Stakhanov in the City

tonymila

Chaque matin, son réveil sonnait à la même heure pour l'enjoindre de se rendre dans le building où il travaillait depuis 15 ans. Ensuite, venait la répétitive chorégraphie qui le mènerait à Broadgate, dans le quartier d'affaires. Après la douche, il enfilait comme la veille son costume noir élégant, sa chemise blanche (parfois grise pour les grandes occasions), ces chaussures en cuir inflexible et sa cravate noire. Un peu avant 8h, il buvait d'un trait son café brûlant et claquait la porte du spacieux appartement qu'il avait sélectionné pour sa proximité à son lieu de travail.

Une fois descendu, il prenait à droite sur Becker Street pendant 4 minutes pour rejoindre « le tube » et ses 3 millions de passagers quotidiens. Se déplaçant à l'unisson avec une foule pressée dans un mouvement synchronisé et ininterrompu, il était transporté à destination en une vingtaine de minutes. Parfois, au cours de son trajet, il s'imaginait pendant quelques secondes vivre la vie d'un autre puis retournait presque instantanément à sa réalité. Il se sentait en sécurité dans une masse où chacun semblait avoir déserté son existence pour s'uniformiser en un seul corps.

Arrivé à sa station, ses semblables et lui migraient en une trajectoire unique vers l'immense tour imposante. Elle était le signe incontestable de la réussite et de la puissance. C'était tous ces symboles qui lui avaient donné des ailes il y a 15 ans et qui le réconfortaient aujourd'hui encore. Il regardait autour de lui et l'ordre quirégnait le rassurait. L'appartenance à ce groupe lui apportait une certaine fierté, il avait trouvé ici un refuge à ses inquiétudes.

Toujours escorté, il rejoignait par ascenseur le 30e étage et découvrait alors sur un grand mur blanc, la photo monochrome de l'employé du mois entouré d'un cadre doré. A chaque fois, il s'arrêtait solennellement devant cet autel pour rendre hommage à ce surhomme dont la Compagnie était fière et à qui tout le monde souhaitait ressembler. Après ces quelques secondes de recueillement, il savourait l'extraordinaire effervescence du 30e étage en arpentant le vaste open-space responsable de cette émulation généralisée.

Une fois à son bureau et sa chorégraphie quotidienne achevée, il se mettait alors au travail dans le but de voir un jour sa photo dans le cadre doré de la gloire.

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