Souvenir de Loches

lazyjack

Je me souviens de mes anciens parcours dans la ville de Loches du temps de mes genoux écorchés et de mon acné post-pubère.

 La rue piétonne portait plus hardiment le nom de Grande Rue, qui n'en finissait pas de monter jusqu'aux "Délices", magasin de confiseries où je dépensais les pièces que je ne manquais jamais de trouver dans le caniveau, de la Porte des Cordeliers jusqu'au Palace, vieux cinéma à l'odeur mêlée de velours râpé et de toilettes à l'ancienne. Il existait encore des bonbecs à 1 centime et il était facile de s'éclater les papilles avec quelque menue monnaie que je trouvais immanquablement chaque jour. J'imaginais toujours ces pièces tombant des porte-monnaie et dévalant la pente de la rue, irrattrapables…

Je me souviens du magasin de la "Parisienne" et de ses bibis surannés. Je me souviens du Bazar de l'Hôtel de Ville, de "Monsieur" Monoprix. Je me souviens avoir compté 37 cafés à Loches un jour de bernache, du "V 2" à la porte toujours difficile à ouvrir, du café des Arts où l'on flambait au billard devant les clients attentifs, au " Saloon" de la rue Picois qui sentait ironiquement bon le pipi d'chat.

Je me souviens des jardins des Bas-Clos, bien avant l'avenue, du temps où l'on coupait le fromage pour rejoindre le stade pour répéter des fêtes des écoles évanouies depuis lors. Je me souviens de dégringolades sur les pavés de la rue Saint-Ours dans des courses de gosses sans freins, dans des raccourcis qui rallongent après la classe. Je me souviens de la "rue des colombins" au surnom évocateur qui rejoignait la rue Picois à la rue des Jeux, remplacée par la ruelle des Trois Rois, sûrement pas des rois mages, vu les présents parsemant toujours le sol.

Je me souviens du Babar's Club ou Loreleï qui avait succédé au Sporting-Bar, rue de la République, sorte de boîte ou de pince-fesses où le patron nous ramenait à la sauvette en estafette en passant par derrière quand des voyous nous attendaient devant.

Je me souviens de la poissonnerie du père Poteloin dans la Grande rue et de ses bacs colorés où frétillaient des multitudes de bestioles fraîches et vivantes. Je me souviens du père Gaumé, capitaine du magasin de vêtements de la rue de la "rép" qui prenait soin de chaque cliente, et de ses cadeaux de fin d'année qui consacrait leur fidélité avec des trésors de charme pour envelopper tout ça.

Je me souviens de la statue d'Alfred, place de la Marne qui regardait à l'opposé d'aujourd'hui, avant qu'elle ne fasse un crochet par la place de Verdun.

Je me souviens des pissotières à l'ancienne, à la mousse si jolie et au parfum atrocement nostalgique près de la mairie, du Palais de Justice et de la Tour Saint-Antoine.

Je me souviens de l'Oratoire d'Anne de Bretagne au logis royal et de la contemplation d'une femme mûre au travers du vitrail, se promenant nue dans sa maison moyenâgeuse pendant une éternité d'après-midi de touffeur estivale.

Je me souviens de l'antique salle des Fêtes où nous resquillions en passant par la gendarmerie, folie insensée d'adolescents fauchés. Nous sortions des toilettes extérieures en chemise pour donner le change aux videurs suspicieux. Je me souviens des sièges en plastiques, qui n'en finissaient pas de rendre l'âme, fondus un peu plus chaque année sous des mégots destructeurs.

Je me souviens de la salle de jeux aux antiques flippers à côté du Charles VII et celle rue picois où se trouve désormais un magasin Yves Rocher. Je me souviens qu'avec un franc, on pouvait tenir un après-midi et même revendre des parties, histoire de se faire de l'argent de poche.

Je me souviens des plateaux de velours vert au café des Arts où j'abandonnais parfois dès le premier jour de la semaine mon argent de poche hebdomadaire dans des parties de tarot à cinq. Je me souviens que Albert Dezeyraud, le patron du café tenait son bar comme on ne le tient plus et d'avoir vu son successeur que l'on surnommait "pleins-phares" affalé au pied du zinc, cuvant lamentablement  sous l'œil des clients attardés.

Je me souviens de remises des Prix des écoles au jardin public avec des notables et des élus aux joues rugueuses et aux barbes d'un autre temps. Je me souviens que nous escaladions les haies de ce même jardin après sa fermeture pour avoir le plaisir inégalé de fouler les pelouses sempiternellement interdites avec cet écriteau où j'apprenais mes premiers mots d'anglais : "Keep off the grass".

Je me souviens du coin de chez Pénin, maison fondée en 1827 où habite désormais un horloger et où l'odeur de la cire me faisait penser au XIXème siècle.

Je me souviens qu'au catéchisme, j'avais donné comme 5ème continent, la rue des Cotillons Blancs au lieu de l'Océanie, faute de mieux. J'en avais au moins ri avec mes collègues.

Je me souviens de la vieille piscine sur l'Indre avec l'eau à 19° et le "séchoir" sur lequel s'alignaient des vieilles de plus de 16 ans. Je me souviens de tous les trous dans les vestiaires communiquant entre les garçons et les filles et que l'on se trouvait souvent œil à œil entre adolescent(e)s scrutateurs.

Je me souviens de mon vieux lycée Alfred de Vigny, le seul, le vrai et que ça me fait bizarre qu'ils aient osé désigner de ce nom un établissement posé plus loin. Je me souviens du ciné-club, mené par Maurice Aquilon qui donna son nom au centre d'hébergement remplaçant l'antique lycée.

Je me souviens de la rivalité entre les HLM Croix-Bry et Mariaude, comme s'il y avait de quoi…

Je me souviens de la Foire de Pâques en tous ses endroits, place de Verdun ou avenue des Bas-Clos et des mauvais mousseux gagnés trop facilement, des tours de manège trop courts (38 secondes au mieux) les dimanche et lundi de Pâques, des pommes d'amour décevantes et des cuisses découvertes des jeunes filles en fleurs par le tourbillon des "soucoupes" résonnant de leurs cris ravissants.

Je me souviens avant, j'allais beaucoup plus en ville…

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