ses émotions et se passe de l’eau froide sur le visage.  Le miroir de la salle de bain lui renvoie l’image d’un homme satisfait et comblé. Il appartient aux anges. De retour dans la chambre, il constate que Sophie a déserté sa chaise à bascule. Elle est debout sur le balcon, les pensées voyageant dans l’immensité atlantique du tableau naturel qui lui fait face. Il se rappelle la promesse qu’il s’était fait en fin d’après-midi au sujet de cette identique vision. L’envie de la levrette annoncée le reprend mais il s’étonne sérieusement de sa vitalité. Il se demande combien de temps il va pouvoir tenir ce rythme digne d’un jeune étalon. Ce n’est pas un vieux cheval pour autant, ni une carne mais les vertes années sont tout de même derrière lui. Il est convaincu qu’il tire cette nouvelle énergie de la seule présence de Sophie. Elle est sa pierre énergisante, sa Cryptonite. Même sa voix via le téléphone arrive quelque fois à lui déclencher des érections.

En silence, pas après pas, il arrive à sa hauteur et se positionne derrière elle. Elle feint de s’étonner de sa présence. Il l’embrasse dans le cou. Sans se retourner, elle lui caresse la tête du bout des doigts. Une main sur chaque cuisse, il colle son pubis contre ses fesses confortables. Ses mains remontent le long de ses jambes jusqu’à la taille. Son pénis se gonfle de vie. Sophie le sent prêt pour combler la vacuité de son vagin. Sans aides manuelles et uniquement par les mouvements de leur corps en parfaite osmose, ils s’imbriquent rapidement l’un dans l’autre. Au commencement, il la pénètre gentiment, délicatement et sans rudesse. Il attend que sa respiration se modifie pour en changer la cadence de pénétration. Les inflexions des sons qui sortent de sa bouche l’encouragent à augmenter ses coups de boutoirs. Il veut qu’elle lui indique le tempo. C’est la reine du bal sur le balcon d’une suite dans le plus prestigieux hôtel de Biarritz. En fait, il ne recherche que sa satisfaction à elle. Il se connait et sait pertinemment que la sève du plaisir ne parviendra pas à sortir. Le stock de liquide séminal est épuisé. Il se concentre donc sur les messages envoyés par ce divin corps de sirène et tente d’apporter les réponses appropriées. L’Océan déjà remuant se déplace de façon transversale de bas en haut et de haut en bas. La lune et les étoiles en font de même. Sophie contracte avec concentration ses muscles fessiers afin de  mieux recevoir la puissance des attaques du « bambou ». Les « castagnettes » cognent les parois lisses et imberbes et Julian, tributaire de sa fougue, soulève le corps de Sophie dont les pieds ne parviennent plus à toucher le sol. Elle s’agrippe fermement à la paroi du garde-corps. Il la prend jusqu’à la garde et Sophie s’abandonne au bonheur de la jouissance tandis que les sons du plaisir qu’elle produit sans contrôle, attestent des états de tension de son corps. Quatre orgasmes à trois. Julian est un véritable gentleman et Sophie, bel et bien la reine du bal.

Complètement épuisés, ils regagnent le lit du repos. Sophie se charge de replacer les oreillers et de recouvrir leur corps des draps en pur coton, épais et souples. Ils se regardent, contents et fiers de leur prestation. Et Julian de rompre le silence de la satisfaction partagée :

« Quelle journée ! J’ai frôlé l’arrêt cardiaque !

- Tu as bien caché la chose. Je t’ai trouvé performant tout du long. Aussi bien dans ton rôle de photographe que dans celui d’amant.

- C’est sympa mais tout le mérite t’en revient. Tu es un sacré moteur. Je suis sincèrement repu et comblé de cette journée. Je pense même proposer l’idée de mes surfeurs retraités à mes clients. Si ça marche… qui sait … on aura une nouvelle occasion de revenir profiter l’un de l’autre du côté de l’Atlantique.

- Vends bien l’idée et tu obtiendras la garantie d’avoir l’assistante qu’il te faudra. Bibi en personne. Lui dit-elle en dirigeant fièrement son pouce vers sa propre poitrine. Et d’ajouter avec la récente assurance apportée par le désir manifesté par Julian de reproduire l’expérience du jour passé :

- Je voulais te confier une chose qui m’a traversée l’esprit cet après-midi. En te regardant travailler et en t’observant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que les enfants que nous n’auront pas ensemble, auraient sûrement été costauds et beaux et…

- Et de l’étoffe des héros… s’ils parviennent un jour à exploser les murs que la médecine nous permet de dresser contre eux. Tu as sans doute raison quant aux attributs de ces enfants virtuels mais repose-toi les méninges et chasse cette chose de ta tête. La mission est impossible et elle s’autodétruira normalement dans les quinze secondes. »

Sophie reste silencieuse et apparemment déçue ; elle accuse le coup de la position radicale de Julian.  Son message est clair et ne laisse planer aucun doute sur ses futurs choix de vie. Ils rentrent tous les deux dans le sommeil de minuit, éreintés et les corps vidés. Mais la nuit ne va pas être de tout repos. A tour de rôle, ils vont se regarder dormir comme pour mieux profiter de l’instant qu’il leur reste à être ensemble. Au petit matin, leurs routes vont se séparer une nouvelle fois. Chacun va devoir vaquer à ses obligations. Pour lui, il s’agira de poursuivre agréablement ses vacances en famille, et pour elle, de reprendre goût à son quotidien de femme solitaire.

