SOUSTRAL - Prologue

Claire Arbogast

Notre histoire commence il y a environ cinq cent ans de cela. On raconte que le Pays de Lannoy connaissait alors son âge d'or. Les terres de la contrée du Nastral étaient fertiles et ses habitants qui étaient principalement des fermiers, coulaient des jours heureux grâce à leurs récoltes abondantes. Ils n'avaient rien de combattants car ils n'avaient pas connu de guerres ni de conflits et ne les redoutaient pas le moins du monde. Au delà des bois, vivaient les soustraliens, leurs puissants protecteurs.

En effet, la forêt de Soustral était la terre d'accueil de ces créatures mi-hommes, mi-bêtes. A Nastral, personne ne savait vraiment d'où leur venait ces pouvoirs, mais on aimait à raconter qu'ils devaient être les enfants des dieux. 

Les soustraliens étaient réputés partout pour leur bravoure et leur sens de la justice. Ils étaient bien plus forts que les hommes, mais à Nastral, personne ne les craignait. On raconte que la méfiance n'existait pas encore dans le cœur des hommes. Un pacte solide liait alors les deux peuples. Un pacte qui n'avait jamais été entaché. Les fermiers partageaient leurs récoltes avec les hybrides qui se chargeaient de leur sécurité. Au delà de cet accord politique, une amitié naquit entre les deux peuples. Jamais le Pays de Lannoy n'avait été si prospère et si paisible. C'était un temps heureux.


Cependant les naissances se faisaient rares parmi les soustraliens, qui compensaient cet inconvénient par une robustesse et une espérance de vie hors du commun. Le Roi Cléon se désespérait d'avoir un jour un héritier. Ses cousins, bien mieux lotis, avaient pour la plupart une descendance et il savait que chacun avait déjà son mot à dire sur la succession au trône. Alors il redoublait d'effort sans qu'aucune femme n'ait sa faveur. Il leur faisait l'amour sans flamme et s'attristait de ne toujours pas être père.

Non loin de là, à l'orée des bois, vivait un bûcheron nastralien avec sa femme et ses trois jeunes enfants. L'homme était bon et brave, mais surtout éperdument amoureux de son épouse, Irène. Peut-être trop lui disait-on parfois, mais Yziquel s'en moquait car après tout, arguait-il, on ne pouvait jamais aimer assez! Il déclarait à qui voulait l'entendre qu'il n'existait pas un seigneur plus chanceux que lui. Yziquel était éperdu d'admiration devant la beauté de sa femme ; sa douceur, sa vivacité d'esprit, sa joie de vivre et les étranges dons que les dieux lui avaient octroyé. 

Mais vint le jour où Cléon qui chassait dans les bois, rencontra Irène. Dès l'instant où leurs regards se croisèrent, ils s'éprirent follement l'un de l'autre et ne refrénèrent pas leurs ardeurs. Lorsqu'elle comprit qu'elle portait son enfant, Cléon la supplia de lui laisser celui qui représentait sans doute son unique chance d'offrir un héritier à son royaume. Elle accepta, contre la promesse de faire d'elle sa reine. L'affaire fut conclue. Mais au palais, tous ne l'entendaient pas de cette oreille. Les soustraliens étaient un peuple fier, ils aimaient beaucoup les nastraliens mais il n'était tout de même pas question d'en mettre une représentante sur le trône! 

Des gardes vinrent chercher l'enfant. Irène épuisée par son accouchement, resta couchée, le pauvre Yziquel à son chevet. Tandis que Cléon, honteux de trahir sa promesse, la laissa patienter des jours et des jours, sans un mot ni même une lettre d'explication. Bien vite on ne se soucia plus de la mère éconduite.

Quand la nouvelle se propagea que le trône de Soustral avait enfin un héritier, la liesse fut générale et mêmes les villages du Nastral se joignirent à l'euphorie collective. Une seule maisonnée ne fut pas d'humeur festive. Yziquel était un homme brisé par la trahison de celle qu'il avait toujours eu en adoration. Mais curieusement il ne lui reprochait rien. D'abord parce qu'il n'avait jamais cru mériter la belle Irène. Ensuite parce qu'il avait pitié de son triste sort. 

