Sticky Fingers ou le dédaigneux chef-d'œuvre poisseux des Stones
Gilles Rolland
Culte est un mot galvaudé. En effet, à y regarder de près, les œuvres réellement cultes ne sont pas légion et à plus forte raison dans l'industrie musicale. Sticky Fingers, lui, mérite ce qualificatif, et c'est probablement l'air de rien que les Stones l'ont enregistré durant l'hiver 69/70.
Plus qu'un disque, Sticky Fingers est un phénomène de mode à lui tout seul, un pavé monumental, un pont entre le blues rapeux et le rock gluant, un raz de marée sonique et... une pochette.
Plagiée par Mötley Crüe (pour l'album Too fast for love), la pochette, que l'on doit à Andy Warhol illustre donc une collection ahurissante de brulots, qui font, plus que jamais aujourd'hui figure de référence ultime.
Le topo, c'est Mick Taylor qui débarque, pour remplacer expressément Brian Jones, victime d'une tragique brasse coulée à domicile. Mick Taylor n'est pas un Stone mais plutôt un franc tireur. Prodige de la slide, il insuffle au son Stone une patte inimitable et apporte un ingrédient de choix à la mixture des Glimmer Twins. Keith Richards trouve en Taylor un allié de poids et peut retrouver son rôle de mercenaire de la six cordes. L'alchimie est parfaite en ces temps troublés où Jagger et sa troupe sont encore sous le choc d'Altamont. Sticky Fingers symbolise donc une porte de sortie. La trappe magique vers la décennie suivante, pleine d'espérance. Forcement, les titres du disque à la braguette sonnent avec un je-ne-sais-quoi de tragique et d'espoir mêlé par les effluves d'opium de sexe. Tandis que Wild Horses évoque une escapade sauvage et onirique, Can't You hear my knocking et son riff légendaire à rendre fou un ascète dur de la feuille pulvérise les idées préconçues sur le blues et balaye les doutes quant à la forme du groupe. En cela et pour tout un tas d'autres raisons (et notamment Billy Preston à l'orgue), le morceau donne le ton de l'album et se termine dans une apocalypse où Jagger et Richards se posent en archanges de la fin du monde, préparant non seulement le renouveau de leur combo mais aussi du rock au sens général.
Une somme de contradictions qui transporte l'auditeur et qui en son temps téléporta les Stones dans une autre dimension, au cœur d'un système solaire dont ils étaient les rois. La Perfide Albion a engendré de magnifiques monstres, qui engrangent les succès. Brown Sugar, hymne sexuel métissé, Sister Morphine et son obsédante litanie rock and roll, I got the blues, qui résonne comme l'affirmation d'une appartenance certaine à la grande famille du Delta ou encore la funeste ballade country Dead Flowers sonnent comme autant de coups de pied dans la fourmilière rock.
Et comme toute les bonnes histoires, Sticky Fingers se paye une conclusion à la hauteur avec Moonlight Mile qui achève d'assoir un groupe qu'on croyait K.O pour le compte. Avec Sticky Fingers, les Stones n'ont pas fait qu'inaugurer leur maison de disque. Ils ont écrit un chapitre primordial de la grande histoire. Un chapitre fait de scandales. Un chapitre sulfureux; génialement souffreteux et flamboyant dans sa manière de traduire les errances d'une formation en pleine possession de son art.
Donc oui, culte est en effet le mot juste.
Belle chronique, bien construite qui part sur une idée plus qu'intéressante (culte est en effet galvaudé aujourd'hui) mais qui se termine malheureusement un peu platement. Qu'à cela ne tienne. Attention toutefois que Richards profite justement de Sticky pour devenir (confirmer même qu'il est) ce mercenaire à la 5 cordes (et non plus 6) qu'on adore tous, mais hormis cela une très très bonne chronique. Bravo.
· Il y a plus de 13 ans ·Romain Veys