Stitches : play et blessures psyché-folk

Hervé Pizon

chronique de l'album Stitches de Califone

Mi torturé, mi apaisé, Stitches (points de sutures) est le onzième album de Califone, prolifique groupe indie de l'Illinois. Quatre ans depuis la précédente production, et après avoir travaillé entretemps pour des B.O. ou scénariste au cinéma, Tim Rutili, l'âme et multi-instrumentiste de Califone, a pris la route pour composer, s'éloignant de son home studio de Chicago et de ses racines. Direction sud de la Californie, Arizona et Texas

Au point de départ de la conception de l'album, un assemblage de matériaux disparates et de sentiments contradictoires. Si on cherche d'emblée l'unité, l'ensemble peut paraître assez (joliment) décousu à la première écoute, schizophrénique, mais absolument jamais superficiel. Chaque morceau est un territoire en soi, immense, avec son climat, son intensité propre, sa progression dramatique. Impressions accentuées par les rencontres et collaborations musicales au fil des pérégrinations de l'enregistrement, ses évocations et prolongements.

Sous la peau, deux veines : l'une coule limpide comme une ballade folk mélodique, romantique (notamment "Movie Music Kills A Kiss" et la sublime "Moses"), l'autre est plus nerveuse, pop, sombre, plus rythmée aussi, avec des arrangements plus complexes ("Frosted Tips" ou "Stitches", autre frisson de l'album).

La suture a pour objet de rapprocher les deux, les lèvres d'une plaie et de lier les tissus. Dans tous les cas, l'Amérique alt-country affleure, persistante : road movie, centres commerciaux, guitare slide, paysages arides, violons, Navajos, harmonica, western, pedal steel guitar, plaines immenses…

America ? Pas seulement ! Ambient, atmosphérique, électronique aussi ("A Thin Skin of Bullfight Dust" par exemple). Quelques prises de son home made, enregistrées artisanalement en voiture, sous la pluie, une voix parfois chuchotée, des claviers aériens, inquiétants, des tablas hypnotiques ("Bells Break Arms") ou encore des cuivres ("Frosted Tips" ou "We are a Payphone") sillonnent les dix morceaux. Ainsi que des références bibliques ou au western spaghetti.

Le monde en grand, ses paysages infinis, ses entrailles aussi, les plaies béantes ou à peine cicatrisées qui le défigurent, tel est d'une certaine manière le propos de Stitches. La poussière levée par le vent forme des petites tâches fugaces qui dansent dans la lumière du soleil : un album sur le vif et profond, troublant et inspiré.


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