 Les semaines qui vont succéder à cet épisode de douce insouciance et de magique déraison vont provoquer  des   sollicitations incontrôlables, irréfléchies et de fous espoirs. Surtout pour ce qui la concerne. Sophie va n’avoir de cesse que d’en  demander de plus en plus et va réclamer avec insistance de vivre des moments de vrai couple, plus longs et plus souvent. Dorénavant, elle ne peut plus se satisfaire des visites éclairs. Aussi précieuses et énergiques soient-elles. Elle souhaiterait rencontrer ses amis ainsi que lui présenter les siens. Elle tend profondément, petit à petit mais sûrement, à redéfinir leur relation pour l’emmener sur les rails d’un tracé dessiné avec plus d’engagement, plus d’échanges et débarrassé de l’hégémonie du sexe. Le souvenir de leur escapade sur la côte basque et l’empreinte  forte des instants d’intenses communions affectives, renforcent sa détermination et le bien fondé de cette nouvelle orientation. Le ver de la passion est dans la pomme… d’amour et Sophie est bien décidée à convaincre Julian d’en partager le fruit avec plus de participation.

 

 

Vendredi 30 Octobre. 21h00. Appartement de Sophie. Julian a répondu favorablement au dîner en tête- à -tête prévu depuis le début du mois. Malgré  leur emploi du temps qui ne l’autorisait guère. Ils se félicitent tous les deux de pouvoir passer plus de temps ensemble qu’à l’accoutumé. Julian s’est arrangé pour prolonger le dîner jusqu’au petit matin. Une fois encore, il s’est inventé un rendez-vous dans la région parisienne et a prévenu Géraldine qu’il ne rentrerait que dans la journée de Samedi afin de se jouer favorablement des flux autoroutiers inhérents au week-end de la Toussaint.

Ce soir, il sent Sophie très agitée voire anormalement excitée. Depuis son arrivée, elle s’affaire aux fourneaux et n’a pas trouvé le temps de lui tenir compagnie au salon. Il est seul sur son fauteuil, livré à lui-même avec son verre de « Pastaga ». Il vagabonde sans but réel dans ses pensées. Forcé de le faire du fait de l’absence toute relative de la maîtresse de maison. En fait, il ne pense à rien en particulier. Il hume juste des odeurs de fumets. Mais rapidement, il subodore quelque chose qu’il a du mal à définir. Il est interdit de cuisine pour ne pas, selon  les propres mots de Sophie, rompre l’effet de surprise. Il pressent fortement un imprévu. Ce sentiment qu’il cherche à éluder devient de plus en plus prégnant. C’est le jour de fête de Sainte Bienvenue !

 Le trémolo de la sonnerie de l’interphone lui donne définitivement raison. Sans bouger de son fauteuil, sans même marquer le coup qu’il encaisse passivement mais avec une irritation  certaine, il consent d’aborder l’inconnu paramètre de cette nouvelle équation, tout en tergiversant sérieusement. Son tempérament d’ours mal léché associé à la façon indélicate avec laquelle Sophie a provoqué l’évènement lui suggère de se lever et de quitter les lieux sur le champ. Mais sa curiosité amplement titillée l’invite à rester sur le pont, à prendre sur lui et à envisager cette rencontre organisée sans son consentement, avec un soupçon de condescendance. Il garde sa déception en lui et s’expliquera de ce fameux effet de surprise avec Sophie, mais pas tout de suite. Plus tard. Quand les personnes mystères seront parties. Son ressentiment est profond mais il n’est pas rancuneux.

Sophie accueille ses deux amies avec une franche excitation mâtinée d’une once d’anxiété puis les accompagne jusqu’au salon. Elle feint de ne pas voir les « yeux revolver » que Julian lui adresse et sans perdre un instant, elle fait les présentations :

« Michelle…Julian. Julian… Michelle. Ils s’échangent deux bises. 

-  Rachel…Julian. Julian… Rachel. » Et rebelote, leurs joues reçoivent les bises de chacun.

La mise en relation ainsi effectuée, Sophie déclare ouvert l’apéritif dînatoire qu’elle a concocté en catimini et avec…  un amour sincère et oblatif.

Elle souhaite profondément que cette rencontre trouve l’adhésion de chacun et que les petits plats longuement préparés mis dans les grands plats joliment décorés créent une émulsion légère, homogène et unanimement partagée. Elle a osé la provoquer et elle espère grandement que la mayonnaise prenne. Ils sont tous adultes et l’intelligence qu’elle leur reconnaît devrait logiquement favoriser leur capacité d’adaptation. Comme pour vérifier l’équation de sa formule, elle s’absente dans sa cuisine et les laisse naturellement échanger et se découvrir.

MICHELLE

C’est un plaisir de mettre enfin un visage sur l’homme caché dont Sophie nous parle à demi-mot, depuis de longues semaines avec une prudence qui ne lui ressemble guère.

RACHEL

Tu plaisantes ! A ce niveau là, ce n’est pas de la prudence. Le sujet est presque tabou. Nous l’asticotons sans relâche pour qu’elle se fende de révélations. Mais elle ne cède rien ou si peu… et ce n’est vraiment pas faute d’essayer. Pour ce genre de dossier, les copines sont championnes … et obstinées.

JULIAN

Rassurez- vous… les copines valent bien les copains. Si je peux vous aider à remplir les blancs, n’hésitez pas et profitez donc de cette rare occasion. Posez vos questions. Mais allez doucement dans l’indiscrétion. Je suis ouvert mais ne vous avisez pas de piquer  la bête. Elle prend facilement la mouche !

RACHEL

La bague à ton annulaire, c’est de la déco… ou c’est ce que je pense ?

