Sous le gris

leeman

pensées d'une guerre toute autre...

"C'était la fin, et j'mourrais, et j'crevais en silence sous les balles et sous le tonnerre. Je n'savais pas de quoi j'avais le plus peur : de la mort ou de l'isolement. Le ciel était englouti par les ténèbres, et le désespoir dévorait mon cœur au fil des minutes. J'écris ces derniers mots allongé dans l'allée qui nous protégeait. Maintenant à découvert, elle ne nous couvre plus du danger omniprésent. J'entends les murs se fracasser au loin, et les bombes détruire tout l'amour, toute la paix construits jadis. C'est terrifiant.

Le souci n'est pas d'être mort, car la probabilité est infime pour que nous vivions encore. Mais qu'en est-il si nous voulons nous en aller ? L'effroi qui nous glace continuellement le sang nous rend statiques, comme le furent les arbres de notre jardin : grands, et impassibles. Aujourd'hui, nous sommes les roseaux, nous sommes allégoriquement l'insignifiance prônée et invisible sur un champ de bataille. Les cris des hommes derrière moi me font regretter de ne pas les aider. Mais je ne peux me mouvoir. Je ne peux espérer sans souffrir. C'est répugnant. Tout ça pour de l'amour. C'est un conflit incessant et qui perdurera toujours.

Et... J'aimerais vous conter mon histoire, celle qui m'a poussé à participer à cette guerre. J'étais amoureux, tellement. Elle était resplendissante, et ses yeux d'un bleu étoilé exterminaient toute la douleur que mon passé accueillait à bras ouverts. Pour autant, j'étais aveuglé par sa beauté. Je ne pensais pas une seule seconde que toutes ses attentions, tous ses regards et ses gestes n'étaient qu'un reflet de la divine Hypocrisie. Et comme la lune lors d'une nuit d'été, jamais elle ne quitte son trône vertigineux. Pour l'avoir et la voir, il faut parcourir une distance interminable, et bien, pour son caractère, il est question de la même chose : pour savoir qui elle était, il fallait se montrer en ami, et lui demander ce qu'il en était avec les hommes. C'est là qu'avec le même sourire elle vous raconte des choses qui fendent votre cœur.

Et vous riez mais c'est vous qui êtes hypocrites sur le coup. Mais vous ne dites rien. Mais je n'ai rien dit. J'ai fait comme si ça ne me faisait rien. Pourtant, la colère grandissait en moi, non pas comme jalousie, mais comme déception ; je me sentais profondément trahi. Savoir que son corps fut touché par d'autres, savoir que d'autres ont pu la désirer, lui faire tout ce que j'ai souhaité faire avec elle m'écœure et me lasse de la vie. Et, certainement, nous sommes profondément blessés. L'ego devient triste, mais l'âme n'est point accablée. Il est important de faire face.

L'abandon n'est qu'à oublier... Mais malheureusement, je ne fus pas le seul à vivre cette histoire. Autant d'hommes que de femmes furent blessés de la même manière, ou d'une manière à peu près semblable. Et voilà comment nous en sommes arrivés à aujourd'hui, l'affront est imminent, et inévitable. C'est triste et stupide, mais il n'y a que deux clans définis naturellement... C'est l'homme contre la femme. Mais ça n'est pas une querelle de quelques minutes, c'est un combat à mort, et déjà j'ai perdu trop d'amis. Je ne veux pas me perdre, mais je me suis déjà perdu, dans l'oubli. Je pensais "La solitude est l'isolement d'un soir", et je ne comprenais pas le sens.

Maintenant je l'ai assimilé. La solitude amène à la réflexion, et depuis quelques jours, j'essaie de survivre, et je réfléchis encore et encore à mon avenir. Il est fragile, je ne suis même pas sûr qu'il puisse être encore pensé, imaginé. Notre avenir à tous est un miroir dans lequel nous nous perdons à force de trop penser, de trop désirer. Et j'espère ne plus aimer comme je l'ai aimée ; j'espère pouvoir seulement vivre en tant que gouvernant de ma vie.

J'ai, à ma droite, un long tunnel. Il est parsemé de faibles lueurs en hauteur, et de graviers rocheux, de graviers de sang au sol. Je lis sur un panneau métallique "Lyon". Il est vrai que le Rhône passe non loin de moi, mais il m'est impossible d'aller le contempler. Lyon est ma ville préférée, et je pleure de la voir ainsi détruite par la guerre. A croire que tout est détruit, même le soleil semble s'écrouler peu à peu comme une ruine. Il est néanmoins écrasant, tout comme la pression que je subis continuellement ; les balles fusent et fendent l'air jusqu'à le transpercer et le faire éclater.

J'aimerais plutôt mourir que de me retrouver seul sur cette terre. Je n'entends que des balles, mais plus aucune voix. Il n'y a que le désespoir qui crie mon nom un peu plus haut, et je le vois sauter, et s'écraser devant moi, me regardant de manière atroce comme pour me dire que j'étais déjà foutu. Il y a une masse de ténèbres qui s'élèvent au-dessus de moi. Mais je n'en n'ai pas peur, la lune et ses rayons bienveillants les chassent tendrement en m'apportant la foi. Mais je n'ai plus de foi. Je n'écris que pour rien dire, et j'ai déjà l'impression de mourir aussitôt. Tout s'effondre, tout disparaît vers le bas, comme une chute, comme une fin.

Oh, pouvons-nous dire que je voulais mourir ? Je ne sais pas. Pas encore. Je me sentais seul allongé, à demi-mort, ou j'étais collé à ce mur. Il semblait chaleureux, j'avais l'impression de le sentir me soutenir... Je manquais de force, et je ne pouvais pas me relever. Cette guerre... Quand on y pense, elle est pathétique, et c'est dérisoire, je me moque de moi, de nous. Par fierté, nous avons frappé, tandis que nous sachions que l'ignorance était plus puissante que tout. J'ai cette impression de me perdre. Dans mes pensées, dans ma vie. Je partais pour raconter la guerre d'aujourd'hui, et je tente encore de faire un discours philosophique, poétique sur la vie...

N'est-ce pas pathétique ? J'ai honte. Tellement honte de nous avoir mené à tout ça. Mais est-ce réellement ma faute ? Je ne sais pas. Je sens qu'aujourd'hui est mon dernier jour. Heureusement que le ciel s'est éclairci, je peux enfin mourir en paix. En vérité, j'ai une balle dans l'abdomen, depuis plusieurs heures. Et le sang coule, il sèche, et à chaque mouvement tout repart de plus belle... Je n'ai rien pour me soigner, je ne peux que subir la défaite et mourir enfin. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de cet écrit. Peut-être un jour, quelqu'un le trouvera. Je le souhaite, de tout mon coeur."

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