Souvenirs d'avant

floriane

"J'ai bientôt trente ans. Et restent en moi quelques bribes de bons souvenirs de la vie de famille que l'on formait, mes parent, mon frère et moi. 
Si fins. Si ténus. Si fragiles. 
Comme un matin où je me faufile entre mon père et ma mère dans leur grand lit. Je dois avoir cinq, six ans, je ne sais plus. Je ressens la rugosité de la moustache de mon père que je caresse du bout de mon petit doigt comme un doudou et la respiration de ma mère dans mon dos. Je suis bien, là. Comme une pierre précieuse dans son écrin. 
Comme un matin de Noël où un sapin brille de mille feux en bas des escaliers. Puis le verre de lait vide, le chocolat disparu. Le père Noël est passé. Mon frère et moi avons un baby-foot. J'ai oublié tous les autres Noëls...
Comme une balade en tracteur, avec mon père. Il est rouge. Un vieux machin tout pourri. J'ai eu le droit de tenir le volant dans un champ pour le retour. Je dois suivre les marques sur l'herbe piétinée. J'étais heureuse, je crois.
Comme un cerf-volant qu'on essaie de faire voler derrière la ferme de mes grands-parents. Il n'y a pas assez de vent. Je suis triste. Mon père m'avait consolée. 
Comme....
Je cherche, mais ne trouve plus.
Trop peu de souvenirs légers. Je les chéris donc comme des reliques, les ai notés pour ne jamais les oublier. Je ne laisserais jamais ma mémoire me tromper. Je ne laisserais jamais les mauvais souvenirs détruire les instants qui m'ont tant émue. 
Pour ma part, de cette enfance, ce que je retiens au-dessus des bons et des mauvais souvenirs, c'est cette certitude qu'il a toujours manqué quelque chose à ma vie. Quelque chose qui m'a longuement empêché de pousser, de grandir droite. Je n'ai jamais vu, je n'en ai pas la moindre réminiscence en tout cas, de l'amour passer, flotter, s'illuminer entre mes parents comme je le voyais exister chez d'autres. L'amour ne brillait pas à la maison. Aucun souvenir d'eux en train de s'embrasser, de se câliner. D'être tout simplement proches. Les sourires ne s'échangeaient pas. Ou plus. 
Ce n'est qu'en grandissant que je me suis demandé si j'étais un enfant de l'amour ou une sorte d'accident, un cheveu sur la soupe ; un truc à deux jambes, deux bras, une tête et un cerveau, un truc de trop, un truc gênant... peut-être ne voulaient-ils pas de moi ? Peut-être suis-je arrivée trop tard sur terre pour sentir l'amour de deux personnes qui s'étaient pourtant unies pour me donner la vie ?
Il y a tant et tant d'imagination, tant de questions, dans la tête d'un enfant, si vous saviez... Bien qu'ils soient capables d'inventer des mondes où les princesses peuvent voler, où les crocodiles peuvent parler, les enfants sont aussi, par ailleurs, capables d'inventer des récits beaucoup moins fabuleux qu'un Disney. Des histoires empreintes de réflexion. De gravité. 
Tant d'imagination et tant des questions qui, malheureusement, ne trouveront pas de réponses avant longtemps ; puisque l'enfant n'aura pas forcément les bons mots pour demander et les parents les bons mots pour répondre. La communication n'a rien d'un long fleuve tranquille. L'enfant veut tout savoir, l'adulte veut tout cacher. Pour protéger. 
L'imagination d'un enfant n'a pas de limites. On ne sait véritablement dans quelles pensées il est en train de se débattre. 
En ce qui me concerne, les explications m'ont manqué. Une vérité doucement étalée m'aurait évité de me sentir coupable de leur divorce pendant plus de dix ans alors qu'évidemment, ils étaient eux-mêmes responsables de l'échec de leur union. Tous les mariages ne fonctionnent pas, le drame n'est pas là. Le drame est l'instant où l'enfant se sent rejeté, mis de côté. 
L'enfant n'est responsable que de ses rêves et de ses joies. L'enfant est garant d'une innocence que l'adulte doit préserver. L'enfance est une période déjà bien trop courte pour laisser le doute planer ; celui d'être un fautif dans une situation qui le dépasse. 
Être clair et précis. Toujours. C'est cela être parent. L'enfant ne demande en aucun cas qui a tort, qui a raison, qui du père ou de la mère n'aime plus l'autre, ou les deux, mais seulement une chose : la certitude qu'il est aimé, lui, malgré tout, malgré ça. 
La petite fille que j'étais s'est longuement questionnée sur ce fait ; est-ce que les parents aiment toujours leurs enfants lorsqu'ils se séparent ? Cette question peut paraître absurde tant elle est logique pour l'adulte. Croyez bien que ça l'est beaucoup moins dans la petite tête d'un môme. Dans la mienne. Et sans aucun doute à l'intérieur de beaucoup d'autres. Peut-être au fond de vous ? 
Certes, pour l'enfant, le divorce des parents c'est comme un tsunami, oui. Ça détruit beaucoup sur son passage. La vie de famille devient une vie de secours. Plus de repère. Déménagement. Plus de papa dans le lit de maman, le matin. 
L'enfant ne fait pas la différence entre les repères et les sentiments. Ce qu'il retient, lui, c'est que tout change, que le mur de son quotidien s'effondre ; pourquoi l'amour ne changerait-il pas, lui aussi ? Une question loin d'être inoffensive et anodine pour un gamin de huit, dix, quinze ans, qui voit sa vie muer.
Répétez à vos enfants, cent fois, mille fois, des millions de fois s'il le faut, qu'heureusement l'amour ne se désintègre pas en même temps que le mariage, que l'amour est là, en vous, peu importe l'endroit où vous vivez désormais. 
C'est la magie de l'amour ; on peut aimer n'importe où, de près ou de loin. L'enfant qui se sait et se sent aimé est un enfant un peu moins blessé. N'est-ce pas une priorité de tout parent que d'apaiser ce qui peut l'être ? Aucun enfant ne sort indemne d'un divorce, ni moi, ni les autres ; mais le rassurer sur ce qui ne changera jamais, comme l'amour que vous lui portez, rendra la blessure moins acérée.
Peut-être que si les miens avaient su..."


2017 © Floriane Aubin
Source photo : googleimage

  • Quel témoignage émouvant Floriane.
    Il commence par de doux souvenirs où vous vous sentiez une pierre précieuse dans un écrin et puis tout devient grave car pour une enfant c'est infiniment grave de voir ses parents se séparer, son univers s'écrouler.
    Il n'est jamais trop tard pour se parler, pour travailler sur soi.
    Et vous avez raison, on ne dit jamais assez aux gens qu'on aime, qu'on les aime!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Je t'aime (1)

    tantdebelleshistoires

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