JULIAN

Marié, trois enfants et un chien ! Et …

MICHELLE

Une maîtresse !

JULIAN

Une maîtresse ? Mais qu’est-ce que c’est ? Ca existe aussi pour les adultes ? Et puis, franchement et plus sérieusement, votre copine ne m’appartient pas. Pas plus que je ne lui appartiens.

MICHELLE

C’est honorable du point de vue de l’indépendance et de la liberté de chacun mais c’est tout sauf rassurant… pour le bonheur de notre copine. Et l’amour dans tout ça ? Et que penses-tu de l’engagement ?

JULIAN

Il s’agace intérieurement de ses questions et de ses intonations  qui ressemblent fortement à des pics.

C’est un beau concept. Une noble cause. Mais il faut être deux et… disponible. Et pour couper court à d’autres questions du même cru que tu vas vraisemblablement me poser, Sophie et moi,  nous n’en sommes pas à ce stade. Mais je trouve beau que tu t’inquiètes de la situation de ta copine.

 Il finit sur cette note hypocrite avant de prendre la maîtrise de la conversation.

 Parlez-moi de vous. Donnant, donnant. Un mari ? Des enfants ?

MICHELLE ET RACHEL

Elles répondent dans le même temps, spontanément et sans hésiter :

 Une fille de huit ans ! Et sans homme.

 

JULIAN

Mince…alors. Vous  êtes… heu !… Vous vivez ensemble ?

RACHEL

Non non. Rien de cela ! Mais il se trouve que nous avons chacune une fille de cet âge. Et nous sommes toutes les deux célibataires. Mais pas depuis la même date. Michelle c’est tout récent mais moi j’ai connu le célibat à la naissance de ma puce. Son père n’a malheureusement pas assumé sa paternité. Et personnellement, je me satisferais aisément et amplement d’une relation comme la vôtre.

MICHELLE

Toujours à l’attaque et le mors aux dents.

Tu as un souci avec les homos ?

JULIAN

Son irritation enfle à chacune de ses interventions un tantinet provocatrices mais il se promet de la calmer assez vite. Et le breuvage qu’il consomme sans retenue lui donne des ailes et des élans dans la  rhétorique.

Pas du tout ! Mais l’instant d’une minute, j’ai cru que vous en étiez et  j’ai trouvé dommage que deux belles plantes comme vous n’aient pas rencontré  chaussures à leurs pieds. Et pour parler sans ambages, je te voyais déjà comme l’homme du couple. Et s’il te plait, ne me confond pas avec l’hurluberlu qui t’as laissée choir. Nous ne sommes pas de la même veine. Les hommes sont ce qu’ils sont mais les femmes ont trop tendance à vouloir les changer.

Tu as merdé, il est parti… mais fais plaisir, travaille grave sur toi-même. Ne rends pas les autres responsables de tes échecs. Je te sens énervée mais je te renifle cultivée et si Aragon a eu l’intelligence ou l’impudence d’écrire que la femme était l’avenir de l’homme, n’oublie jamais que l’homme épanoui est celui qui a choisi sa façon de rester enfant… avec la femme qui le lui permet. Cogite et abstiens- toi de toute morale que ta vie ne reflète pas. Excuse-moi  mais n’enlaidis pas la grâce que la nature généreuse  t’a prodiguée. Ponce tes griffes, ajuste tes ongles et fais en sorte qu’ils ressemblent aux traits fins de ton nez que tu portes façon dessin animé Manga plutôt qu’au crochet de celui d’une sorcière de série B. En gros… reste belle, dans le physique et dans le verbe… et ne fais pas chier !

Julian avait prévenu son monde. Il ne fallait pas chatouiller la bête.

 C’est l’heureux moment que choisit Sophie pour les rejoindre. La conversation commençait sérieusement à se crisper et à se  tendre comme un arc. Les flèches de Michelle manquaient d’énerver Julian. Il les retournait avec retenue tout en lui faisant implicitement comprendre qu’elle ne devrait pas jouer trop loin. Rachel tentait de tempérer l’atmosphère avec des sourires de convenance tout en montrant de l’agacement pour le comportement  de son amie. Sophie attendait de cette soirée une communion festive. Julian n’a senti jusqu’à maintenant que de l’inquisition.  En  son for intérieur, il souhaiterait vivement la présence de ses propres amis afin qu’ils s’occupent de distraire ces dames. Mais ce soir, il est en minorité et il n’a, par éducation et correction, que la solution de faire le dos rond. Il se concentre donc sur les petits plats qu’il trouve fort bons et sur sa boisson anisée qui ne le déçoit jamais. Sophie prend le leadership de la conversation et le temps de couler ainsi, lentement mais sûrement. De toutes les façons, il n’est pas disposé à alimenter cette soirée de sa bonne humeur.  Aussi freine-t-il volontairement son côté bon vivant. Il ne veut pas que l’instant s’éternise et il ne cherche pas à se faire apprécier plus qu’il ne le faille. Il sait qu’il serait facile à son niveau de rendre le moment plaisant et joyeux mais là demeure son problème. Une bonne soirée en appelle toujours d’autres et il n’est pas prêt à en favoriser la répétition. Ce serait trop dangereux pour lui. Il ne cherche pas à se construire une deuxième vie.

Les invitées leur rendent leur liberté sans se donner la promesse d’une nouvelle soirée. Celle-ci n’a visiblement pas reçu l’ambiance espérée. Sophie le sent contrarié et ne s’aventure pas à lui demander ses impressions. Elle fait profil bas. Julian retourne au salon pour griller une cigarette tandis qu’elle s’affaire à débarrasser les traces des activités du soir. Il l’aiderait bien mais il se souvient qu’il était interdit de cuisine. Un silence pesant s’est installé dans l’appartement. Il n’est troublé que par les accessoires de vaisselle qui prennent place dans la machine à les laver avec une énergie lourde de messages d’énervement.

