Volutes

caiheme

Chercher. Acheter. Partir. Revenir

Un bâton de réglisse entre les dents, le gars presse les molaires. Une bosse nait sur sa joue. La tête baissée sur le portable, le pouce en essuie-glace, son pote feuillette ses messages. Lumière blafarde du rectangle sur sa peau en crevasse. Le gars regarde en l'air, le ciel est opaque, les lampadaires d'acier jaunissent la rue. Le pote range son portable dans sa poche, il lève la tête vers l'immeuble qui leur fait face. Un rideau s'ouvre puis se referme au troisième étage.

Vas-y c'est bon. 

Le pote avance le pas, le gars le suit. Le doigt presse les chiffres du digicode, ils entrent.Un mec sous une capuche noire, les mains cachées dans la poche ventrale.

La cave, tu descends en bas. 

Il leur ouvre une porte. Les deux invités pénètrent à l'intérieur. La porte se referme. Le capuchonné reste en sentinelle. Les ampoules grésillent dans l'escalier en béton. Graph' étirés sur les murs. Cliquetis de l'interrupteur brûlé. Plastique bullaire. Suie de briquet. En bas un adolescent boutonneux attend. 

Dis moi. 

Le gars répond, son pote donne l'argent. L'adolescent tend un sac de congélation gros volume qui contient des petits sachets Ikea. Le gars en prend deux. Le garçon ouvre un Tupperware blanc. Le pote regarde les tiges, il soupèse, choisit. Le garçon remet le couvercle sur le rectangle délavé. Glissade de fermeture éclair. L'adolescent endosse son sac Eastpak. Le gars tend la main. 

Merci à toi. 

L'adolescent place sa main dans la poche de sa veste fluo, il regarde le gars, puis le pote, puis le gars. Sans ciller il serre la main de ce dernier. 

À une prochaine. 

Le pote sourit. 

Salut mec. 

L'adolescent quitte la zone éclairée, s'estompe dans un coin d'ombre. Il ne reste que le cliquetis d'interrupteur. Deux silhouettes remontent l'escalier. Le bruit cesse. Le noir enveloppe le gars et son pote. Sortie du téléphone. L'écran des SMS éclaire les marches bétonnées. Le gars et son pote montent prudemment. La lumière téléphonique glisse sur les emballages de chips et de Camel. Réflecteurs en argent et vitres froissées. 
Ils sont deux, ils avancent. Pas après pas. Marche après marche. Les baskets rencontrent les déchets. Froissements d'aluminium. Écrasements cartonné. Chuintement du plastique sur le béton. L'éclairage du Smartphone rencontre l'interrupteur noir. La lumière d'HLM revient. Ronronnement mécanique . Le cliquetis temporalise. Le gars tourne la poignée. La sentinelle est là. 

Bonne soirée les mecs. 

Les mains restent dans le sweat. 

À la prochaine. 

Une vieille femme rentre dans le hall. Le dos courbé, traînant un cabas à roulettes, les os et le fer grincent dans le silence de la rencontre. Personne ne se regarde. L'habitante est happée par l'ascenseur. Son visage fripé dans le miroir aux brûlures. Elle grommelle dans la fermeture rêche des portes en casserole, le regard oblique sur la sentinelle. L'encapuchonné regarde le gars et son pote. 

À la prochaine les mecs.

Tous les trois sortent. La sentinelle presse le pas. Disparaît. Le gars et son pote partent dans la direction opposée. Ils marchent sans rien dire. La tête qui fonce dans la nuit. Une ruelle surprise. Sur une tige de métal est empalé un poste de télévision. Totem urbain. Le gars et son pote pénètrent dans le couloir aux murs d'immeuble. Le trottoir baigne dans l'après-pluie. Les lampadaires jaunes dans les reflets humides. Des morceaux de luminaires dans le bitume. La rue brille. Le gars aspire la fraîcheur. Il souffle, l'air se grise. Ils arrivent à l'hôtel des lettres bleues aux deux étoiles. Le bleu délavé des années solaires. 

Les deux sont dans la chambre. Des spirales vertes sur le papier peint bruni. Des rose de métal dans une amphore en verre. La poussière comme engrais. Fils électriques au plafond. Lampe de chevet pour éclairer. Quelques flashs de briquet. Le pote aspire l'air à travers la tige de papier fumante. La braise crépite, dessine un trait blanc dans l'espace clos. Le pote tend le tube au gars, il se couche sur le lit. Ses yeux s'épaississent. Drôle de môme hein ? Le gars souffle la fumée pâle. Oui, sa première vente. Tu crois ? Le souffleur hoche la tête, croise les jambes. Le soleil à travers les rideaux rouges. Le gars s'enfonce dans le fauteuil. Des nuages en particules. Le pote se lève, ouvre le frigo. 

T'en veux une ? 

Envoie. 

Le gars termine sa cannette. Son pote ouvre la dernière. Il contemple la mousse. Le gars revient du dehors. Des  canettes de bières. 8,6 degrés et des sandwichs triangulaires dans le sac de courses. Dessert en bâton de réglisse. Le trafic de fin de journée klaxonne derrière les murs. L'or atmosphérique du soleil couchant imbibe les volutes grises. Les rideaux rouges se phosphorisent. Les couvertures arrachés des cahiers Leader Price calment l'éclairage. Le pote passe sa main dans ses cheveux courts. Brouillard de cendres. Dehors la pluie fraîche piétinent sur les vitres.

Tu entends la pluie qui tape ?

Oui, elle écrit avec ses gouttes.

Elle raconte quoi ?

Attends, j'écoute.

Les courants pâles troublent l'immobilité. Le rebord de pierre de la fenêtre se couvre de flaques. Le gars raconte, son pote martèle le téléphone. Les sachets se vident et les journées s'écrivent.

Le gars retire une dalle sous la baignoire. Des billets bruns. Cinquante euros en quantité. Une épaisseur de livre. Le pote écrase les emballages. Froissement plastique. Il rassemble le tas dans un coin. Le gars replace la plaque. Bâton de réglisse entre les dents.

On y va ?

Le pote regarde son portable.

Vas-y on bouge.

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