such a loney day...

hecate

Seule. Elle était seule. Irrémédiablement seule.

Bon elles étaient deux avec sa solitude. Mais c’est pas ça qui allait transcender sa réalité.

Elle posa sa main sur la pierre froide, le bois. Dépourvu de chaleur lui aussi. Elle se sentait extrêmement lasse. Et seule. Il neigeait même dans son cœur.

 Elle appuya son front sur la vitre gelé. Et souffla dessus. Aucune buée ne se forma. Elle frappa de son poing le verre et étouffa un sanglot de rage.

Elle tournait en rond. Elle secoua la boule à neige qui renfermait une minuscule maison perdu dans les bois. Il y avait peut-être une jeune fille seule et perdue à l’intérieur aussi. Comme une mise en abyme… Mais c’est elle qui s’abimait. Elle fixa d’un air absent ses poignets marqués.

Se planta devant la psyché fêlée qui gisait dans un coin de la pièce, appuyée contre un des murs de pierre humide. Elle ne percevait presque plus son reflet. Se demanda si on entendait au moins le son de sa voix, étouffée par la neige abondante qui recouvrait sa vie tel un manteau menaçant. Le reflet dans le miroir se fit plus net. Et bougea. Elle tendit la main. Il disparut.

Voilà elle était encore seule.

Elle alluma une bougie. Passa sa main au-dessus de la flamme vacillante. Elle n’est sentait pas la chaleur. La flamme léchait sa chair froide. Elle ferma les yeux.

 " Fais un vœu… " 

Elle les rouvrit, des bribes de souvenirs lui revenaient. Elle ne voulait pas y repenser. Parce que c’était heureux. Enfin ça avait l’air. Et qu’elle ne l’était pas.

Elle entendit un craquement et releva la tête.

"Tu veux jouer avec moi ?"

Elle secoua la tête.

"Moi aussi je suis toute seule… Je m’ennuie"

Voilà qu’elle revenait. Pourquoi ne la laissait-elle donc pas seule ? Seule dans sa tête.

Tout le monde l’avait abandonnée. Elle ne se souvenait pas avoir eu un jour une famille. Elle avait oublié. Les souvenirs étaient enfouis trop profondément. La neige, encore. Elle savait juste qu’elle avait aimé. Si fort. Qu’elle en avait tout perdu. C’était flou tout ça, perdu dans les méandres de ses pensées confuses. Les médicaments, tout ce rouge…

Ça y est, elle venait de se hisser sur une chaise, elle était si petite. Mais pourquoi s’évertuait-elle à apparaitre et la suivre ? La hanter…

"On joue à la dinette ? Moi je serais une princesse. Et je m’appellerais Ketty…"

La petite ombre avait un petit sourire triste.

Elle soupira. Elle était lasse. Et incroyablement mélancolique. Cette présence la remuait.

Elle mit de l’eau dans la bouilloire. Autant jouer le jeu…

Mais aucune source de chaleur ne parvenait dans cette maison triste et seule. Elle l’en chassait. Ses larmes mêmes gelaient sur ses joues. Ça faisait tellement mal qu’elle n’osait plus pleurer.

Alors elle restait là à attendre. Quoi ? Elle ne savait pas. Elle n’avait plus de but. Elle ne parvenait pas à se souvenir.

L’éternité.

Elle était triste, seule, abandonnée.

Reléguée à sa solitude. Et à cette ombre de petite fille qui lui apparaissait parfois ; elle non plus ne pouvait sortir de la maison. Mais "Ketty "ne lui apparaissait que lorsqu’elle se sentait si seule qu’elle aurait voulu s’anéantir. Alors Ketty venait lui tournait autour, essayant de lui prendre la main pour qu’elle vienne jouer avec elle.

Elle étouffait de nostalgie, ne savait pas d’où elle venait, ce qu’elle faisait ici. Juste qu’elle ne pouvait rien y faire, pas sortir.

"Pourquoi suis-je ici ? Mais c’est où ici d’ailleurs ? Depuis combien de temps ? Depuis toujours… Pourquoi suis-je seule ? Personne ne m’aime…"

Elle entendait Ketty chantonner. Son rire musicalement triste raisonnait parfois faiblement dans les hauteurs, la faisant frissonner et la remplissant d’une lumineuse peine.

Elle aurait voulu la suivre, s’élever comme ces notes cristallines et si tristes, telle une bulle. Et crever.

Ketty l’exhortait à la suivre, mais elle n’en avait pas la force. Elle pleurait de l’intérieur.

"Mais viens, viens. S’il te plait…"

Il y avait un escalier tortueux. Elle le voyait comme un labyrinthe qui irait la perdre encore plus en ses pensées néfastes.

Mais à force d’entendre la petite voix de Ketty, "Allez, viens, suis-moi !", et de la voir y monter toujours seule, triste et déçue de gravir les marches de cet escalier sans elle, elle finit par sortir de sa léthargie.

Après tout, même si c’était pour tourner en rond, faire les cent pas, elle pouvait bouger. Et de surcroit, elle n’avait jamais quitté cette pièce. Longue veille entrecoupée de sommeils légers et saccadés, monologues intérieurs et pleurs invisibles.

Elle s’étira faiblement, se releva en chancelant du canapé miteux dans lequel elle était recroquevillée.

Elle fit un pas. Mesuré, feutré, hésitant et léger.

Ketty sourit faiblement. "Viens… "  Elle pleurait.

Elle s’avança vers l’escalier de pierres sombre, humide. Son pied foula la première marche… Le temps était suspendu.

Elle montait, s’élevait. Vers l’inconnu, le ciel, l’infini. Ses souvenirs.

Un choc, réminiscence.

Elle chancela.

Laisse-moi Ketty…

Ketty fit volte-face. La fixa un moment avec  un petit sourire triste aux lèvres.

Puis la poussa.

Tout se transformait en cendres. Une tache rouge se formait.  Elle allait s’endormir sous l’œil nu sans concession de la lune blafarde. Dans cette maison vide et abandonnée, hors du temps.

(novembre 2012)

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