Julian investit le lit bien avant Sophie, qui pour se calmer les nerfs  ne trouve rien de plus original que de faire son ménage de fond en comble comme pour mieux effacer le souvenir de la soirée ainsi que la présence des acteurs.

Après une heure de besogne et vingt minutes de toilette rafraîchissante, elle gagne la couche où Julian fait semblant d’être pleinement parti pour le pays du sommeil profond. Pour quelqu’un qui n’est pas rancunier, il faut lui reconnaître qu’il se force bien.  Sophie aurait grandement besoin d’un câlin pour oublier ce qui apparaît clairement comme une soirée improvisée… ratée. Son envie de réconfort est forte. Tellement puissante qu’elle se décide de réveiller le dormeur du bal manqué. Agenouillée à côté de ce corps qui l’ignore, la tête penchée au dessus de lui, elle caresse le dos de Julian avec ses cheveux longs qui produisent le même effet que le contact sur la peau de douces plumes légères. Une main sur son épaule et l’autre se frayant un chemin entre ses cuisses pour gagner ses testicules, elle continue son massage capillaire. Ses actions pourraient ressusciter un âne et avoir raison du plus réticent. Et celui de ce soir, malgré sa position affirmée de ne pas vouloir y toucher, ne peut pas résister à ces douces approches. Sans un mot, sans jamais rompre le silence de la discorde, ils vont se faire mutuellement l’amour et panser les plaies de leurs reproches à coups d’anatomie bien sentis. Jusqu’à l’extase. Et les rires nerveux déclenchés par l’ambivalence de leurs sentiments, vont trancher du côté du pardon réciproque. Ils s’endorment comme des enfants dans un mutisme intact.

Au petit matin à l’heure où l’Ocidium, la fine fleur jaune et brune des fleuristes, colore les massifs, il ira en cueillir une  sur l’hampe  qu’il déposera ensuite sur l’oreiller en veillant à ne pas la réveiller, avec ce mot écrit sur des feuilles de papier toilette à défaut d’avoir trouvé d’autres supports :

A la belle panthère noire qui veut faire de la jungle de l’amitié, un doux jardin serein. Désolé pour le dîner d’hier, rassuré par nos excuses nocturnes et muettes, et à très bientôt de te revoir. L’ours bien léché dans le corps…  d’un âne à mater.

 

 

 

 

Mercredi 18 Novembre. 22h30. A la demande de Sophie ils doivent se voir demain dans la soirée. Elle a quelque chose d’important à lui confier mais elle ne souhaite pas en discuter au téléphone.  Elle n’a pas eu le courage de lui en parler ce matin. Ils avaient mieux à faire et ils devaient rattraper la semaine précédente où ils n’avaient pas trouvé d’opportunités pour passer du temps ensemble. Julian n’a pas cogité longtemps pour répondre positivement à cette invitation. Toute la journée et depuis le début du mois, ses pensées vagabondent et le baladent entre les avantages et les inconvénients de cette situation de plus en plus compliquée qui l’oblige à trop de gymnastique cérébrale et opérationnelle pour adapter son emploi du temps. La soirée piège a favorisé grandement son état d’esprit actuel. Au plus profond de lui-même, il sent qu’il perd le contrôle de son libre arbitre. Aussi pense-t-il qu’il profitera de cette soirée pour lui avouer qu’il n’arrive plus à vivre deux histoires en concomitance et qu’après mûres réflexions, il préfère mettre un terme définitif à leur relation. Une relation qu’il sait sans  lendemains.  Pour ce qui le concerne et surtout pour s’éviter définitivement de s’accrocher. Il est hautement conscient que son cœur bat la chamade et que le mal de tête qui peut logiquement en découler pourrait s’avérer irréversible. Bien sûr cette rupture leur fera mal mais il est convaincu qu’elle sera mieux digérée par les deux parties, maintenant  que plus tard. De toutes les façons, il prendra la température, mesurera les effets de cette annonce et en assumera les conséquences jusqu’à des limites gouvernées par la stricte raison. La seule chose qu’il redoute vraiment, pour en avoir fait auparavant l’expérience, c’est la crise d’hystérie. Mais il se rassure en se souvenant qu’il a appris à flirter avec l’utérus de Sophie et qu’il n’a jamais croisé son cerveau dans cette zone. Ni senti son utérus dans sa tête.

