Souvenirs...

Dominique Capo

Cinquième partie...

Il est étrange comme certains souvenirs s'impriment en vous. Ceux-ci, comme les précédents que j'ai relaté jusque là pour expliquer le contexte de ma vie à cette époque appartiennent à cette catégorie.

Je suis conscient que je me suis peut-être trop longuement étendu sur mon environnement personnel de ces années charnière de mon existence. Mais il révèle d'innombrables choses qui sont à l'origine de l'homme que je suis aujourd'hui. Je suis convaincu que si je n'y avait pas été confronté, que si je ne les avait pas reçu aussi violemment jusqu'à ébranler les fondations de ma personnalité d'alors, tout ce qui a suivi ne serait jamais advenu. Et ne pas les avoir détaillé avant d'aller plus loin ne vous aurait pas permis, cher lecteur, chère lectrice, de cerner les conditions dans lesquelles j'étais plongé au cours de cette période. Vous n'auriez pas appréhendé à quel point les bouleversements que je vais décrire maintenant ont transformé ma vie.


Aussi, le jour où mon père est entré dans ma chambre, il était chargé de livres qu'il avait ramené du Ministère de l'Intérieur. Il m'a aussitôt demandé de dégager certaines de mes étagères pour qu'il puisse les y entreposer. J'ai immédiatement obtempéré. J'ai rapidement vidé celles installées dans l'angle situé juste à coté de la porte. Je me souviens encore de ce petit renfoncement que mon père avait transformé en étagères après notre installation dans ce pavillon qui était alors dans un état de délabrement avancé. La première fois que nous avons voulu y pénétrer, en 1980, mon père a dégagé un passage entre le porche en fer forgé rouillé menant à la rue et la porte du bâtiment à coups de machette. Ce jour-là, on se serait cru dans un film « d'Indiana Jones », tellement les herbes et les branchages encombrant le jardinet y conduisant étaient hauts et touffus. Et il a fallu à peu près une dizaine d'années de travaux incessants pour que la demeure retrouve un aspect convenable.

Même si lorsque mes parents ont à nouveau déménagé en 1991 pour s'expatrier de la région parisienne à la Sarthe la bâtisse n'était pas entièrement rénovée, le plus gros avait été fait. Et l'un des premiers chantiers que mon père a entrepris, c'est la réhabilitation complète de l'étage ; c'est à dire, là où existaient nos chambres, à mon père et à ma mère, à mon frère, à ma sœur, et à moi. Ces premiers aménagements d'envergure ont été mis en place aussitôt après l'achat de la maison, et alors que nous vivions toujours en appartement dans une autre ville de la banlieue parisienne non loin de cette dernière. Ils étaient les plus urgents afin que nous puissions nous y établir définitivement. Les suivants, éparpillés dans les endroits les plus divers, se sont étendus tout le long des années suivantes à un rythme un peu moins soutenu.

De fait, ma chambre a été un des premiers lieux à être plus ou moins complètement aménagé très tôt. Et ce recoin a fait parti de ces améliorations apportées par mon père dès notre arrivée. Et c'est une demi-douzaine d'étagères qu'il y a posé les unes au-dessus des autres. Ces étagères qui ont bientôt été remplies de romans. Et comme je les avais déjà tous dévoré depuis longtemps, ce sont eux que j'ai dégagé pour que mon père puisse y entreposer ceux qu'il portait à bout de bras.

Évidemment, cet événement n'a duré que quelques minutes, tout au plus. Ce n'est pas très long de transporter quelques dizaines d'ouvrages d'une étagère à l'autre ; puis de ranger les nouveaux à leur place. Et j'avoue que, sur l'instant, ces minutes ne se sont révélées qu'anecdotiques pour moi. Une fois alignés, j'y ai jeté un coup d'œil sans y prêter véritablement attention. Du fait que je ne connaissais pas la collection « Folio Junior » malgré mon jeune age, je ne m'y suis pas mesuré. D'un autre coté, comme j'avais toujours une bonne demi-douzaine de titres d'avance entassés à coté de ma table de chevet – c'est d'ailleurs toujours le cas, sauf qu'aujourd'hui, ce n'est plus par demi-douzaines, mais par douzaines -, l'arrivée de ces inédits m'est très vite sorti de la tête. Je suis immédiatement retourné à mes activités quotidiennes après avoir remercié mon père. Et lui est retourné aux siennes qu'étaient le bricolage afin d'améliorer l'état de notre domicile ou le jardinage.


