* Rossignol Roméo - Nena - Fin *

Alice Liddell (Falling Cards)

Selena assiste maintenant à la dernière scène de Rossignol Roméo. Rossignol, la prostituée que la vie a su rendre sauvage, fine et cruelle avait fait sombrer le jeune page Roméo dans la démence aux yeux des hommes d'église. Jamais un homme de son rang ne pourrait offrir son cœur à une telle femme, ce déchet, ce paria. Roméo, dans sa tristesse infinie face à cette condition prononça un blasphème, et faute de s'être fait pardonner au nom du tout puissant, l'église demanda à ce que le pardon soit prélevé sur sa chair jusque dans son âme.
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L’aube se lève et éclaire la pièce d’un fugace rayon de soleil, les oiseaux de la place du marché entament un rapide ballet matinal sur scène avant de s’éparpiller et de disparaitre laissant le jeune Roméo baignant dans une lumière suintante de tristesse sous une pluie de plumes qui terminent leurs vols avant de tomber silencieusement sur le bois du pilori encore humide des averses passées.
Roméo dans sa solitude lève lentement son visage vers le néant. Il croit voir Rossignol au travers de ses yeux brouillés de larmes. Il la demande. Voudrait tendre la main mais lorsqu’il comprend qu’elle ne bouge pas, il laisse tomber son visage vers le sol…

« Rossignol… C’est ici que s’achève ma vie. A vos yeux, je n’étais qu’un simple page amoureux. Aux miens, j’étais fou de vous, mais vous ne le voyez pas. L’amour dont tout le monde parle, l’amour que tout le monde cherche n’était peut être qu’une vaste farce dont je vais ressortir perdant pour ceux qui étaient autrefois mes amis, mes tuteurs. Et pourtant, mon cœur ne s’est jamais trouvé si léger qu’à ce jour. La vie est trop longue pour pouvoir aimer. La vie est trop vaste pour que deux cœurs s’accordent à jamais. Mais la mienne pour vous en sera courte et brève. Je meurs pour vous, je termine ici ce voyage parce que je vous aime.

Des ombres s’avancent avec lenteur en face du pilori. Les gens vêtu de capes noires viennent observer ce spectacle cynique, la mort d’un homme. Ils s’entassent pour ne rien rater de l’exécution. Un air de violon fend avec langueur l’ambiance lourde de la scène. Quelques oiseaux à la robe noire tournent lentement au dessus du corps brisé de Roméo.

« Regardez-moi, je suis venu à vous fleurissant de richesses et d’amour, vous n’avez même pas voulu me regarder. Je désirais vous donner tout ce que la vie peut offrir, à mes yeux, un titre, l’argent, la renommée. Vous avez ouvert mon âme, me faisant comprendre que ça n’en valait pas la peine, que mes sentiments étaient gâchés par le luxe et l’hypocrisie. Aujourd’hui plus fort de vos leçons je connais cette vérité qui vous poussait à m’ignorer… Je sais que mes sentiments sont purs, que tout se termine par cette volupté morbide que tant d’hommes et des femmes ne connaitront jamais.

J’ai dépensé tellement de temps à aimer. Aimer pour un créateur, pour ceux qui m’observent dans l’ombre, c’est la mort qu’ils m’apportent ce matin. Ô mon amie Rossignol. Est-ce vous qui m’observez, affichant votre sourire aux courbes froides, cruelles. Si belle. La beauté de glace, la passion ténébreuse et tant d’amour dans ce cœur intouchable. Je suis désormais vôtre. Mourir sera mon premier et dernier acte en tant qu’amant. La terre ne tarira jamais la force qui anime cette fougue. A la minute où elle naquit, ils auraient été prêts à l’empoisonner de prières pour le salut souverain de mon âme. A cela je veux répondre non. Je veux hurler au grand jamais et déposer à vos pieds mon âme, ma vie, mon salut. Le créateur ne saurait que faire d’une mort que tous jugent pathétique, elle n’aura de sens que pour celle qui en est la cause. Je peux vous le dire, les larmes roulant sur mes joues d’une passion morte, je vous aime. Je vous aime tellement. Si sourde et aveugle. Je vais mourir pour votre haine ou votre indifférence, imaginez ce que j’aurais pu faire pour votre amour… Ma dulcinée. »


La foule forme maintenant une masse noire autour du jeune condamné. Un mouvement humain compact et obscur qui se meut comme une marée haute. Un homme monte sur l’estrade ou est prisonnier Roméo. Le bourreau. L’air du violon tombe lentement. Les lumières se font faibles.
On distingue parmi les bruits murmurés de la foule le cri lointain de corbeaux. La lumière se fait pourpre, le décor se fait de sang. Il murmure, ses propos sont étouffés par les nuées de mots déversés par le public.

« Aucun fer, aucune lame ciselée ne saura défaire les fils de cette passion. La terre elle-même ne saura étouffer la chaleur qui étreint mon cœur au moment où je parle au néant… Vous n’êtes pas là. Et mon ignorance me rendra libre. »

Le bourreau s’avance vers Roméo. Le silence se fait lourd dans la foule. Personne ne dit mot. Les yeux sont rivés sur l’homme, le rideau tombe doucement… Rossignol ne se montre pas. Le rideau glisse lentement sur la scène, une ombre à la silhouette svelte sort de ce conglomérat humain une rose à la main. Elle se place au milieu de la scène, tournée vers le public. Les lumières virent au rouge sang. La capuche qui cachait le visage de cette ombre tomba, découvrant Rossignol. Une rose à la main, écoutant les derniers murmures de l’homme qui l’aimait.

" Je ne voulais pas voir mon corps à feu et à sang je voulais juste allumer une flamme en son cœur. En mon âme soufflent les tempêtes, et au milieu de cette tourmente, il n'y a qu'un seul désir, et ce désir c'était Rossignol."


Rideau.

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