Les sorties de route

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeudi 19 Novembre. 18h40. Sous une pluie diluvienne qui martèle l’épais tapis d’eau déposé sur l’asphalte, Sophie augmente le rythme des battements de ses essuie-glaces et, les bouches des égouts de recracher sans discontinuer le trop plein de liquide. Sophie hésite à emprunter la petite montée du Vernay, sise sur un versant de la colline de Caluire et Cuire dans le Rhône. Pour l’heure et dans son sens de circulation, il s’agit davantage d’une importante descente abrupte rendue très glissante et dangereuse par cette cataracte incessante d’eau du ciel. Mais la peur lui donne des ailes et son impatience à retrouver Julian pour lui annoncer son intime secret, le courage de s’aventurer au cœur de cette route redessinée comme des méandres. La Saône est en contrebas et on dirait que ce nouveau ru va venir  grossir  ce fleuve en se jetant dans son lit. Tout en se concentrant sur cette chaussée luisante et ruisselante qui l’invite à une grande prudence, elle ne peut s’empêcher de penser à ce que pourrait être la réaction de Julian à l’annonce qu’elle est bien décidée à lui faire. Bien évidemment, elle appréhende une décision négative, mais elle se promet d’ores et déjà de garder ce fruit d’un autre monde qui a su braver les outils de la contraception. Jamais elle n’aurait imaginé pouvoir être mordue à ce point de cet homme. Elle ose croire que l’amour qu’elle sent intuitivement réciproque sera plus fort que l’entendement et plus puissant que la raison pure. Elle s’obligera d’être suffisamment persuasive ce soir pour lui faire avaler la pilule qu’elle veut bien différente de celle dont son corps a refusé la dose létale. Bien entendu, elle ne s’attend pas à lire de la joie sur son visage. Elle se souvient qu’ils avaient gentiment blagué sur le sujet, une fois, juste après l’amour mais ils avaient conclu de façon unanime et claire à l’impossibilité de cette éventualité. Elle sait qu’il recevra la nouvelle sous la forme d’une tuile, comme un cadeau empoisonné et qu’elle devra batailler dur pour lui prouver qu’il ne s’agit nullement d’un piège, ni de  la conséquence d’un oubli de sa part mais bel et bien d’une exception naturelle aux règles contraceptives. Elle est consciente avec une pertinence certaine que cet évènement arrive trop tôt, qu’il est largement précipité et surtout contraire à leur engagement mutuel du départ qui était basé sur le respect de leur vie de famille respective. Mais la donne a changé, contre toute attente et indépendamment de son gré. Aussi  estime-t-elle qu’il est l’heure pour Julian de montrer qu’il « en a de sacrément accrochées » mais autrement que lors de leurs nombreux ébats plaisants et insouciants.

 La visibilité est impossible, le ciel est bas et lourd, le jour à céder sa place à la nuit depuis de longues minutes et le débit d’eau sur le pare-brise forme une couche épaisse et grasse qui empêche toute ouverture visuelle sur l’extérieur. Sophie connait sa position par automatisme plus que par réelle conscience. Elle emprunte régulièrement cette route. Mais impossible de savoir si le feu de circulation, en bas de la descente et avant la jonction sur la rive droite, est vert ou rouge. La prudence est de rigueur et dans le doute Sophie écrase la pédale de frein. Mais la panique a déjà pénétré les nerfs de sa jambe droite et tétanisé quelques muscles. Par voie de conséquence, son freinage, un peu trop violent, lance sa voiture dans un aquaplanage qui lui donne l’aspect d’une barque sans défense et incapable de se contrôler sur les flots nouveaux.

Le feu était… de couleur rouge et la voiture de Sophie a vu sa course sauvage, stoppée net par un autre véhicule «naviguant» beaucoup plus rapidement. Le choc entre les carrosseries a été extrêmement violent.  La collision dramatique !

La voiture tamponneuse n’est autre que celle de Géraldine, la femme de Julian.  Assurément, il est des rencontres plus sympathiques. Pour le coup, le hasard n’a  non seulement pas bien fait les choses mais il les a empirées !

Ces deux femmes qui partagent la vie du même homme sans avoir aucune connaissance de l’existence de l’autre, avaient une chance sur des centaines de milliers de se rencontrer ainsi. Quelle est cette force obscure qui décide de la vie des gens selon un ordre mystérieux et déconcertant de mauvaises volontés?

Géraldine sort indemne de cet accident. L’airbag frontal a parfaitement joué son rôle et sa ceinture l’a parfaitement sécurisée. Pas même une égratignure visible ni de traumatisme physique.

Sophie, quant à elle, est complètement défigurée, méconnaissable et totalement inconsciente. Le pare-brise rend compte de l’ampleur du choc subi. L’impact l’a littéralement fait exploser. Le corps de Sophie parait disloqué, semblable à un mannequin au sortir d’un crash test. Le spectacle fait peur à regarder et les chances de survie paraissent nulles.

Le premier réflexe de Géraldine est de prévenir son mari, avant même les pompiers.

Pourtant ces derniers parviendront  sur les lieux du forfait bien avant Julian. Il est en clientèle dans le centre ville et ne prendra connaissance du message rendu inquiétant par la voix affolée de Géraldine que vingt minutes plus tard.

Arrivés rapidement sur les lieux, les pompiers de Fontaines Sur Saône, constatent l’inéluctable. Sophie est définitivement morte. Ses secrets bien enfouis, morts avec elle à tout jamais.

Géraldine ne saura jamais rien de cette fille qu’elle a involontairement tuée mais elle aurait sûrement  imaginé de lui porter préjudice si elle avait eu vent de son histoire avec l’homme de sa vie. Elle tient à ce qu’elle possède et protège son nid contre les femelles de l’espèce des coucous. Mais il est indéniable que cet incident marquera son existence jusqu’à l’heure de son propre partir, au soir de sa vie.

Julian apprendra le nom de la personne accidentée, tard dans la soirée, par l’entremise de la gendarmerie de Fontaines Sur Saône. Il comprendra, a posteriori, l’étonnant black out de Sophie quant à son appel téléphonique, passé plus tôt dans la soirée pour la prévenir de son retard. Il sera grandement partagé entre le soulagement et le bonheur de retrouver sa femme indemne et la douleur et le malheur de perdre sa compagne de route dérobée… effectivement accidentée. Il conservera le beau rôle dans cette relation extra conjugale à laquelle il envisageait sérieusement de mettre un terme par crainte de faire éclater sa vie de famille et de perdre pied.