Cette situation a duré plusieurs semaines ou plusieurs mois, je ne sais plus vraiment. Entre le collège et les brimades régulières que j'y subissais, entre les désaccords grandissants de mon père envers ma mère et vice-versa, entre mes jeux d'enfant, seul ou en compagnie de mon benjamin, cet incident s'est effacé de ma mémoire.

Ce n'est que bien plus tard, par hasard, m'apprêtant une énième fois à franchir le pas de ma porte de chambre, que mon regard s'est plus longuement que d'habitude attardé sur eux.

En effet, à chaque fois que je sortais ou que je rentrais, j'étais heureux de contempler fugitivement les étagères de livres que je croisais. Là aussi, aujourd'hui, cette attitude de ma part n'a pas variée comme je l'ai indiqué plus haut. Mais à cette date, ce comportement était beaucoup moins accentué. En tout cas, je prenais plaisir à admirer leurs tranches, leur disposition, la façon dont les différentes collections y étaient étalées. Mes doigts les frôlaient, les caressaient. Car déjà cet objet était, pour moi, symbole de quelque chose de plus grand que moi. Il me fascinait, et m'ouvrait les portes vers des horizons, certes nébuleux, mais riches de promesses.

Cette fois là, je ne sais pas pourquoi – peut-être avais-je deux ou trois minutes à n'avoir aucune occupation en cours ? -, mon regard s'est figé plus longuement qu'à l'accoutumée devant cette série de Folio Junior. J'ai lentement décrypté leurs tranches, me disant qu'ils ne me semblaient pas intéressants. La plupart étaient des récits contemporains, un peu de Science-Fiction aussi. Mais la Science-Fiction ne m'attirait alors pas en littérature. J'aimais énormément le cinéma de Science-Fiction. J'étais un fan de la saga Star Wars, de Star Trek, et de toutes les autres productions hollywoodiennes du même genre. Je visionnais souvent des séries comme « les Envahisseurs », « Galactica », « Buck Rogers », « Cosmos 1999 » ou « la Quatrième Dimension » ; emblématiques du milieu des années quatre-vingt. Par contre, à l'écrit, je ne parvenais pas à appréhender et à imaginer mentalement les visions fantasmagoriques de l'auteur.

Aujourd'hui, j'y suis davantage réceptif. Mais je suis toujours très sélectif en ce qui concerne les textes de Science-Fiction que j'apprécie. C'est la même chose pour la Fantasy, bien que j'y sois plus à l'aise en tant que lecteur. J'étais sur le point de quitter les lieux, insatisfait des publications que mes yeux venaient de parcourir, lorsque l'une d'elles m'a soudainement captivée. Malgré ma concentration, elle avait échappé à mon regard.

Ce qui a tout d'abord mon attention tout d'abord, c'est son frontispice : « Le Sorcier de la Montagne de Feu ». Quel étrange intitulé ! Intrigué, je m'en suis emparé. J'ai lu son résumé, au dos de sa couverture. Cela parlait d'aventures avec des sorciers, des trolls, des gobelins, des dragons, de trésors, de labyrinthes. Mais, ce qui m'a le plus interloqué, c'est le petit bandeau inédit apparaissant au sommet de celui-ci. Jamais je n'en n'avais aperçu ailleurs au cours de mes innombrables lectures précédentes : « Un livre dont vous êtes le héros ». Et tout en bas, retranscrit en gras : « Deux dés, un crayon et une gomme sont les seuls accessoires dont VOUS aurez besoin pour cette aventure dont VOUS êtes le héros ».


  • Cette collection "Un livre dont vous êtes le héros" devrait recevoir un prix pour l'ensemble de l'oeuvre publiée. Elle a bercé mon enfance, m'a également fait voyager et vivre des aventures extraordinaires. Merci d'avoir partager ces souvenirs !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Images 500

    anton-ar-kamm

    • Oui, de merveilleux souvenirs ; mes premiers imaginaires qui ont contribué à ma vocation d'écrivain

      · Il y a presque 9 ans ·
      4

      Dominique Capo

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