"Sur le ring - Le sang appalle le sang !" EXTRAIT 2

Ange Marando

Second extrait du roman "Sur le ring - Le sang appelle le sang !"

Première dizaine de pages :

Extrait d' ‘‘Il Canto Calabrese di Malavita''

« Ndrangheta, camurra e mafia E società organizzata Ndrangheta, camurra e mafia Leggi d'onori, leggi d'omertà''

« Droite ! Gauche ! Crochet gauche, jab gauche ! Mais quel combat ! Quel combat !

Marciano, Marciano ! Encore Marciano qui frappe, oui, il frappe fort !

Moore est dans les cordes, Moore essaie d'esquiver ses frappes qui doivent lui faire mal ! Le troisième round à peine qu'Archie Moore tente de répondre aux crochets ravageurs de Rocky Marciano ! Quel combat brutal ! Mais jusqu'où Marciano nous mènera-t-il ?

Le round se termine, chaque boxeur rejoint son coin. On peut voir le coach de Rocky Marciano qui semble demander à son poulain de continuer sur sa lancée et finir le travail. De l'autre côté, on soigne Archie Moore qui semble avoir une petite coupure à l'œil gauche. Rien de très grave mais qui pourrait devenir gênant pendant le combat, si elle devait s'ouvrir davantage.

Voilà ! La cloche résonne ! Le quatrième round commence, les boxeurs s'observent… non, que dis-je, Archie Moore observe, tandis que Marciano fonce à nouveau, tête baissée, comme un taureau prêt à acculer son adversaire dans les cordes une nouvelle fois. Il martèle Moore, qui le repousse de quelques jabs gauches, ah la la ! Oh la la ! Une droite vient frapper en plein visage Marciano, Marciano est touché mais ne semble pas vaciller, il continue ses attaques impétueuses. Rocky est vraiment un excellent boxeur qui ne s'avoue jamais vaincu. Il est d'ailleurs le seul ‘‘blanc'' à avoir repris la ceinture des poids lourds à un ‘‘noir américain''. C'est incroyable, le 16 mai dernier seulement, il battait Don Cockell par arrêt de l'arbitre au 9ème round à San Francisco. Et en cette soirée du 21 septembre 1955, à New York, il tente d'éliminer Archie Moore. Oui, Moore, qui ne semble pas pour autant vaincu. Le round se termine par un bel uppercut de Moore et chaque boxeur rejoint à nouveau son coin.

Cette fois-ci, Marciano semble être enflé à la joue et au niveau de l'arcade sourcilière droite.

Le cinquième round a été moins mouvementé, les deux boxeurs doivent se reposer !

Nous sommes dans le sixième round, Marciano vient de se relever après avoir été touché et compté de deux secondes par l'arbitre. Le combat continue et les deux boxeurs se touchent encore au visage, mais, mais… Oh ! Oh ! Quel choc ! Quel coup ! Marciano vient de mettre à terre Moore ! Après un crochet gauche esquivé, un crochet droit suivi d'un uppercut gauche se heurtent au visage déjà boursouflé de Moore ! Il se retrouve maintenant à terre, compté par l'arbitre. Un, deux, trois, Moore se relève déjà, quatre… ça y est Moore est à nouveau sur pied et repart au combat ! Droite, gauche, Marciano semble savoir qu'Archie Moore à mal et continue de le frapper de plein fouet. Aïe aïe aïe ! Terrible enchaînement de crochets gauches et droits au visage de Moore suivi d'uppercuts très puissants ! Il tombe pour la seconde fois au sol ! Il reste assis un moment, regardant le public mais se relève aussitôt ! Quel beau combat auquel nous assistons ce soir ! Et ça repart, pas le temps de souffler pour ces deux grands hommes !

Le 7ème round n'a pas été exceptionnel malgré une brève mise au tapis d'Archie Moore par Rocky Marciano. Le 8ème round, quant à lui, a été remporté par Marciano qui a littéralement envoyé ‘‘valser'' Moore qui chute une nouvelle fois au tapis pour 6 secondes cette fois.

Nous sommes dans le 9ème round, et Marciano propulse Moore dans les cordes, on sent que sa fin est proche, Moore se protège et ne lance qu'une flopée de coups timides n'impressionnant aucunement le lion de guerre Rocky Marciano. Gauche, droite, gauche, gauche, droite et une droite de toute puissance fuse sur Moore qui s'écroule ! Moore tombe au sol il reste assis dans son coin, son bras gauche tenant les cordes avec l'espoir de se relever. Il essaie de se hisser péniblement, sa sueur mêlée à son sang coule abondamment. Malgré son courage, son corps ne suit plus et il retombe sans même avoir réussi à se mettre sur ses jambes ! Huit ! Neuf ! Et dix !

L'arbitre désigne de la main Rocky Marciano ! Il conserve son titre de champion du monde des poids lourds ! La catégorie reine ! La plus convoitée !