Il ne connaîtra jamais l’être qui poussait dans le ventre de Sophie. Il ignorera également qu’il en était le géniteur. Et pour cause. C’était le secret connu d’elle seule et qu’elle s’apprêtait à lui révéler dans la soirée, avec une impatience certaine et à l’issue fatale.

 En silence et en prenant grand soin de le cacher, il pleurera la mort de cette femme qu’une passion presque maîtrisée mais défendue avait faite rentrer et sortir de sa vie par la petite porte. Mais on peut parier qu’il culpabilisera longtemps de ses mensonges et de ses turpitudes. Seul, il souffrira sans jamais pouvoir s’épancher sur l’épaule de confidents qu’il s’était refusé de  faire naître. Il supportera donc, dans son âme et sa conscience, le poids inaltérable de son lourd secret.

Tout pourrait se dérouler ainsi si nous étions dans un film inachevé. Mais nous sommes dans la vie et il n’y a décidément pas de hasard. Et d’autres surprises sont encore à venir.

Sophie est morte de façon accidentelle mais elle a brûlé un feu rouge et l’autopsie médicale s’impose donc. Son corps doit être confié à l’institut médico-légal. Et livrer ses secrets.

Jeudi 26 Novembre. Cimetière de Tassin La Demi-Lune. Dans le brouillard matinal, des silhouettes de noir vêtues comme des ombres chinoises se tiennent immobiles, en petit comité autour d’un cercueil qui va gagner la terre du dessous. C’est le matin de l’inhumation du corps de Sophie. Géraldine a manifesté l'envie d'assister à cet enterrement. Sa mésaventure la ronge depuis une bonne semaine. Elle a définitivement été disculpée de toute responsabilité mais elle ne peut pas échapper aux images omniprésentes du carambolage catastrophique. Par crainte et pour se protéger personnellement, Julian, usant d'arguments imparables, l'a dissuadée de se rendre à cette cérémonie funèbre. Il l'a convaincue qu'il serait préférable pour la famille qu'il présente en son nom les condoléances d'usage. Julian est donc présent. Il se tient en retrait mais il est là, digne et armé d'un courage certain. Il regarde la scène de loin, posté à proximité du dernier platane bien enraciné de cette commune Lyonnaise qui préfère le béton à la verdure. Il imagine les racines de cet arbre volumineux se nourrir de l’énergie de tous les corps ensevelis. Il ne sait pas pour quelles raisons son esprit lui envoie l’image de multiples ramifications reliant tous les caveaux entre eux. Sans doute voudrait-il communier avec les personnes qu’il est en train d'observer. Leur faire sentir sa présence et rendre compte de sa propre peine. Il fait un froid glacial.  Les bouquets colorés de fleurs  jonchant les pierres tombales ne parviennent pas à réchauffer les cœurs ni à faire oublier l'austérité du lieu. Pas plus que ne le permettent les tenues sombres de rigueur de tous les acteurs. Nous sommes bel et bien dans le jardin de la mort.

Parmi la dizaine de personnes qui se recueillent, Julian en reconnaît facilement quatre: le mari et le fils de Sophie ainsi que Michelle et Rachel. Il n'est pas difficile pour ces dernières, malgré la distance certaine qui les sépare, de mettre un prénom sur l'individu isolé  qui trône sous l'unique arbre du lieu, dépourvu de feuilles et désolé autant que peut l'être l'atmosphère de ce matin.

A sa grande surprise, c'est Michelle qui se décide à le rejoindre. Il envisageait davantage Rachel, capable d'une telle intention. Il la regarde s'approcher de lui avec une élégance que sa  noire tenue de circonstance ne parvient aucunement à occulter. Il avait déjà remarqué sa beauté naturelle lors de leur unique rencontre qui n’avait pas trouvée l’ambiance escomptée. La tristesse de l'instant lui donne une agréable fragilité qu'il ne lui connaissait pas et qu'il lui plaît maintenant de découvrir. Elle est devant lui, les yeux et les joues mouillés d'un chagrin sincère.

«  Bonjour Julian, lui dit-elle avec une voix aussi douce que celle d’un téléphone rose.

-       Bonjour Michelle, lui répond-il avec une politesse respectueuse.

-       Rachel et moi, nous avions envisagé, sans trop y croire, que tu honorerais de ta présence le départ de Sophie. Tu es venu et nous savons l'effort que cette démarche doit te coûter. Tu es là, et pour Sophie, nous t'en remercions, lui assure-t-elle, avec une sincérité que la caresse amicale qu'elle produit sur son bras ne saurait trahir.

-       C'est le moins que je pouvais décemment faire. C'est toujours très dur pour ceux qui restent et je t'avoue que mes nuits ressemblent à mes jours. Tout s'agite dans ma tête et ne laisse pas de place à la tranquillité. Je souffre vraiment et je n'arrive pas à me résigner à sa mort. Et pour couronner le tout, je n'ai personne avec qui en parler.

-       Ecoute, je ne voudrais pas te créer davantage de souffrances mais tu dois savoir qu'elle n'est pas morte seule. L'autopsie a révélé qu'elle était enceinte. Son mari nous a tenues, Rachel et moi dans cette confidence. »

Cette nouvelle n'a pas d'autres effets que d'assommer littéralement Julian. Complètement tétanisé par cette révélation d'outre-tombe, il reste coi. Il flageole sur ses jambes qui ne tardent pas de céder sous le poids de ce nouveau fardeau. Il tombe à genoux, son corps se courbe et se recroqueville sur lui-même. Ses mains recouvrent entièrement son visage comme pour dissimuler sa grande détresse. Michelle l'invite rapidement à se reprendre et l'aide à se redresser. Malgré la rapide réaction sensée de cette femme pour rétablir l’ordre et la pudeur, le spectacle n'a pas échappé au mari de Sophie. Il vient de comprendre la scène et d'identifier par voie de conséquence, l'amant de feue son épouse. Michelle s'attend à le voir débarquer d’un moment à l’autre et prend logiquement congé de Julian. Avant de se séparer, elle lui glisse ses coordonnées téléphoniques et l'assure de se rendre disponible pour s'aider mutuellement à encaisser les évènements et supporter l'absence de l'amie chère.

