Souillure
molly
Je croyais que c'était quelque chose de beau. La vie s'est chargée de m'apprendre que ça pouvait être abjecte et dégradant.
***
Mes premiers émois viennent des mots. J'ai découvert ce que signifiait « faire l'amour » aux détours des pages des Enfants de la Terre de Jean M. Auel bien avant de me heurter au corps d'un homme.
Une des lectures qui m'a le plus bouleversée (récemment) et celle d'un extrait de Comme le temps passe de Robert Brasillach : deux jeunes amoureux qui s'apprivoisent. L'écho résonne, je me souviens. Je n'ai jamais oublié d'ailleurs. Je me retiens de pleurnicher, dans le même temps mon corps s'éveille et j'ai envie de... Je me rappelle sa peau le goût, la mienne son poids, nos épidermes et la nuit pute qui s'alanguie.
J'en ai connu d'autres, pourtant, qui m'ont blessée. Le corps et la tête. J'ai appris à la relever, haut quand je marche.
Pourquoi... Mai 68.
Libération sexuelle. Égalité homme-femme. Épanouissement. Tolérance. Respect mutuel.
Pourquoi ?
Ce sont des mots. De jolis mots. Et je ne peux m'empêcher d'insulter cette fille facile. Et je dois lutter pour ne pas me voir impure et salie, faire taire les voix alentours et au-dedans. Quel étrange paradoxe que ces femmes (et ces hommes) détruites par ce qui devrait être la fusion des corps. Je vais citer Maître Gims, aussi incongru que cela puisse paraître. Il écrit, et chante : « Quel autre animal peut faire l'amour avec la haine ? »
Je crois qu'on est les seuls à faire l'amour. Et par conséquent, les seuls à le faire mal.
Je me sens accablée par le poids de préjugés séculaires. La pureté de la femme, le sang de la virginité qui tache les draps blancs d'une nuit de noces, le désir réfréné, la culpabilité larvée.
J'ai été une salope. Entre les mains d'hommes qui m'ont salie tour à tour et sur lesquels, de plus en plus sale pourtant, je n'ai pas laissé une seule petite trace de mon infamie. Par une réaction bizarre (qui doit être une application machiste de « rien se se perd, tout se transforme »), ceux qui m'ont salie en ont retiré un certain prestige. De la fierté. De celle qu'éprouve le chasseur qui dégomme un gros lion. Ma tête n'est épinglée au dessus d'aucune cheminée mais je n'ai pas non plus eu droit au respect du chasseur pour la proie à laquelle il vient d'ôter la vie. Après tout, on a seulement prétendu m'ôter ma dignité, changer ma nature : de femme en devenir à fille facile, de mauvaise vie. Salope. Pire qu'une pute, déjà bien péjoratif pourtant. La salope fait ça juste pour le plaisir.
La maman ou la putain... La maman et la putain. Je suis désemparée face à cette injonction paradoxale.
Assumer ses désirs et se laisser aller à papillonner de-ci de-là ? Pas bien. Salope.
Quoi, ta position préférée c'est le missionnaire ? Quoi, tu n'as jamais essayé l'amour à trois la sodomie le face-fucking la position de la péniche turque à deux mâts ? Coincée du cul. Adepte du « sexe vanille », comme on dit. Comment espères-tu garder ton homme ?
Difficile, de trouver le juste milieu, maman le jour, salope la nuit. Repos jamais. Spontanéité zéro, quand le principe de base est la performance. Sois PERFORMANTE.
Et les hommes, dans tout ça ? Ils consomment. Ils profitent de la « libération sexuelle » qui a rendu les filles plus accessibles. Et, plutôt que le respect mutuel, c'est le mépris qui s'installe. Des Don Juan, qui baisent des salopes, se casent avec des filles respectables, les trompent avec des filles libérées et donc ne méritant aucune considération. Des filles qu'on peut malmener, avilir par le sexe.
« Si la beauté, dont l'achèvement rejette l'animalité, est passionnément désirée, c'est qu'en elle la possession introduit la souillure animale. Elle est désirée pour la salir. Non pour elle-même mais pour la joie goûtée dans la certitude de la profaner. » (Georges Bataille)
Certains hommes pensent qu'ils souillent, dégradent, profanent, avilissent, déshonorent, dépravent, polluent. Ils laissent leur marque, au creux des reins. Les yeux jaugent et soupèsent. La bouche crapahute. Le sexe fourrage et conquiert ce qui ne leur appartiendra jamais qu'en ces minutes fugaces.
Je ne comprends pas…
Est-ce que je perds de ma valeur chaque fois qu'un homme me passe dessus ? Ne suis-je que cela, des seins, un cul, un con ? Un corps jetable, une fille kleenex ? Tu sais, je parle. Je sais lire et écrire. Je pense aussi. Je fais des études pour devenir médecin ou institutrice. Plus tard je veux faire le tour du monde ou avoir trois enfants. J'aime les chiens ou je joue du piano. Je suis tellement plus que ce pantin désarticulé que tu maltraites.
