Suicide Sexy [Never Fucking Come Back, Episode final]

walkman

« The sky was on fire

When I walked to the mill

To take up the slack in the line

I thought of my friends

And the troubles they've had

To keep me from thinking of mine »

Je suis assis au bord de l'étang. Près de là où, un jour, j'ai croisé dans le ciel un oiseau qui m'a fait croire qu'une liberté inconditionnelle existait quelque part, enfouie dans un monde narcissique et mal foutu. Un monde dont on ne peut que faire parti. Je n'ai jamais fait dans l'humanitaire, ni dans le social et ce que j'ai fait et raté, n'appartient qu'à moi. Cette môme je voulais avant tout qu'elle échappe à ce que j'ai cru du monde. En partant j'ai abandonné ceux qui m'aimaient, en revenant j'ai abandonné ceux qui croyaient en moi. Alors je ne peux qu'être seul. Hanté par les corps meurtri de ma potence. Clara, Lady... Nédhya. Toutes ses âmes fragiles et aimantes qui n'aspiraient qu'à croire en leur chance de faire parti d'un conte de fée réel. J'ai la conviction d'avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour toucher mes rêves enfantins. J'ai administré la mort à ma sensibilité. J'étais parti pour écrire et en vivre. J'ai écrit l'histoire d'un suicide bancal et sexy. Assis à mes cotés, une bouteille de ce fameux bourbon du Tennessee. Voilà quelqu'un qui m'est redevable de quelque chose de sensé. Je ne saurais confesser le nombre de fois où on a baisé sauvagement, et aux quatre coins du monde. Je sonde l'étang et la lune qui s'y reflète avec le sentiment que rien ne sera plus jamais intemporel. Ces héros croisés seront engloutis par des urgences beaucoup moins subtils et ne résisteront pas longtemps aux rouages des grands standards. Le mieux que l'on puisse faire, c'est d'aimer ce qu'on est forcé de devenir. Mais par principe, j'en suis juste incapable. Je serai toujours à la périphérie d'une ville, accro à mes héroïnes et me noyant dans des limbes d'alcool et de sexe. Une balade romantique comme un tango tendancieux partagé à deux.

Je m'étends sur le dos, la face ravagée par les milliers d'étoiles, les voyant comme une liste de choses à faire que j'aurai accroché à un pense-bête. Un tas de chose que je n'ai plus qu'à reporter à demain. Il me reste l'éternité pour devenir quelqu'un. Je pose la bouteille sur mon ventre et dévisse le bouchon. Je porte le goulot à ma bouche m'offrant les effluves d'un magnifique baiser passionnel. La culpabilité d'avoir échoué bouche mes artères comme une longue cigarette coincée entre mes dents. Santanaya disait que la seule vraie dignité de l'homme était sa faculté à se mépriser. Alors j'ai accompli l'œuvre de Kipling. A défaut d'être libre, je suis au moins un homme digne. Un homme à la hauteur de Lya. De cette belle rose dont je suis tombé amoureux au point d'en oublier que j'allais cesser de rêver un jour. Je remets la bouteille à la verticale et sourit en me rappelant ses gros yeux quand elle venait me chercher au bar, ou encore quand je l'exaspérais. Et mes paupières se ferment, libérant la fougue nostalgique de ce qui a été fait pendant ce périple. Je me sens chez moi, dans la marge. Un flacon vissé à un corps ivre. Je n'ai jamais quitté cette bouteille du reste de ma vie.

« The moon has a face

And it smiles on the lake

And causes the ripples in time

I'm lucky to be here

With someone I like

Who maketh my spirit to shine »

Warren Zevon, extrait de la chanson Don't let us get sick

« Puisqu'on ira tous au paradis, autant que je reste ici. » The Walk Man. 

Fin.  

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