• Voyage au bout des songes •

Sandra Von Keller

Et une nuit, un bien étrange rêve, une forêt, des enfants, un soldat et la mort...

Vos pleurs ne sont pas si lointains. Je les distingue même très bien. J'ai l'impression que vous vous retenez. Mais vous suffoquez. Suffoquez.... suffoquez si fort !


Comment ne pas entendre, comment ne pas savoir, comment ne pas deviner que votre âme est en train d'émettre un rugissement d'alerte. Et vous avez honte à l'idée de vous faire surprendre ? Cela dépasse la simple pudeur. Vos mains ne camouflent rien. Votre literie non plus, si ce n'est qu'absorber votre chagrin.


Mais de quoi avez-vous peur ? Qu'est-ce qui vous rend si triste ?


Quel malheur ! J'entends, j'entends... vos larmes qui ne cessent de retentir. Elles semblent s'éclater contre les murs.


Une triste... Une bien triste cadence. Je ne sais que faire. Votre coeur semble éclater, bondir, que dis-je ? Une vraie grenade.


Vos côtes craquellent. Je suis recouverte de quelques lambeaux de vos peaux décomposées et chagrinées par vos maintes manifestations semblant hurler "Au Secours" ou "Stop" ?


Et je ne sais que faire ! Bon sang. 

Vous êtes en rage, vous dites que je suis sourde.


Vous suffoquez. Vous suffoquez si fort ! J'éponge, j'éponge le tout, mais tout s'inonde. S'inonde de vos peines. Trempée jusqu'à l'os de vos misères, de vos angoisses, de vos chagrins, de vos tracas, de vos malheurs, de vos dégoûts, de votre haine !


Tout se ronge à l'intérieur. Tout prend trop de place. Vous n'en voulez pas ! Vous n'en voulez plus ! Bon débarras. Me voilà ivre, me voilà ivre. De vos maux.  De ce Fardeau. Que faire, que faire, me dis-je encore. Et voilà que vos poings se mettent à tambouriner. Et que vos bouches s'écartent en un cri béant d'où aucun son ne retentit.


Il n'est plus question de simple folie passagère, votre démence me submerge. Vous avez faim. Si faim... Devrai-je donc déguster toute cette mascarade et m'infliger cette torture ? Ne pouvez vous donc pas vous taire ! Ça suffit ! Ça suffit ! Ôtez vos griffes.


Cessez vos pleurs. Un peu de calme... Trop de précipices. Hantise ! Arrêtez cette ronde incessante, cette danse infernale autour de ma carcasse. Quel malsain plaisir avez-vous donc à faire subir cette lente exécution en jouant avec mon inconscience et mon coeur en morceaux ?Pourquoi aller grignoter certains recoins qui demandent à rester déserts ?


Pourquoi ouvrir des portes qui sont condamnées ? Et ce froid.. Ce froid glacial que vous dégagez, j'en suis paralysée, pourquoi ces vilaines sornettes ? Pourquoi rire de me croire morte ?


Vos pieds sont boueux, autrefois enfoncés six pieds sous terre, comme il est drôle de salir mes draps avec vos Pitreries. Pourquoi faire éclore des fleurs pourries, pourquoi faire coaguler mon sang ? Pourquoi creuser la chair ? Pourquoi m'attraper au dernier moment ? Pourquoi briser vos os et en rire ? Et pourquoi en pleurer maintenant ? Pourquoi me mêler à vos affaires et s'introduire dans mes rêves ? Pourquoi m'emprisonner dans votre univers qui n'est pas le mien ?


Vous suffoquez... 


Vous suffoquez si fort... Pourquoi m'effleurer ? Pourquoi caresser mon coeur avec des mains de soie pour opter pour quelque-chose de plus rugueux ? Ne voyez vous donc pas que mon âme bien faible tente de comprendre vos petits manèges ?


Vous suffoquez si fort... 


Espérant que mon oreille se prête à vos lamentations, espérant que l'agneau courtise le loup. Votre rage bondit alors lorsque je vous abandonne à votre sort, en ayant déjà assez du mien.


