Souvenance
Raphaël Tayachi
Extrait de : La dernière lettre
(lue, impubliée)
Ouais, comment est-ce que tout cela se pourrait, hein, avec mes cheveux qui s'en vont sans me laisser de reste, mes dents qui grincent toutes seules et se réduisent ainsi petit à petit en s'aiguisant tant bien que mal, mon corps d'anti-héros face aux jeunes apollons prêts à tous les efforts pour de frais en beau l'entretenir, mon sang qui de moins en moins bien circule et de plus en plus douloureusement me réveille la nuit, engourdissant mes membres ou meurtrissant mes tempes en de désagréables fulgurances, blanchissant encore l'un ou l'autre des pieds en milieu de journée, et si le gauche blanchit, c'est le droit qui rougit, avec cette alternance qui est in fine le triste bruissement du sale état, semblable au mauvais sort, mes poumons qui sensiblement, certainement se noircissent, soit tout ce temps qui passe, en fait, et ne reviendra pas, doublé surtout de toutes ces vilaines erreurs, attentant à tout nous, dont nous nous désolons et nous désolions comme d'autant de vives vicissitudes, aujourd'hui pour ma part projectives inquiétudes ? Aucune idée, absolument aucune. Mais ce serait pourtant bien, et même rudement chouette, même que, à qui voudrait l'entendre et qui ne voudrait pas, à qui mieux mieux et à tue-tête, on chanterait un Hymne à la joie, à la mienne, celle d'être à tu et à toi, de nouveau, avec toi, même qu'on chanterait Mathilde, qui sera revenue, même si tu ne t'appelles pas Mathilde, même si tu n'es pas un cancer, mais moi j'aime bien cet air qui fait cette chanson, et puis son énergie, même qu'il me donne de l'espoir, Brel, quand il chante sa Mathilde, dont il était malade, parce-que si le pire peut ainsi lui revenir sans aucune rémission, pourquoi pas mon meilleur, à moi, qui n'a jamais quitté mes veines ? Même que si tu veux, on chantera juste un tout petit, un humble Hallelujah, que je massacrerai pour sûr en même temps que tes oreilles, sur leur chemin passant, parce-que je ne sais pas chanter. Ouais. Ce serait super chouette, un grand n'importe-quoi tout de super-chouette nappé, comme une méga fête foraine avec des friandises géantes à tous les étages et des gros lots à gogo, avec des chats perchés et des tel-est-pris-qui-croyait-prendre, des c'est-toi-ou-moi-le-loup mais personne n'en a peur parce qu'il n'est pas méchant, des Colin-Maillard à ne plus en finir tant qu'on ne saurait pas l'autre, soit pour la vie durant, l'autre qu'on n'aurait le loisir de deviner qu'à coups de pierre-feuille-ciseaux un tantinet hasardeux, et qui nous stopperait, mutin, sur un-deux-trois-soleil, pour préserver la frustration, des cache-cache de temps en temps pour pimenter les choses du droit jusqu'au zigzag, quelques magiques cordes à sauter, pour les derniers obstacles vainqueurs du saute-moutons, ou pour les mots interdits par le ni-oui-ni-non que nous imposerait l'autre, et tout plein partout d'autres jeux amoureux dont nous ferions les règles comme celles du Kamoulox, rassemblés en ce superbe capharnaüm, ce frapadingue festival de joyeuses gamineries, en veux-tu en voilà, surréaliste épopée où tu serais indifféremment ardente barbe à papa ou lisse pomme d'amour sans que cela ne change rien à ton plaisant, avec d'énormes peluches pour décorer le parc et faire plein de douceur dont nous entamerions l'odyssée sans nous soucier du lendemain, de l'heure de fermeture de ladite foire ni du prix du ticket, au sein d'un maelström empreint lui aussi de gigantisme, qui nous entraînerait sans jamais faiblir en des limbes de félicité, même qu'il y aurait un arbre gigantesque, au beau milieu, comme un trône à notre amour avec une belle et grande cabane perchée dessus, avec dessus les murs de cet abri de gigantesques fresques narrant la nouvelle ère, ou des chœurs enflammés pour nous porter aux nues et vanter tes mérites, oui, et même une secondaire chorale rien que pour redire en boucle toute ma satisfaction dans un glorieux cantique aussi lyrique que ta saveur, laudatif pied de nez moquant les autres étrangers qui tragiquement ne se retrouvent pas, du haut de notre truculent triomphe sur la tragédie ! Ouais. Pour le temps que ça pourrait durer, ce serait vraiment chouette. Ce serait même un putain de truc de fou, où l'on n'admettrait pas d'autres barges que nous, parce-que nous serions bien assez et puis trop à nous-mêmes, sans faire jamais assez ; un putain de truc de fous, dont les actions et vérités ne seraient que pour eux ! Car voici ton goût, ma mie, voici le bref aperçu de l'effet que tu fis et de l'impérissable souvenir que tu laisses, ta trace indélébile en ces eaux qui ne se calment plus, tant encore tumultueuses de ne point parvenir à sagement se sevrer de ce qui, paradoxalement, leur était en la courante essence un complet apaisement.
Une si émouvante correspondance !!
· Il y a plus de 6 ans ·Louve
Merci.
· Il y a plus de 6 ans ·Raphaël Tayachi