* Rossignol Roméo - L'ombre Déesse *

Alice Liddell (Falling Cards)

L'épais voile rouge s'ouvre.

Derrière il n'y a rien. Ce rien c'est le noir. Le noir solide, le noir total. Si. Une petite vie vient de naitre au milieu de ce rien. Cette petite vie c'est une lampe. La flamme, grandissante éclaire petit à petit la scène. Nous voyons un pilori en place publique. Un homme, habillé de guenilles suppliciées s'y trouve. Roméo.
La nuit noire est tombée, un garde avance lourdement sur scène, s'empare de la lampe et disparait dans le coin de la pièce. La lumière n'est plus.
Roulement de tambours. Ils battent, comme avant une mise à mort.
Parfaite soirée pour la pluie. L'air est chargé de tristesse et de mélancolie. D'ailleurs elle arrive. La pluie tombe. S'écoule, s'insinue partout, lave le supplicié. Ce soir là, Roméo allait renaitre. La pluie commençait son œuvre. Elle faisait sa toilette de nourrisson.
Une faible clarté bleu jaillit, éclaire maisons et pilori. Une ombre était plantée au milieu de ce décor lugubre.

Elle avance, lentement vers Roméo, et lui caresse les cheveux.

Rossignol - Mon ami. Regardez moi.

La lumière s'accroit, l'homme lève douloureusement la tête vers la femme cachée sous sa tenue noire.
Roméo - Mon Rossignol ? Est-ce vous ?

Rossignol - Parlez moins fort, le garde aura vite fait de vous entendre, vous ne voudriez pas que je termine auprès de vous.
Roméo - C'en est déjà terminé. Je serais mis à mort publiquement demain matin, par la torture... Mais, vous n'êtes pas venue pour rien mon amie. Vous comptez faire quelque chose pour m'arracher à ce triste sort. N'est ce pas.

La pluie fouettait son visage, il parlait avec la force que le désespoir lui avait donné.
Roméo - S'il vous plait, dirigez quelque goutes vers ma bouche, je vous en prie, j'ai si soif.

Rossignol - J'ai quelque chose pour vous mon tendre, tenez.
Elle sortit de sa veste une gourde, de l'eau pure mais l'effet sur la gorge desséchée fut dévastateur, il recracha le peu qu'il avait pu avaler. Elle tendit alors un pan de sa longue veste mouillée, Roméo suça l'eau jusqu'à ce que la douleur s'apaise et lui permette de déglutir.

Roméo - Mon amie...
Rossignol - Taisez-vous, je ne suis pas là pour vous sauver, si ce n'est vous sauver de l'atroce espoir qui pourrait gagner votre cœur.
Roméo - Vous... Pourquoi me faites-vous ça ?
Rossignol - Ça ? Que suis-je censée vous faire mon jeune ami ?
Roméo - Vous, et les hommes d'église. Pourquoi me torturent-ils ? Ils savent que mon coeur est à vous, mais à leurs yeux vous n'êtes que déchet de la semence. Vous êtes le Diable. Pourquoi me torture-t-on. Personne n'a de question à me poser.
Rossignol - Haaa mon ami. Pourquoi est souvent une question plus profonde que la réponse qu'elle mérite. Demandez-vous plutôt : "Que font-ils ?" Est-ce de la torture pour vous ? Vous pensez que ces hommes veulent vous briser ? Vous savez qu'ils ne pourront guère vous faire changer d'avis alors. Où est le problème qui vous ronge?
Roméo - C'est de la torture, ils me brisent les épaules, lentement, tentent de me faire changer d'avis. Mais moi je n'aime que vous. Et vous, vous venez vous moquer de moi ? Vous venez jubiler d'un amant vaincu!
Rossignol - Me suis-je moquée de vous mon ami ? Je suis venu vous faire un cadeau mon tendre.
Roméo - Je ne comprends pas.
Rossignol - Je suis là pour vous aider, vous libérer de l'espoir d'être sauvé.
Roméo - ... êtes vous donc réellement folle ? Vous parlez de m'aider, alors que vous êtes sur le point de me laisser torturer jusqu'à ce que mort s'en suive ?
Rossignol - La douleur, n'est ce pas étrange? Vous allez mourir mon ami. Votre Rossignol sera présente quelque part dans la foule, alors que vous, vous serez sous le fer et le sang. La souffrance, jouissive. Vous dites m'aimer mon amour, alors cette leçon sera votre dernière. La souffrance vous aidera à assimiler l'amour que vous me portez pauvre idiot. Aucune leçon n'est comprise si elle n'est pas gratifiée d'une douleur. Peu importe laquelle.
Hm. Vous savez mon ami, une fois j'avais une petite larve au bord de ma fenêtre. Elle allait devenir tôt ou tard un papillon, mais les oiseaux de la place du marché qui n'était qu'à deux pas de là, n'en auraient fait qu'un coup de bec. Alors, moi pleine de pitié, j'ai gardé la chenille captive chez moi pour qu'aucun volatile ne puisse s'en approcher. La petite bête est devenue papillon, celui-ci, volait dans la chambre, mais il se prit dans une toile d'araignée. Cette dernière attaqua le papillon, qui n'avait pas reçu assez de poison pour mourir, mais juste suffisamment pour ne plus pouvoir voler. J'avais de la peine pour cette petite chose si fragile. Elle avait passé sa triste vie à emmagasiner des forces pour un ballet aérien... Et fut réduite au silence. Je n'avais pas le cœur d'apaiser cette souffrance, j'ai donc voulu réparer mon erreur, et j'ai laissé l'insecte à son sort. Son dernier et triste sort.
Vous comprenez maintenant ?
Roméo - Oui... Mais à vos yeux, un homme implorant la bonté ne vaut-il pas plus qu'un insecte ?
Rossignol - Alors mon tendre ami, vous n'avez pas compris. Je suis peut être naïve après tout. Je croyais m'adresser à un homme mais il semblerait que vous ne soyez pas plus qu'un enfant. Un petit enfant potelé qui braille en attendant que quelqu'un vienne le nourrir.
Roméo - Mais comment osez-vous dire ça ! Comment osez-vous penser ça après ce que vous faites !
Rossignol - Non non non mon doux. La véritable question est ce que vous avez fait...
Roméo - Je n'ai rien fait du tout !
Rossignol - Précisément...

Rossignol se pencha de tout son corps sur le jeune homme

Rossignol - N'êtes vous donc pas comme un enfant ? Geindre sans cesse, trépigner jusqu'à ce qu'un adulte vous remarque et vienne vous aider ?
Vous êtes conscient, que si je viens à votre aide comme pour la chenille, vous ne tirerez rien de cette leçon ?
La souffrance, domine chaque homme, telle une déesse. La réaction la plus instinctive serait de reculer, s'enfuir. Pouvez-vous vous enfuir mon ami ?

Roméo - Non. Je ne peux...

Le garçon baissa la tête, et tenta de contenir ses larmes.

Une nouvelle lumière illumine la pièce. Rossignol se dresse brusquement, ramasse la gourde et s'éclipse en soufflant :
Ils ne doivent pas me voir !
Le garde arrive sur scène au moment où elle disparaît. Il pleut toujours, et Roméo retourne dans le rien. Là où il demeure, il n'y a que la noirceur.


Le rideau ne tombera pas ce soir.

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