Irène était devenue aussi dure et froide, qu'elle avait été douce et chaleureuse. Elle s'éloigna peu à peu de sa famille, jusqu'à l'en oublier pour de bon. Yziquel la voyait errer dans les bois comme une âme en peine, désœuvrée et mélancolique. Cette vision était un supplice pour l'homme amoureux qu'il était encore. Il aurait cent fois préféré qu'Irène se soit enfuie avec son amant.

Le temps n'apaisa pas son mal et la jeune femme entreprit d'emplir d'amertume son cœur si désespérément vide et rapidement le désir de vengeance devint le plus fort. Dans son esprit, des rouages malicieux s'actionnaient déjà. La belle Irène fomentait le terrible projet de mener Cléon à sa perte. Ainsi que tout ceux de son espèce.


Cinq années passèrent, lorsqu'un événement surprenant se produisit au Pays de Lannoy: une humaine se mit à développer d'étranges capacités. Selon les rumeurs, elle avait bû le sang d'un hybride. Elle ne pouvait pas se métamorphoser comme les soustraliens, mais son corps était plus résistant, ses blessures guérissaient dix fois plus vite que d'ordinaire, elle possédait une vivacité et une force surhumaine, son regard avait un magnétisme animal et ses sens s'étaient affûtés. Cependant, contrairement aux pacifiques hybrides, la jeune fille se montrait sauvage, incontrôlable, avide de sang et de combats, rien ne pouvait modérer ses excès.

Cet événement causa de nombreux remous dans tout le Pays de Lannoy. D'autant plus que par un étrange hasard, cette jeune sauvageonne se trouva être la fille d'Irène. Quelques jours plus tard, son petit frère connut le même sort.

L'effervescence se répandit alors chez les nastraliens: une chance existait donc d'échapper à leur trop courte et trop fragile existence humaine!

Evidemment les hybrides se montraient nettement moins enthousiasmés par cette découverte. La plupart d'entre eux tenaient à tout prix à conserver leur patrimoine génétique et surtout leur incontestable domination sur les humains. Après tout, ces nouvelles créatures étaient indomptables! Cléon notamment, craignait que ce phénomène ne se reproduise. Il fut alors interdit formellement à tout soustralien de laisser un nastralien boire son sang, sous peine de mort. Il était même plutôt convenu parmi les hybrides de ne plus côtoyer les humains pendant quelques temps.

Certains soustraliens désobéirent à la loi. Ils avaient tissés des liens très étroits avec des familles nastraliennes et se mirent à penser que le pouvoir devait être partagé équitablement. Mais aucun d'eux ne parvint à transformer quiconque. Pour une raison inconnue, leur sang était inefficace. Comment ce qui avait été possible ne l'était plus, cela demeurait un mystère, mais Soustral sembla retrouver un peu de sérénité.

C'était sans compter sur ces deux jeunes gens que les hybrides appelaient avec dégoûts "les mutants". La cadette d'Irène n'avait que huit ans et à son tour elle se mit à changer. L'enfant confia alors à un médecin qui l'examina, que c'était sa sœur aînée qui l'avait mordue. Quand la nouvelle arriva aux oreilles du roi, il réalisa avec effroi que ces sauvageons étaient capables de contaminer des humains. Il mit leur tête à prix aussitôt. Mais les nastraliens leurs offrirent un refuge. Cléon fit fouiller chaque ferme en vain, mais on ne retrouva pas Irène, ni sa petite famille de sauvages. Seul restait le pauvre Yziquel dont on ne put tirer un mot.

Ce désaccord marqua la fin de la paix. Et le début d'une nouvelle ère.

C'est à cet instant que les hybrides prirent le nom d'Originaux. Sans doute pour signifier leur supériorité à cette nouvelle race qui menaçait leur domination ancestrale...


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