Ma douleur n'est point délicieuse, pourtant vous faites en sorte qu'elle le soit, que je savoure ses moindres saveurs, du plus salé au plus piquant.


Vos pensées sont bien noires, pourquoi les miennes ne le seraient t-elles pas ? Pourquoi vouloir crever l'abcès ?


Cessez donc ce combat d'Animal, il y a tout de même quelque chose en moi qui m'incite à vivre, à poursuivre malgré vos putrides affronts miséreux, jonchés de Vices.


Quelle bien laide sournoiserie ! Vous suffoquez encore. 

Et je respire encore plus fort. Quelle horreur de voir cette pauvre âme, bien folle, affronter ses utopies, il parait qu'elle fait semblant. Ne seriez-vous donc pas aveugles sur son acharnement ? Ceci expliquerait donc votre haine qui bouillonne ? Incompréhensible, injustifiée, déplacée... J'ose vous vomir au visage par tant de Misérables Bêtes Humaines.


Me voilà donc sauvage, j'abandonne l'adoption. On n'apprivoise pas un Monstre. Jamais. Que diable, si pour vous, je ne suis que foutaise. Ils ne suffoquent plus. Les pleurs sont bel et bien lointains. Je ne distingue plus rien.  Mais ce n'est pas fini... Me voilà désormais, condamnée à subir le vacarme des pendus.


Leurs corps raides qui aguichent sous un rideau gluant. Ils m'appellent. M'ensorcelle. Tentant encore et toujours de s'accaparer de mes songes. Comme au bon vieux temps. Perdue dans les méandres de la nuit où seul se fait entendre, un coeur qui crépite. Abreuvée d'encre, de sang et de corps étrangers.


Se tisse au bout de ses doigts quelques fils dorés, tranchant si l'âme en peine se débat. La forêt est si sombre et lumineuse à la fois, les enfants se tiennent par la main et tournent en rond comme une bien glauque comptine où les murmures se font répéter inlassablement sous un battement d'ailes de papillons.


Les cadavres sont sous nos pieds. Même la Charogne y est somptueuse. Leur sourires innocents sont présents sur leurs visages de poupons possédés, mais leurs regards apeurés semblent dégager de l'incompréhension.


Ils courent, ils courent, sans savoir vraiment où ils vont. Me voilà entraînée dans cette ronde étrange, semblant ordonnée, traversant les raies illuminées. Offrant un spectacle éclatant. Tel un jeu d'ombres et de lumières. Moi non plus, je ne comprends pas très bien ce qu'il se passe.


A vrai dire, je ne sais comment je suis arrivée ici ni comment je me suis entraînée dans cette valse d'enfants égarés. Leurs petites mains l'une dans l'autre, une des leurs dans la mienne avec une incroyable poigne pour un si petit corps fragile bien que déformé par un poison doux, trahi par leur Gourmandise.


Serais-je donc l'offrande ou le festin ?

Je ne me souviens plus de Rien...

Il y avait une étoile aveuglante qui brillait plus que les autres dans ce ciel trop noir. Sa chaleur était presque douloureuse.


Brûlait la peau à vif comme du beurre au soleil. Je n'arrivais plus à percevoir ce qu'il se passait aux alentours. Les branches étaient si nombreuses, si belles et semblaient tellement vivantes qu'elles avaient l'air maîtresses des lieux.


J'étais là, simplement, illuminée, dans un univers inconnu où je me sentais étrangère. Je creusais dans la terre. Les mains plongées dans les maux mettant en cage des petits morceaux de mon être et quelques fragments de ces pauvres enfants vagabonds qui croquaient à pleines dents mes ailes de plume et de papier d'argent.  


Les fleurs se fanaient sous mes pas, des belles orchidées violacées comme mes veines mises à nue sous un froid glacial ou l'allure des légendaires créatures vampiriques. Des portes invisibles semblaient s'ouvrir après chacun de mes passages.


Offrant une autre dimension tant désirée. Une divinité pour une âme athée. Le comble de l'émerveillement, mais aussi de la Tristesse par tant de Confusion encore Inconnue.


