* Rossignol Roméo * Nostalgie du Néant

La scène peu a peu se dévoile, offrant un décor délicatement bleuté.
Une large fontaine couverte de mousse laisse déborder une légère brume aux teintes marines. Les algues vertes dansent allègrement dans l'eau calme. Le vent souffle. Les longues tiges du saule pleureur rejoignent la danse des algues.
Quelques gouttes tombent. Ce soir les instruments dorment, la nature reprend ses droits et offre un concert unique. La pluie tombe. Les gouttes glissent le long des branches de l'arbre, et se noient dans l'antre de la fontaine, chantant ainsi une mélodie délicate, une berceuse, un madrigal sombre.
La brume s'évade lentement et rampe jusqu'à éclairer un mur. Un mur immense aux teintes d'aigue marine. Un reflet apparaît dans ce miroir naturel. Un homme. Jeune.

Roméo fait les cent pas face a ce miroir flou. La plume entre ses doigts, sa feuille dans l'autre main contre son cœur murmurant nerveusement quelques formules délicates.

Roméo – Ma très chère Rossignol … non, chère Rossignol, voilà déjà quelques jours, et votre présence me manque déjà, terriblement comme le soleil manque à la fleur... Ou peut être...
Mon cœur est réduit en si petits morceaux qu'il pourrait passer au travers du chas d'une aiguille.

Roméo pose la plume sur le bord de la fontaine et, las, soupire.

Roméo – Mais au final... Qu'êtes-vous ? Vous qui étiez si belle. Vous qui étiez si... Vous qui maintenant êtes si loin. Trop loin, vous me laissez avec des songes, les bras chargés de rêves alors que l'automne arrive. Mais vous ne le verrez pas. Vous êtes aveugle, vous refusez de voir cette évidence, si froide, mais si délicate. Je vous aime. Je vous aime par delà les sentiments, et par delà les mots, j'en tiens pour preuve cette feuille. Blanche, blanche comme votre peau, mais l'encre de ma plume n'a d'égal que la couleur de votre âme. J'aime un être empoisonné, une Belladone. Je voudrais pouvoir goûter à cette chaire, mais chacun de vos regards me l'interdisent.
Un mot ? Un baiser... Et un départ. Pourquoi !

Roméo froisse son papier et le lance lamentablement sur le mur avant de tomber à genoux
L'eau découle lentement le long de la surface froide et immuable de verre lisse sur laquelle se reflète Roméo.
Roméo rampe, lentement en silence récupérer la feuille froissée

Rossignol... Vous portez un sobriquet de délicatesse. Mais sous la lune du jour des morts, je veux embrasser la haine. J'aimerai vous haïr. Je voudrais en mourir ! Vous me laissez ! Pauvre idiot que je suis. Je voulais me promettre, je voulais me le faire convaincre. Tant de nuit à conter à la solitude la passion qui, grandissante, devait vous rencontrer. Que me vaut ce cruel manque d'attention. Quel est mon crime, hormis l'amour, pour mériter un sort semblable.
J'aimais le néant. Un vide parfait. Je vous perd dans le matin, quand la brume vous éloigne davantage de moi. Je vous perd dans le froid. Mais... Avec l'ambition de construire un empire. Un empire d'amour et de souffrance. Des baisers d'amour, baisers d'adieux. Jamais je n'oublierai votre visage, derrière la vitre de la calèche qui me trainait loin de vous. J'ai imploré la lune de vous conduire dans mes bras, j'ai demandé au vent de guider votre chemin. Nous avions eu notre chance. Je voudrai fermer mon cœur, mais la vie n'est pas terminée

Roméo lève la tête, ses yeux croisent son reflet brouillé par la lente coulée de l'eau sur la paroi minérale.

Roméo – Et voilà qu'en cette triste nuit je me revois au sein même de ma mélancolie. Loin d'une passion désenchantée qui me laisse un triste goût de cendre dans la bouche. Où ma triste carcasse sous les feuilles d'automne ne veut plus rien signifier... Où ma seule compagne est la solitude. Loin d'Elle. Loin du Rossignol qui, d'un simple sourire, illusionna mon âme; face à mon corps sordide. La démence puissante approche, voici mon ultime étape. Tristesse. Elle sera ma nostalgie du néant.

Roméo jette sa plume dans la fontaine. Elle coule, laissant derrière elle un mince filet d'encre. L'essence même de sa mélancolie.

Rideau.