Starbuck : mode d'emploi

jacques-sullivan

Je n’ai plus rien à fumer, alors je pense. Contrairement à la plupart des personnes que je connais, fumer me vide et me rend incapable de quoi que ce soit. Incapable de communiquer avec autrui, incapable de penser rationnellement. Fumer n’accroit pas ma tendance à rire. Fumer n’accroit pas ma créativité. Fumer ne m’apporte que la satisfaction de m’oublier. Fumer me permet de ne plus être moi mais « quelqu’un ». Ironiquement, fumer me donne également l’impression de me rapprocher de mes aïeux. Sortir après avoir fumé est comme un saut dans la cage aux lions où les lions auraient été remplacés par des fous. Tout comme si l’un de vos arrière-arrière-arrière-arrière grand parent débarquait chez vous à l’improviste. Imaginez le choc : « Salut papy ! Tranquille ? ». Ma dernière expérience traumatisante s’est passée dans un Starbuck d’avant cinéma (l’endroit idéal pour s’oublier), dans une ville souterraine à Paris. J’étais tout simplement perdu au milieu d’une faune d’experts, novice que j’étais. N’étant pas coutumier de ce genre d’endroit, on m’a, je pense, pris pour un imbécile mais il paraitrait que le cannabis rend ses usagers paranoïaque ; passons, le sujet n’est pas là. J’étais impressionné. Tout allait si vite et personne n’était là pour m’expliquer le fonctionnement de cette machine diabolique. J’emploie le mot « machine » plutôt que café car c’est une mécanique pleine de rouages difficilement manœuvrables par un amateur lambda. Je vais donc m’atteler à rédiger un mode d’emploi pour toutes les personnes qui, comme moi, ne vont au Starbuck que dans les moments de détresse et ne sont pas (et n’y compte pas) familier avec la chose.

Mode d’emploi du Starbuck :

1/ Poussez la porte, avancez vers le comptoir, repérez où commence la file d’attente (car il faut faire la queue, comme au supermarché ou à la préfecture, mais rassurez-vous il n’y a pas de ticket à prendre). Insérez-vous dans la queue.

2/ Une fois devant le premier employé : lui dire ce que vous voulez. Si vous n’avez pas profité de la queue ou n’avez pas eu le temps pour décider de ce que vous allez prendre, passez votre tour, mettez-vous sur le côté, faites-vous oublier, vous n’êtes qu’un con.

3/ Vous avez enfin réussi à passer commande (après plusieurs tentatives pour commander ce que vous vouliez, le vendeur ne vous comprenant pas et réciproquement, vous décidez donc de lui faire confiance et avez suivi ses propres recommandations). Vous êtes maintenant face au deuxième employé : lui dire  ce que vous avez commandé au premier, il vérifiera la véracité des faits avec le premier, une fois que c’est chose faite, vous pouvez payer. Au Starbuck il n’y a pas de présomption d’innocence, il est normal de mettre en doute vos paroles, on sait ce que vous êtes : un malin prêt à fabuler pour payer moins cher.

4/ Ultime étape, la plus difficile car les employés vous feront passer un test : savez-vous vraiment ce que vous avez commandé ? L’avez-vous réellement payé ? Quel est le nom du chien de sa belle mère ? Êtes-vous un repris de justice qui tente de dérober le cappuccino d’un innocent client ? Tiens d’ailleurs, avez-vous un casier ?

Tant d’étapes pour un café. Je ne comprends pas. Heureusement pour moi je n’étais pas seul, je serais reparti les mains vides.

Un travail digne du fordisme pour nous servir un café dans un lieu se targuant d’être humain, un lieu sensé apporter un rapport sociable entre personnes dotées d’âmes. Comment les milliers (les millions ?) de clients peuvent ne pas s’apercevoir de la supercherie ? Cela saute pourtant à mes pupilles dilatées.

Fumer du cannabis peut donc permettre de nous ouvrir les yeux sur les absurdités de notre société, à moins que cela nous oblige tout simplement à lire un mode d’emploi pour survivre dans cette dernière ? Mais qui est censé nous le fournir, le dealer auquel on achète la précieuse résine ? En réponse, j’apporte ma pierre à l’édifice imaginaire avec ce mode d’emploi, acte civique, voir révolutionnaire, un pavé grain de sable dans la vitrine d’un Starbuck. Ne vous étonnez pas la prochaine fois que vous irez voir votre fournisseur s’il vous donne un petit carnet en plus de votre commande.

Ne me remerciez pas, remerciez Starbuck.

  • En effet, les cafés Starbuck semblent défier les lois de la physique : ils permettent de créer à partir d'un néant. C'est un big bang littéraire au final, pas mal !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Default user

    jacques-sullivan

  • Hey mais tu l'as posté juste un jour avant moi!.. vive les coincidences!
    Je l'ai trouvé super ton texte-->moi je me suis davantage concentrée sur la salle où l'on boit le café, toi plus sur le moment de la commande - moment qui a effectivement quelque chose d'assez angoissant.
    J'si adoré le passage où tu parlais de la "présomption d'innocence" suivi de celui des milles questions pour vérifier de l'"integrité morale" du consommateur. [un truc que moi je fais parfois, c'est leur inventer des noms à écrire sur leur verre..]
    Bon, bah on attend le prochain internaute qui écrira un texte sur le starbuck's!-->on pourrait presque se faire un petit concours intitulé "décris ton Starbuck's", tellement j'ai l'impression qu'il y a matière à écrire!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Sdc11631 92

    avvelenata

Signaler ce texte