Sous les branches
vasa
Tout commença un soir de mai 1940. Alors que j'écoutai la radio dans ma chambre, ma mère m'appela :
« Lucien, il faut que je te parle... »
Je dévalai les escaliers et trouvai ma mère en larmes, une enveloppe à la main. C'est ce soir-là que j'appris que j'étais mobilisé pour aller à la guerre ayant achevé ma formation de pilote. Mon père y était déjà et avait été porté disparu depuis deux semaines sur le front Est de la France. Mon départ était prévu pour le lendemain.
Il devait être quatorze heures et le soleil brillait dans le ciel bleu. J'étais en route vers l'Allemagne dans le petit avion de reconnaissance qui m'avait été confié. Je ne devais pas être loin de Stuttgart car je commençais à survoler la forêt Noire. Quel magnifique paysage : ces chênes, ces pins, ces clairières... et cet avion que je ne vis pas arriver en face du mien... Et là, tout alla très vite : la collision, la chute, le tableau de bord contre ma
tête, puis plus rien.
Combien de temps étais-je resté inconscient ? En tout cas, il faisait nuit. J'étais dans la forêt, les arbres étaient si hauts que je ne voyais même pas leur cime. Je me levai avec une atroce douleur au crâne, ma jambe gauche me brûlait et ma chemise était déchirée. Je peinai à faire quelques pas et réalisai alors que j'étais peut-être seul, perdu. Autour de moi le feu du crash ravageait les arbres sur quelques centaines de mètres. Je m'empressai, malgré ma souffrance, de m'éloigner des flammes. J'arrivai alors dans une clairière noire et froide ; c'est là que j'allais passer ma nuit. Je m'endormis aussitôt couché sur les feuilles mortes.
Je me réveillai sous la pluie; j'étais glacé et paralysé par la douleur de ma jambe. Je pensai soudain au pilote de l'avion que j'avais percuté ; il était sûrement mort, ou brûlé dans l'incendie. L'eau avait apaisé le feu, la forêt était devenue froide. Je peinai à me lever, ma jambe me brûlait atrocement. Il fallait l'immobiliser avec les matériaux de la nature. Je me traînai auprès d'un arbre pour casser quelques branches et me fabriquai une attelle de fortune. Il était temps pour moi de quitter cette forêt de malheur, mais dans quelle direction aller ? Je partis droit devant moi avec mon courage, ma jambe blessée, mon canif et mon revolver. Les feuilles volaient et le vent sifflait dans les branches.
Deux heures passèrent, je fatiguai, je n'avais trouvé aucune issue et j'avais faim. Je cherchai donc à manger. Mon revolver me fut très utile pour me procurer un dîner à longues oreilles. Repu, je décidai de me reposer pour ensuite être d'attaque. Je dormis et me réveillai brusquement dans la nuit. Je me levai sous la pleine lune et déambulai dans les broussailles. J'arrivai alors dans une vaste clairière. Et là, éclairé par un rayon de lune, gisait l'avion que j'avais percuté. Je dégainai mon arme et m'approchai des débris de ce qui semblait être une machine de guerre nazie. Cela pourrait me servir de logement provisoire. Je m'empressai de retirer la mousse du siège avec mon canif et m'en fis un matelas car j'étais épuisé. Je m'endormis aussitôt.
Au petit matin, les flocons dansaient dans le vent, la neige craquait sous mes pas et les arbres étaient blancs. Je cherchai de quoi remplir mon estomac, j'étais affamé. Je marchai longtemps, très longtemps...
Soudain une branche craqua, puis une autre. C'était régulier, comme des pas. Je m'arrêtai ; il n'y eut plus un bruit. Tout à coup, un lynx sortit d'un fourré et me fixa de ses grands yeux jaunes. Je ne sais pas exactement combien de temps nous restâmes à nous regarder, mais ces quelques secondes me parurent une éternité. Il sortit les crocs et fit quelques pas vers moi. A l'heure où je vous raconte cette aventure, je me demande toujours pourquoi je suis parti le plus vite possible avec ma jambe blessée, apeuré, pourquoi je n'ai pas sorti mon arme et n'ai pas tiré. En tout cas, je sais ce que cela m'a coûté : l'animal, bien évidemment, me rattrapa et se jeta sur moi.
Dans un élan de rage, il planta ses crocs acérés dans ma cuisse gauche. Puis il partit me laissant seul à hurler. Le sang coulait le long de ma jambe, je me tordais de douleur. Puis, un peu comme quand on s'endort, je perdis connaissance...
J'ouvris les yeux dans la soirée et ce n'est pas sans étonnement que je découvris ma jambe couverte de bandages et de pansements ! J'avais été sauvé d'une mort certaine et ma jambe, immobilisée, ne me faisait presque plus mal, Je n'étais donc pas seul ? Peut-être étais-je en compagnie d'une personne qui m'avait suivi depuis le début ? Peut-être quelqu'un qui m'avait gardé en vie pour se servir de moi ? Un boche ? Un français ?
Toutes ces questions qui se bousculaient dans ma tête m'avaient fait oublier ma faim mais mon estomac ne tarda pas à me la rappeler. Je me remis donc lentement en route pour trouver à manger. Je marchai quelques minutes et trouvai, enfoui dans la neige, un sac à dos, rempli de provisions : des biscuits, des pommes, une galette et des Bretzels. Je me jetai d'abord sur les fruits sans même savoir ce que j'allais découvrir : cachée sous les gâteaux, il y avait une enveloppe. Une enveloppe portant le Svastika, la croix gammée des nazis. Je sortis mon revolver.
Un allemand partageait la forêt noire avec moi. M'avait-il sauvé pour mieux me tuer ? En temps de guerre, il n'y a pas de pitié entre les ennemis. J'ouvris l'enveloppe. Je découvris à l'intérieur un message en français rédigé à la main : « Louise, cela fait maintenant...»
« Stop! » a crié à ce moment une voix derrière moi. Je me suis retourné et j'ai vu l'homme. Il était grand, vieux et sale. Ses habits étaient abîmés, sa barbe n'était pas rasée et ses cheveux tombaient sur ses épaules. Il tenait un fusil dont le canon était pointé vers moi. Je ne lui laissai pas le temps de parler ; je tirai. Il s'écroula aussitôt, la main au ventre. Je m'approchai du cadavre, choqué par mon acte de défense et finis de lire la lettre :
« Louise, cela fait maintenant deux ans que nous nous sommes perdus de vue, j'étais prisonnier des allemands et ne pouvais pas t'envoyer de lettre. Je me suis évadé ce matin, mais c'est une longue histoire que je t'expliquerai. Je leur ai volé un avion et... » mon sang se glaça. Je regardai l'homme, puis lus la signature de la lettre : « Jean Devilliers ». Je fermai les yeux ; mes souvenirs d'enfance me remontèrent à l'esprit, tout ce que j'avais fait avec mon père...
Tout cela était terminé, je venais de le tuer...
Oh! Trop triste! Mais très bien écrit.
· Il y a plus de 7 ans ·aile68