Spiderman, ce super (z)héros

chloe-n

Cinq heures du mat' et pas de frisson*, mais juste une envie pressante. Pff, le réveil va bientôt sonner et je suis complètement bloquée par une masse humaine scotchée à mon dos. Un bras sur ma tête et une jambe posée en travers des miennes. J'essaye de bouger sans le réveiller, rien n'y fait. J'essaye de me rendormir pour quelques minutes.

Tout d'un coup, j'entends des bruits de pas. Les murs sont en pelures d'oignon mais ça ne vient pas des voisins. Ca vient bien d'ici. De la cuisine, plus précisément. C'est la porte du frigo que j'entends s'ouvrir. Je tends l'oreille. Non, je ne rêve pas. Y'à bien quelqu'un dans la cuisine. Maintenant, j'entends des pas se rapprocher. Ils s'arrêtent devant la porte de la chambre. Je remets rapidement la couette sur ma tête et tente de me calmer. J'ai vu tous les épisodes d'Esprits Criminels, et des dingues qui tuent sans motif apparent, y'en a partout, même chez nous. Allez savoir, si ce type n'est pas armé…

Même si Chouchou est loin d'être un gringalet, dans le plus simple appareil et à peine réveillé, je ne prends pas le risque d'un cambriolage qui tourne mal. Je sais que ce n'est pas courageux, mais de nos jours, on se fait tuer pour bien moins que ça.

Une fois que j'entends les pas s'éloigner, je tente de réveiller Chouchou. Mais rien n'y fait. Il ne bouge pas d'un iota.

Toujours à l'affût du moindre bruit, je n'entends plus rien. Pas de porte qui se referme, pas de fenêtre qui coulisse. Rien. Et si j'avais fait un “rêve”, un de ceux dont on se rappelle, qu'on pense qu'ils sont vrais ? Au bout d'une demi-heure, je finis par me rendormir.


Le matin, en me levant, je n'ai aucun souvenir. Juste que j'ai passé une mauvaise nuit, sans savoir pourquoi.

Je me prépare un café, sors ma première cigarette de son paquet. Tiens, c'est la dernière… ! Bizarre, j'étais persuadée que mon paquet était plein. Je dois vraiment être fatiguée. Je vais me chercher un autre paquet. Hier, j'ai fait le plein de courses et j'ai acheté une cartouche. Mais pas de paquets de cigarettes à l'horizon ! Merde, je suis sûre d'être passé au tabac. J'ai même payé en carte bleue. Je prends mon sac où rien n'est à sa place. S'il y a bien un endroit où tout est rangé selon une logique qui n'appartient qu'à moi, c'est bien dans mon sac. Au moment où je m'aperçois que je n'ai plus de liquidités, mon téléphone se met à sonner. C'est Chouchou.

— Salut chérie, ça va ?

— Non. Je crois que je deviens dingue.

— Qu'est-ce-que t'as ?

— J'ai acheté une cartouche de clopes hier, et je ne la retrouve pas. Et tu m'as gentiment laissé qu'une clope ce matin.

— Hein ? Quoi ? Mais c'est toi qui m'en a laissé qu'une.

— Comme tu m'as pris du fric ce matin, tu aurais pu m'acheter un paquet...

— Quoi ? Bon, chérie je dois y aller. J'te rappelle plus tard. Ah oui, je t'appelais, j'ai oublié de récupérer mes baskets sur le balcon. Tu pourrais les rentrer vu qu'il a plu hier soir. Merci chérie.

— Mouais….

Bon, je faisais quoi ? Ah oui, mon portefeuille. Je regarde mes reçus de carte bleue, il y a bien un achat au tabac hier soir. Où est-ce que j'ai bien pu mettre cette cartouche ? A sa place habituelle, elle n'y est pas. Bon, je vais récupérer les baskets avant que j'oublie. Tiens, la fenêtre est déjà entrouverte... Les chaussures de mon homme n'y sont pas, mais une chose attire mon regard. Des traces de pas venant de la rambarde, du côté du vide. Merde… j'ai donc pas rêvé ! Il y avait bien quelqu'un cette nuit.

J'enfile un jean et un tee-shirt et je file chez le gardien. Il y a du monde à la loge.

— Bonjour, me dit le gardien d'un air pas très rassuré.

— Bonjour. Je viens vous voir parce que… je crois que je deviens folle mais… j'ai l'impression que j'ai été cambriolé.

— Oh non… vous aussi ! Vous êtes la deuxième personne qui vient me voir ce matin. Le gardien de la résidence d'à côté est venu me prévenir qu'il y avait eu des cambriolages cette nuit dans le quartier.  Vous avez une idée de l'heure… ?

— 5 heures. J'avais envie de…J'avais une envie urgente mais je me suis pas levée.

— Ouais, ça doit être la même personne. Une dame d'un autre immeuble, du 5ème étage, a eu la même envie que vous et elle s'est retrouvé face-à-face avec le voleur.

— Non ??!! Et… ?

— Elle l'a surpris avec ses bijoux à la main. Elle a hurlé et il est parti par la fenêtre.

