* Rossignol Roméo *
Alice Liddell (Falling Cards)
Les tambours battent.
L'épais rideau de velours rouge est maintenant tiré. Nous pouvons voir la scène baignée dans un brouillard rougeâtre.
Rossignol et Roméo sont là, sur scène, immobiles. Rossignol et Roméo portent tous deux un masque blanc, sans traits, seuls les yeux et la bouche sont dessinés en noir. Cette face sans visage lui inspirait une miséricorde terrifiante. Serena était venue pour la première fois au "Théâtres du Grotesque." Mais elle était loin de se douter que la scène de ce soir, se déroulerait de la sorte.
Ce soir les comédiens allaient aborder un thème qu'elle ne connaissait que trop bien, ce qui l'attira. Le suicide. Il avait déjà marqué son entourage, il était pour elle le maître des larmes, et elle pour lui l'esclave de la mort.
Néanmoins, elle était attirée par cette idée. Comme si la toucher du doigt ne demandait que quelques secondes de lucidité - Ou de folie.
Une lumière tombe. Et éclaire Rossignol. L'acteur avait l'air d'une femme, son apparence coquette prenait vie. Elle se lève doucement, et de quelques moues gracieuses, observe le public en mouvant son visage comme un oiseau curieux.
Derrière ce couple étrange, se tient un orchestre de singes mécaniques aux allures monstrueuses. Ils sont habillés d'une petite tenue rouge et noire, semblable à la garde royale londonienne. L'air qu'ils entament ressemble aux musiques pour enfants. Un petit air entrainant de pipeau, et quelques coups sur une clochette donne un aspect grotesque à la scène.
Serena est intriguée, sur scène se joue une musique pour enfants, d'une telle gaité qu'elle pourrait être jouée à Noël, et les acteurs, de leur côté jouent un jeu mortel.
Roulement de tambour.
Rossignol quitte ses moues gracieuses et d'un geste vif et précis, rompt sa hanche dans une allure provocante, fixe la lumière qui venait du côté droit de la scène, le bras légèrement tendu, offre sa rose à la lumière, l'autre main est dirigée derrière la sa tête, paume posée sur la nuque.
Roméo aussi se lève, et imite la position de Rossignol qui commençait un opéra surprenant d'une voix nasillarde.
Rossignol - Une rose pour moi et une rose pour les morts.
Roméo continue d'une voix de castra.
Roméo - Une sérénade de larmes, sans vie.
Rossignol - Je vous suis, je suis vous - vous êtes moi ?
Roméo - C'est que je suis ce que vous êtes - qui sommes nous?
Rossignol - Où est la vérité et où est ce qui est mensonge.
Roméo - Qui vous êtes et ce que suis-je?
Rossignol - Dans un berceau de pêchés nous dormons.
Roméo - Aucune eau bénite ne pourrait laver nos fautes.
Rossignol - Aucune bénédiction ne pourrait purifier nos âmes impures. Et s'il vous plaît, mon Seigneur, Il faut éteindre la lumière, l'illumination me fait mal aux yeux.
La lumière se meurt.
La scène est baignée dans une brume violette. La température de la salle tombe très vite. La brume s'intègre peu à peu dans le public. Dévore les spectateurs glacés.
Rossignol - Je ne supporte pas le soleil alors je me ferme les yeux.
Roméo - Est-ce le jour parfait pour mettre fin à cette vie misérable?
Rossignol - Mon espoir m'a laissée seule et stérile.
Roméo - Je me noie en toi.
Rossignol - Ma tombe.
Roméo - Ton seul val de paix.
Rossignol - Je déteste ma propre odeur répugnante.
Roméo - C'est pourtant le parfum de la vie.
Rossignol - C'est la puanteur de la vieillesse!
Roméo - La vie et la vieillesse sont-elles laides ?
Rossignol - Donnez-moi une raison de vivre pour que je puisse en rire .
Roméo - L'amour!
Rossignol - Même le plus beau des visages fane.
Roméo - Les plaisirs du lendemain!
Rossignol - Cesse l'attente. La cruelle attente pour rien en récompense.
Roméo - Même les plaisirs les plus simples de la vie ?
Rossignol - Je m'en vais préférer l'amertume.
Roméo - Chaque jour est un jour parfait, une journée parfaite pour le suicide...
Une petite lumière nait au fond de la scène, éclairant quelques fleurs blanches. Trois enfants portant un masque semblable à celui de Rossignol et Roméo entament une danse lente et désordonnée derrière le terre plein fleurie. Roméo le pas lent, s'installe sur le terre plein alors que Rossignol, seule face au public chante d'une voix fluide :
Rossignol - Je pourrais mourir comme un chrétien. Je pourrais disparaître dans le sommeil, mais je veux mourir pour quelqu'un, pour celui qui m'attend. Comme je hais cette cellule mortelle qu'est la vie. Je veux que l'on me délivre. Délivrez-moi de cette foule folle. Ici, où ils crachent même sur ma propre image, et où je dois cacher mon visage. Lorsque la détresse semble sans fin, dans ce lieu tellement désolé, abandonné de Dieu lui même... Cesse l'attente. La cruelle attente pour rien.
L'air enfantin devinent plus fort. Les singes s'animent dans une danse symétrique alors que les enfants s'immobilisent en silence.
Roméo - Ici, où elle est comme en enfer. La mort seule peut apporter le salut. S'il vous plaît, libérez la de ces chaînes qui la crucifient à mon adoration éternelle.
Roméo cueille une fleur et accompagne Rossignol d'une voix douce et faible.
Les enfants dansent.
Roméo - Suicide, doux suicide.
Rossignol - Et déjà les ténèbres voilent mes yeux.
Roméo - Suicide, doux suicide.
Rossignol - Et déjà les ténèbres enflamment mon cœur.
Roméo - Suicide, doux suicide.
Rossignol - Mon âme impure, je ne connais pas de lumière.
Rideau.