Et regardez ce combattant au grand cœur qui, avant de savourer sa victoire dans la joie, s'accroupit et parle à son adversaire pour voir s'il va bien. »

Ce fut le dernier combat de Rocky Marciano qui annonça sa retraite le 27 avril 1956. De toute l'histoire de la boxe, il fut le seul champion poids lourd qui resta invaincu.

Il mourut le 31 août 1969 dans un accident d'avion privé près de Des Moines dans l'Iowa.

- Round I -

Adaptation

               Marseille, le 17 septembre 1956.

           Comme chaque année en cette période, les journées commencent à diminuer, malgré le soleil brillant encore à pleine puissance à cette heure-ci. Dehors, je suis encore en train de jouer devant la maison de l'espoir. Tous nos voisins et amis lui ont donné cette appellation. Pourquoi ?

           Eh bien, peut-être parce que nous, les Portino, sommes une famille Italienne originaire de Calabre qui était venue à Marseille dans l'espoir d'y travailler. Il faut dire que Marseille était parfois une halte, un petit entracte à l'histoire des familles italiennes venues du Sud de l'Italie et rêvant d'Amérique. Peppe Portino, mon père, disait souvent à ce propos : « Ma ! Comment la France a-t-elle accueilli les ‘immigranti italiani' ? »

Bien sûr, beaucoup moins bien qu'on ne le pense, ou qu'on s'en souvienne généralement.  Les mauvaises relations diplomatiques entre les capitales des deux pays ainsi que la composition de cette immigration, jeune, célibataire, peu qualifiée, encourageait une très vive italophobie. Si l'on peut la nommer ainsi. En 1881, à Marseille, un incident banal donne lieu à des chasses à l'homme pendant plusieurs jours.  En 1893, dans les Salines d'Aigues-Mortes, une vingtaine d'Italiens sont tués à coups de pierres et de pelles.  L'année suivante, à Lyon, l'assassinat du Président Sadi Carnot par l'anarchiste Caserio provoque de véritables émeutes raciales.

           Sans compter le discours xénophobe qui imprègne la presse.  On désigne l'italien, les italiens, nous, comme primitif, barbare. On parle de nuées de sauterelles. Une invasion ! Vous rendez-vous bien compte ? La France a bien changée !

Mais tout cela n'est qu'une sombre et brève parenthèse. Je me nomme Portino Angelo et âgé de 5 ans, je pouvais me vanter d'avoir, en plus de mes parents dans cette vieille maison à Marseille, mes oncles, des amis de la famille, et quelques cousins. Tous donnaient un peu d'eux-mêmes dans la restructuration de cette bâtisse en bien piètre état, en plus de leur rude labeur dans les champs.

           À part Marseille, ma famille ne connaissait que la Calabre, une région de montagnes anciennes, faite de roches granitiques, aux pentes adoucies, qui descendent en gradins vers la mer. Mer dont tous se souvenaient très bien puisque Rizziconi, le petit village d'origine de mon père y est tout proche, comme plus encore Gioia Tauro, la ville natale de ma mère.

           En 1955, ma famille avait fait le voyage jusqu'en France, pour s'installer à Marseille. Le manque de travail était une des raisons pour lesquelles nous sommes partis de Calabre. Une cause bien plus sombre et sordide forçait certaines personnes à quitter le pays, bien évidemment !

           Nous sommes dans le sud de l'Italie, ne l'oublions pas. Mon père, Portino Peppe, pour reprendre son exemple, avait tué toutes les vaches de son voisin pour se venger d'un manque de respect à son égard.

           Celui-ci alla le dénoncer à la police. Mon père décida alors, dans un excès de colère, d'aller le menacer de mort. Ledit voisin eut la bonne idée de se cacher sous son lit à l'instant même où il aperçut mon père rentrer chez lui. Ses jambes qui dépassaient de ce lit miteux reçurent trois balles chacune.

           Une fois cet intrus et rival sorti de l'hôpital, il alla une fois de plus insulter mon père qui, dans un trop plein d'ardeur lui lança sans réfléchir : « Devant cette gare, il y a des témoins donc je ne te tue pas. Mais si tu ne meurs pas ce soir, ce sera demain ! »

           Le lendemain, cet homme reçu 87 balles ! Surprise, aucune n'était mortelle, et l'homme eut le temps de crier une fois à l'hôpital que c'était Peppe Portino le commanditaire. Il mourut quelques heures plus tard d'une hémorragie interne. La police interrogea mon père qui avait une quarantaine de témoins l'ayant vu ailleurs ce soir là ! On ne retrouva jamais le tueur ! L'affaire fut classée.

           Suite à cette péripétie, son frère cadet Carmelo lui conseilla vivement de partir à l'étranger. Même s'il fallait que ‘jeunesse se passe', il valût mieux pour nous tous que ce soit en France par peur de représailles. Ces ‘petits soucis' mis à part, nous pouvions dire que Portino Peppe, était un excellent horticulteur et il en fît son métier.