— Du 5ème ?

— Oui. Il s'est attaqué qu'aux appartements des derniers étages.  Bon, il faut que vous alliez porter plainte.  Au commissariat juste en bas de la rue, en face du parc. La police est au courant, vu le nombre de personnes qui doit défiler chez eux.

Me voilà au commissariat. Un petit local installé au rez-de-chaussée d'une HLM (aujourd'hui fermé). Je patiente sur une chaise pliante attendant mon tour. La personne devant moi fait sa déposition. C'est long. Très long. J'ai bien envie de m'en griller une, mais j'ai plus de liquide, enfin quelques pièces jaunes. Je sortirai bien mais je risque de me faire prendre ma place. Vient enfin mon tour. Je m'installe dans une pièce assez sommaire. Une lampe de bureau, l'agent qui tape avec ces deux index, tous les clichés des séries télévisées. Je raconte mon histoire. Visiblement, le même scénario que les personnes m'ayant précédé. Entre 3 et 5 heures du matin, appartements  du 4ème et 5ème étage, il a prit tout que ce qu'il pouvait mettre dans son sac à dos : argent liquide, tickets restaurant, appareil photo, fringues, cigarettes,…

On prévient le procureur de la République qui envoie deux agents chez moi. Entre-temps, je passe au distributeur et au tabac. Quand j'arrive devant mon immeuble, “Starsky et Hutch” sont déjà là. Je me fais presque engueuler d'avoir fait un détour en sortant du commissariat.

En m'attendant, ils ont demandé à mes voisins s'ils avaient remarqué quelque chose d'inhabituelle ces derniers temps. Personne n'a rien vu ni entendu. Quand j'arrive, tout le monde me regarde comme si j'avais fait quelque chose d'illégale. Je mets tout de suite les choses au clair. Ca va, je me fais cambrioler et mes voisins me regardent comme si je dealais de la coke. A peine chez moi, ils ne jettent qu'un coup d'oeil sur le balcon. Mais j'ai quand même droit à la poudre noire et la houpette pour relever les empreintes. P…, ça dégueulasse tout ce truc et en plus, vas y pour l'enlever... Je propose qu'ils relèvent les empreintes sur mon portefeuille, vu qu'“il” s'est servi dedans. L'un des agents me répond que ça ne fonctionne pas.

— Ah bon ? Ca veut dire que dans les “Experts”, ils nous racontent des conneries ?

— Faut pas croire tout ce qu'on raconte à la télé.

— Ouais, et il en dit votre patron…

— …

— Ben Sarko, c'est votre patron !! (à l'époque, ministre de l'Intérieur).

Oui je sais, parfois, ça sort comme ça, c'est plus fort que moi et je me rends compte bien évidemment, trop tard. Au moins, c'est spontané. Bon, ce coup-là, on le mettra sur le compte du stress.


Le policier me regarde en souriant. L'autre me regarde dépité et va inspecter la cage d'escaliers. Lorsqu'il revient, il dit :

— C'est Spiderman. Il a remis ça.

— Spiderman ? Sympa, ce p'tit surnom. J'l'aurai appelé Badman… Mais bon… désolée, je vous ai interrompu…

— Oui, je disais que c'est un type qui a déjà été arrêté pour des faits similaires et il vient tout juste de sortir de prison.  

Je file dans la cuisine. Je me rends compte que je n'ai rien mangé depuis la veille au soir. En ouvrant le frigo, un cri qui me vient du cœur :

— Put… d'enc… de sa m…

— Qu'est-ce-qui se passe Mademoiselle ?

— Il a vidé mon frigo. Y'à que dalle ! P… j'avais fait les courses hier… Put… de merde. Y'à plus rien….

J'ouvre les placards. Le désert. Plus de chocolats, plus de gâteaux,… Il a tout pris. Même les fruits. Il nous a juste laissé une clope chacun.

— Bon, on a terminé ici Mademoiselle. On n'a pas d'empreintes, à part les vôtres qui sont partout, pas de vitre cassée ou forcée. Juste des empreintes de pas sur votre balcon. Vous pouvez faire une déclaration à votre assurance, mais honnêtement, ça ne changera rien, y'à pas eu d'effraction. Pensez à bien fermer vos fenêtres la nuit avant de vous coucher, même au 4ème étage.


Quelques jours plus, en rentrant chez moi, je croise les  baskets toutes neuves de mon homme achetées aux Etats-Unis, inédites en France, aux pieds d'un autre. Juste au moment où j'allais réagir, le type avait déjà disparu.


*réf. à Chagrin d'Amour, groupe français des années 80.


  • Il ya quelques années lorsque j'habitais à Paris, un voleur est passé par ma fenêtre (via l'échafaudage extérieur en place pour réfection de la façade) et a dérobé le sac de ma copine alors que nous dormions à poings fermés. J'ai retrouvé le sac vide dans le chantier au rez-de-chaussée. C'est sûrement le même cambrioleur qui vous a visité. Drôle d'impression quand on se réveille le matin, non ?

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

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