Encore tout abasourdi, Julian quitte les lieux avant que d'autres ne s'aperçoivent de sa présence et afin de s'éviter de nouvelles surprises. Il criera plus tard, il hurlera sa souffrance quand il sera loin du monde et seul. Profondément attaché à ses pensées embrouillées, il n'a pas vu Marc, le mari, lui emboîter le pas, prétextant auprès de ses proches, l'oubli d'un objet important resté dans sa voiture. Au sortir du cimetière et à l'abri de tout regard étranger, Marc interpelle Julian:

«  S'il vous plait...

-       Oui? Questionne Julian en se retournant sur lui avec une surprise mâtinée d'une hypocrisie évidente.

-       Bonjour. Je suis le mari de Sophie. Mais vous devez déjà savoir la chose. Vous êtes vraisemblablement celui... qui m'a remplacé dans son cœur. J'ai assisté à votre entrevue avec sa meilleure amie et ce que j'en ai vu ne laisse  guère planer de doute.

-       C'est exact, lui confirme-t-il tout en se tenant sur ses gardes et redoutant instinctivement une manifestation de colère par les poings.

-       Rassurez-vous, je ne vous tiens pas grief de votre relation, lui promet-il, comme pour lui faire comprendre qu'il avait bien noté son attitude craintive  et de poursuivre: nous sommes partis avec mon fils sans penser qu'elle trouverait long, le temps de nos absences. Je ne vous en veux pas et je suis loin de mériter de vous mettre mon poing dans la gueule. Je vous remercierais presque de l'avoir rendue heureuse jusqu'à son partir.

-       Elle vous aimait toujours. Il est vrai qu'elle souffrait fortement de vos choix partagés de vivre vos carrières professionnelles au détriment de votre vie de famille. Sachez que je n'ai pas cherché à vous remplacer. J'ai aidé à combler sa solitude. Puis nous nous sommes sans doute, aimés. Et sincèrement, je ne peux pas  vous cacher que je voudrais vous sentir  triste autant que je le suis.

-       Ne vous trompez pas sur ma zénitude. Evitez de vous fourvoyer sur une attitude qui paraît vous poser problème. J'encaisse le coup mais je me dois de rester fort pour mon fiston. Notre vie est maintenant aux Etats Unis et cette distance va nous aider à surmonter cette épreuve. Toujours est-il que je m'efforce tant bien que mal, de m'en persuader. Avant de vous laisser tranquille, j'aimerais savoir si vous aviez décidé de vivre avec elle... et l'enfant?

-       Comme vous l'avez vécu en direct, je viens à l'instant de prendre connaissance de l'existence de cet enfant qui ne verra jamais le jour. Et pour la mémoire de Sophie ainsi que pour mon intégrité, je ne tiens pas à m'exprimer sur le sujet.

-       Bien. Je conçois votre position et je mesure en vous le poids de ce nouveau choc. Je ne souhaite pas vous importuner davantage et... soyez fort.

-       Merci! J'ai apprécié notre conversation... et laissez-moi vous dire que vos toilettes vous ressemblent.

-       Plaît-il ? J'ai peur de ne pas comprendre.

-       C'est juste que j'avais dit à Sophie que la personne qui avait aménagé le salon de lecture dans le lieu d'évacuation des déchets, ne pouvait être que quelqu'un de bien. Quelqu'un qui méritait vraiment d'être connu.

-       Je vois que nous avons partagé plus que ma femme. En d'autres occasions, peut être  aurions-nous pu faire plus ample connaissance. A bientôt de vous revoir.

-       Qui sait?! »

Ils se quittent en bons termes, conscients tous deux d'avoir perdu un être formidable qui aurait sans doute applaudi le comportement de chacun. Entre gens intelligents, la colère se gère et la richesse d’âme se repaît du bien agir des justes et de la tolérance des biens pensants.

Epilogue

 

 

Cinq jours plus tard. Charmante petite Villa assise à Grézieu-La-Varenne. Michelle et Julian se sont accordés pour passer la soirée ensemble dans le but de faire revivre le souvenir de Sophie et de tenter de guérir les plaies récemment ouvertes par sa tragique disparition. Julian s'attendait à voir la fillette âgée de huit ans mais c’était la semaine de garde du père. Ils se retrouvent donc tous les deux, seuls au salon pour évoquer feue Sophie.

Ils vont ainsi échanger longtemps et découvrir mutuellement des facettes inconnues de la chère disparue. Ils vont partager des anecdotes et des réminiscences sans se rendre compte que le sujet de leur débat va les rapprocher et alimenter le feu de l'attirance réciproque. Julian aurait pu sentir la chose arriver. Michelle est en effet habillée de la même manière décontractée et sexy que Sophie lors de leur premier rendez-vous à son domicile de la résidence « Les mésanges bleues ». Un simple jean délavé et un chemisier blanc qui met en évidence une forte poitrine, dense et libre d'armatures de soutien. Sans doute Sophie avait-elle confié à son amie des bribes de sa première soirée avec lui. Des informations dont Michelle s'était visiblement souvenues et qu’elle recrée, ici et maintenant, inconsciemment ou non avec des attributs de séduction et des envies d’actions.