           C'était un homme quelque peu aigri par son départ vers la France, mais aimant ses proches sans limite. Il portait souvent les mêmes vêtements usés par le temps, parfois même déchirés. Oui, il arrivait tout juste, avec son salaire, à subvenir aux besoins de notre famille. Il était assez grand, les cheveux grisonnants, un visage sévère marqué par des rides qui en disaient long sur son passé. Il était marié à Maria Colli, ma mère. Elle avait les cheveux d'un blond de blé. Ses yeux étaient bleus, et un châle autour de ses épaules la recouvrait quelle que soit la saison. C'était une femme qui vouait une entière adoration à ses enfants. Elle ne vivait que pour nous, candide, droite, sincère, aimant son mari. Après moi, de cette union naquirent deux garçons et quatre filles : Carmelino (mort d'une rage de dent à l'âge de deux ans), Sylvana, Nadina, Maria Francia, et Gisella, et un garçon : Salvatore. Dans une famille nombreuse, les liens sont parfois étranges. Il y a toujours plus ou moins d'affinités entre frères et sœurs. Mais bien entendu, cela ne remet pas en cause l'amour que chacun porte à l'autre. Vers 5 ou 6 ans, mon père Peppe m'inscrivit à l'école pour que je puisse apprendre à lire et écrire.

           J'avais les cheveux de couleur châtains bouclés que ma famille assimilait souvent (un peu pour me narguer aussi), à de la laine de brebis. Mes yeux étaient bleu gris. D'un bleu océan parfois, et d'un gris nuageux à d'autres moments. J'étais un enfant très sage, malgré une énergie débordante qui me causait parfois du tort.

- Aaaah ! Piccolo disgraziato ! Tou t'es encoré enfouit dé l'école è ?

- Mais Papa…, tu sais très bien que je n'aime pas aller à l'école, tous les enfants se moquent de moi car nous sommes Italiens. En plus le maître m'a encore puni.

- Se lo maîtré t'a pouni, c'est qué t'ou as fais una cazzata, no ?

- Non papa ! Aucune bêtise, je me suis juste défendu car des enfants m'ont dit qu'on était de sales macaronis ! Je les ai donc attrapés pour les frapper, et le maître n'a pas voulu croire à mon histoire. Il a dit que c'était moi qui les avais provoqués, et m'a puni.

- E va bene ! J'ai compris ! Jé vais té faire travailler dans les campagnes avec moi comme ça tou n'auras plous d'ennuis.

           Et c'est ainsi, suite à de nombreuses convocations chez le directeur de mon école et d'inlassables disputes similaires entre père et fils, que je commençai, à l'âge de dix ans, à travailler dans les champs avec mon père en tant qu'horticulteur paysagiste. Le métier était dur. Très dur.

           A mes débuts, je me contentais de trier les différentes plantes et fleurs qui nous étaient fournies. Lorsque j'acquis plus d'expérience, je labourais la terre pour la rendre plus fertile. Et pour finir je plantais les divers assortiments de bouquets composés. C'est aux alentours de ces années que le hasard me fit retrouver Antonino, fils aîné de la famille Dintarello, avec lequel j'avais sympathisé lors de notre départ commun de la Calabre pour Marseille. Pendant le voyage Antonino et moi-même jouâmes beaucoup ensemble et devînmes finalement de véritables amis.

           Puis arrivés à Marseille, il y eut une courte séparation due aux différents chemins pris par nos parents. Mais lorsque nous nous retrouvâmes, nous commençâmes à nous amuser à nouveau ensemble. Notre jeu était toutefois différent des autres garçons de notre âge : nous boxions !

           Nous boxions ensemble tout le temps. De vieux torchons déposés au fond du cabanon de nos parents faisaient office de gants. Nous entourions ces vieilleries autour de nos poings et nous nous battions sans feindre de nous toucher. Notre rêve était de devenir de grands champions de boxe, tout comme notre idole, Rocky Marciano. Les parents d'Antonino étaient d'une droiture et d'une rigidité déconcertante.

- Laissez lo pétit vénir manger chez moua, commé ça, il jouera un po avec mon fils ! leur disait souvent ma mère. Commé ça, il pourra respirer un po cé gossé, chuchotait-elle ensuite à mon père.

           Antonino, lui, était tout ce qu'il y a de plus têtu. Il n'en faisait qu'à sa tête n'écoutant personne, même malgré les coups de son paternel. Il faut préciser qu'à l'époque, la seule méthode existante était les coups portés comme il se doit, c'est-à-dire sur le postérieur des enfants, ou quelques fois à d'autres endroits moins probables. Pas encore de thérapies capricieuses comme le conseillaient les psychologues et qui ne fonctionnaient qu'une fois sur deux. Parfois, l'amour des parents apportait un peu de piment sur le corps des enfants.

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