Je voudrai comprendre… Messieurs, expliquez-moi… Votre sexe est-il si ignoble qu'il gangrène tout ce qu'il effleure ? Messieurs, votre bite (pardon) est-elle si étanche que vous ne craignez pas, en vous vautrant dans ces océans de cyprine maintes fois souillés par d'autres queues, d'être infectés ?
Paradoxale, cette attirance. Bizarre, ce désir de fourrer un corps gâté. Étonnant, le pouvoir conféré à ces quinze centimètres de chair dure.
Je suis crue. Je suis triste.
« Me maquer avec elle ? Jamais, c'est une salope. Je veux une fille qui se respecte. »
C'est quoi, une fille qui se respecte ? Une fille qui s'interdit d'avoir envie. Parce qu'une fille, ça peut, éventuellement, se laisser convaincre. Et encore, une fille, des fois, ça a la migraine.
Et c'est quoi, une fille qui s'interdit d'avoir envie ? Une fille prisonnière de normes pluri-centenaires qui associent respectabilité et libido de panda. Une fille qui aura du mal à jouir, parce qu'elle aura honte. Une fille avec qui vous ferez du sexe conventionnel et briderez vos fantasmes, à moins qu'elle ne s'y prête pour vous faire plaisir (le devoir conjugal, et puis parce qu'être coincée n'est pas dans l'air du temps).
Une fille que vous tromperez avec une salope, parce que les normes pluri-centenaires – ça tombe mal – associent virilité et puissance sexuelle, zut de crotte. Avoir une salope dans son répertoire, très pratique ça : une partie de jambes en l'air perpétuellement à portée de zigounette.
Vous a-t-il traversé l'esprit que la salope a, aussi, des besoins d'ordre physique ? Vous a-t-il traversé l'esprit que les femmes (oui, même votre petite sœur votre maman votre nièce) peuvent avoir… envie de sexe ?
Une femme qui s'abandonne dans vos bras n'est pas par définition une dépravée qui ne mérite que votre mépris et la souillure de votre queue.
J'aime faire l'amour. Je le clame, je l'assume. Je ne me sens pas sale, après. La culpabilité m'a désertée. Je ne me sens plus sale. Agréablement léthargique, ou frustrée parfois. Jamais salie. De même que jamais il ne me vient l'envie de te dégrader. Au contraire, j'espère t'avoir fait du bien. Et ni ton plaisir ni mon plaisir ne sont honteux, mon salaud.
« L'essence de l'érotisme est la souillure. », dit encore Georges Bataille. Bon, être souillée au sens strict, je veux bien. Après tout, c'est vrai que c'est un peu cracra et gluant toute cette histoire. Littéralement salie, oui… Mais c'est tout.
***
Je suis idiote. Naïve. Dans mon souvenir, je fais l'amour avec lui parce que j'ai envie, tout simplement. Sans préambule et sans suite. Dans mon souvenir c'est intense, c'est à la fois basique et beau, pulsionnel et romancé. Partagé. On écrivait l'instant présent. Et après… Les draps sont froissés, peut-être. Nos corps mélangés gardent les traces de l'autre peau. On parle un peu, on rit, nos chemins auraient pu se séparer là, on tombe amoureux parce qu'on a de la chance.
J'ai fait l'amour. J'ai le droit.
Mon corps est comblé, je le vis bien merci.
Je suis vivante.
Bonjour molly, étant intéressé par le sujet que vous avez soulevé, j'ai décidé d'écrire une longue réponse, qui, ma nature dissipée aidant, s'avère ne pas vraiment être une réponse^^
· Il y a presque 11 ans ·http://welovewords.com/documents/le-souilleur
Bonne journée à vous (nuit^^)
Michel Michel
J'aime mais j'aime pas, je suis d'accord, et pas d'accord... Les hommes ne "profitent" pas de la révolution sexuelle, on s'est tous (et toutes) fait baiser dans l'histoire... j'en parle un peu dans le texte que j'ai posté tout à l'heure (placement de produit éhonté) enfin bref... c'est moins profond que ce que tu racontes, mais plus vrai aussi (oui je détiens la vérité même si je suis le seul à le penser, j'ai raison là dessus aussi) j'ai envie de développer mais je n'ai pas le temps, j'y reviendrai tout à l'heure peut être. à plus ;)
· Il y a presque 11 ans ·Michel Michel
C'est un "les hommes" qui ne vise pas la gent masculine dans son entier. Bien heureusement, les vrais connards ne sont qu'une minorité, et c'est pas irréversible. Et il existe aussi des nanas qui consomment, tout pareil. En revanche, ce qui me révulse, c'est que ces idées de souillure se font un chemin dans tous les esprits, même dans celui des "gars bien", même dans celui des femmes, même dans le mien.
· Il y a presque 11 ans ·molly
j'aime.
· Il y a presque 11 ans ·Marion B