Julian ne tient plus la laisse de la raison. Il perd la maîtrise de toute réflexion et dans un élan de pure animalité, il se jette sur elle, lui mange la bouche comme un assoiffé de salive et de langue nouvelle, puis il libère ses seins du chemisier blanc immaculé dont les boutons ne peuvent plus maintenir l’assaut de ses mains actives et énervées. Michelle se laisse aller au jeu d’attraction émotionnelle qu’elle a provoqué. Elle aime cette fougue et ne peut guère feindre son consentement ni cacher son engouement. Ils paraissent danser, l’un contre l’autre, s’acceptant et se repoussant par saccades, au nom du «  je t’aime moi non plus », sans se soucier des éléments de décorations qu’ils renversent sur leur passage, ou mieux encore valsent-ils, lui la guidant, en chahutant le mobilier et en se tripotant nerveusement leur corps pour gagner le plaisir. Ils sont en phase de pur abandon et rien ne peut arrêter cet état d’excitation extrême. Ils s’effeuillent chacun à leur tour sans préciosité. Ils s’arrachent violemment leurs effets comme deux êtres envoûtés et ils baisent furieusement avec la vitalité nécessaire pour dire merde à cette chienne de vie qui leur rappelle de devoir mourir. Ils sont fous dans l’instant mais tellement humains qu’ils vont jouir ensemble et en même temps. D’une colère qu’ils ont su transformer en plaisir jusqu’à l’acmé. L’orgasme de la petite mort. Le salon est dans un état semblable à celui qu’il aurait pu être après la visite de cambrioleurs enclins au vandalisme. Rien n’est à sa place. Tout est chamboulé, renversé voire cassé mais les deux êtres qui inspectent après la tempête, le véritable champ de bataille, se regardent, se sourient et donnent à lire une satisfaction évidente qui les ramène à la vie. Celle là même qui se joue agréablement de la faucheuse.

Michelle ne peut pas s’empêcher de briser l’instant de doux silence que Julian trouvait reposant autant qu’irréel :

« On remet ça quand tu veux ! Bel étalon morbide !

- Comment avons-nous pu agir ainsi, en un moment pareil ?

- Ne t’inquiète de rien. Ce sera notre secret… et… il n’y a pas de mal à se faire du bien !

- Tu as sans doute raison. Même si ce soir, il serait plus adéquat de dire qu’il n’y a pas de bien sans se faire du mal. Mais une chose est sûre… il n’y aura pas de deuxième fois. On ne bâtit pas de choses durables sur des cendres mais sur de la pierre. Et je crois savoir où se situe mon rocher, mon église. »

Julian, dans l’euphorie de cette soirée encadrée par des penchants diaboliques, a bien appréhendé les besoins de Michelle et il se jure au plus profond de sa lucidité de ne plus répondre à ses invitations de libido et de virils réconforts.  Il ne daigne pas représenter le modèle masculin qui semble lui chatouiller le centre d’inertie et qu’elle semble souhaiter pour sa progéniture.

Les jours et les semaines vont passer sans glisser pour autant. Julian ne parvient pas à chasser Sophie de son esprit et Géraldine ne trouve pas en lui l’être capable de lui fournir l’oreille attentive à son malaise post-traumatique, né de l’accident subi et mortifère. Il la sent désireuse de s’épancher sur le sujet mais il ne peut pas lutter contre les ombres du tableau qu’il a peint sans prévoir de limites. La présence quotidienne de Géraldine, le renvoie sans cesse au spectre de Sophie dont l’absence renforce insidieusement l’amour qu’il ne ressentait pas à un tel degré avant la séparation tragique. Un être vous manque et tout semble désertique.

Le ressort de leur couple s’est distendu, créant un malaise dans le fonctionnement d’interdépendance, comparable à une cervicale déplacée sur la colonne vertébrale, et c’est toute la structure de leur cellule qui s’en trouve malade. Il est incapable de discuter des problèmes de Géraldine et il en élude automatiquement toute tentative. Il a connaissance qu’elle se confie de façon anormalement intime avec un internaute. Il en a obtenu la preuve lorsqu’elle a malencontreusement ou délibérément oublié d’éteindre sa boîte mail. Contrairement à sa façon habituelle de réagir façon macho latino, il ne s’en est même pas offusqué. Il n’a même pas fait l’effort de sauver les meubles d’une maison qui prend l’eau inexorablement. Sans doute s’est-il convaincu que c’était le juste prix à payer pour ses exactions sexuelles et sentimentales. Ils vont faire semblant de s’entendre pour les enfants. Le temps de sauver la magie de Noël mais,  passé le cap de la Saint-Sylvestre, tout va s’accélérer.

La chose sera entendue et le dénouement… irréversible. Ils ne passeront pas l’année 2012, ensemble.

Il n’est pas certain que la morale soit sauve! Mais la tragédie du plaisir défendu est bien réelle ! Et dans le jardin de la vie, les fleurs du mal ne fanent que ceux qui s’aventurent à les cueillir et les odeurs de soufre de les parfumer de façon durable.

FIN

 

Histoire :

Il est le mari fidèle d’une femme aimante et un père de famille respectable. Elle est très belle femme et momentanément délaissée par les deux piliers de sa cellule familiale : son mari et son fils. Le jeu de la séduction va se charger de les mettre en relation et la vie va s’évertuer à les confronter aux strictes lois du plaisir défendu sur des routes semées d’embûches. Pour de bonnes sensations… Sans négliger les pires.

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