Comme cet immense champ de coquelicots où j'ai pris plaisir à me noyer parmi les lucioles frétillantes qui déposaient quelques étincelles lumineuses sur mon corps laiteux. Suppliant presque la petite Mort qui n'avait pas de visage, loin d'être terrifiante, plutôt accueillante, de m'achever maintenant par simple peur de l'éphémère.


De ses yeux inexistants, je n'étais qu'une âme égarée.

Une existence énigmatique étrangère sur ses Terres. Elle souhaitait comprendre et me sauver de ce qui me semblait pesant et Éternel. Semblant compatir pour ma solitude omniprésente et mon affolement Intérieur. En attente d'une Greffe. Une caresse sur cet Organe Nécrosé [...]


C'est alors qu'un soldat arriva, mourut à mes côtés après une longue bataille acharnée dans une ville en cendres qui m'était familière. Sa main était dans la mienne. Tremblante, elle me serrait pourtant si fort. Ses yeux océans miroitant dans les miens, le sang du péché qui coulait sur sa pomme.


Je semblai être sa Reine et ce Roi, mon vaillant soldat invaincu sous un ciel déchirant d'étoiles et de pluie qui fouettait nos visages et lavait nos chagrins tout en essuyant nos plaies béantes de maladresse...

L'union de deux coeurs amochés par un Amant Disparu en quête d'Indicible. Mais tout était à prévoir, la fuite comme toujours, la confrontation... Je ne distinguais plus rien. Si ce n'est de simples tâches pourpres. Puis noires. Translucide.


C'est l'Envol... La Fin du conte Illusoire. Vous n'existez plus. Pas dans ce Monde. Ce qu'on appelle Réalité terrassante.


Assassine. Le supplice fût une Erreur. Comme un oiseau mis en chaîne. Comme un loup privé de chair, pris dans un piège cruel où courir et dévorer est désormais banni de son Existence. Tel un Soleil Mort ou un Arc En Ciel dénué de ses plus belles couleurs. Un monde en noir et blanc où les Saisons n'existent pas. Où le coeur se ronge aussi vite qu'une allumette en feu.


Le réveil... En un éclat. Se heurte et se brise. J'entends crier mon nom.  Poussières de bonheur, chimères évaporées. 

Lueur Brutale. Entrailles frustrées de ne pas avoir pu s'agripper suffisamment aux songes salvateurs où le Temps n'existe point.


Encore plus douloureux à subir qu'un simple cauchemar intenable. Cette si belle forêt aux maigres troncs et au sol jonché de feuilles dorées enneigées n'était donc pas réel ?


Je ressens pourtant encore le moindre crépitement de chaque chose qui se froisse ou craquelle. Ces enfants morts, maîtres du royaume, étaient le fruit de mon imagination et de mes tourments ? Tout n'était donc qu'une grande Solitude impeccablement mise en scène ? Un véritable théâtre Imaginaire. Il est vrai que ce silence semblait suspect.


Tel était le secret de ces images offertes par un cerveau impur et au repos en quête d'Invention pour une Inconscience bordélique de pourritures humaines.  


Hors-La-Vie. Hors-Du-Temps.


Et voilà la tête remplie d'immondices et les poignets marqués au fer rouge. Absence de l'Etre. Tout se décompose et s'écroule.


La Douleur est Grande. L'angoisse se Déguste.


Les mots sortent de sa Bouche. Tranchants. Ils écorchent.


Mal Être Incurable comme une Maladie voué à la Fatalité.


L'âme semble s'éteindre dans la Solitude 

et fait de la Nuit son Tombeau.

  • Hihi ! Si :) J'écris parfois des monologues, ce serait une bonne idée de tenter le théâtre. Je suis contente de savoir que tu apprécies, venant d'une si jolie plume que toi.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Sans titre 1

    Sandra Von Keller

  • J'aime beaucoup les longues plaintes qui sont écrites de cette manière. N'as-tu jamais pensé à écrire des pièces de théâtre ?

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Snapshot 20130827 9 500

    enumaelish

Signaler ce texte