Sur le sable...

giuglietta

Songe, mensonge, illusion

Je lis dans ton regard, homme croisé à pas vifs
le compliment, léger, innocent et furtif
hier une enfant, une petite fille, me voit
guetter ma silhouette dans la vitre et sourit
malicieusement, à peine, j'entrevois
la finesse de la jolie petite souris
cet homme, cet enfant : nous nous sommes compris
et la vieille dans le bus, à mots couverts aussi
ce clodo à la gare, son air me desespère
mais d'un clin d'oeil il me rassure et il me prie
en quelque sorte, de faire comme si de rien n'était
ce type sur mon passage qui sussure : "habibi"
à Ramallah, ce n'est pas lubrique, je me tais
ces belles femmes que je croise sans cesse et qui me font
rapides, le sourire qu'elles se font entre elles 
petites, grosses, maigres, rouge à lèvres, rouge au front
cette reconnaissance que nous avons des ailes
qui dit "tu es des miennes, dans la guerre de la rue"
et aussitôt aimées, aussitôt disparues
un jeune qui me dit : "vous êtes trop belle madame"
parce que seulement je chante et c'est "padam padam"
je dis à la femme voilée :" joli, ce papillon"
qu'elle a sans cruauté épinglé à sa blouse
et elle, elle sourit à la blonde en talons
ce monde nous divise et fout vraiment le blues
me disent ses mirettes et sa broche luit
et nous sommes complices un instant dans la nuit
je sais exactement, à chaque minute, en train,
sur le quai, à la plage, en marche et à l'arrêt
si j'accélère a fond ou si je mets le frein
ce que disent les yeux des gens que je rencontrent
je leur souris, les aime, et eux ils m'aiment bien
nous sommes ceux qui ne regardent pas leur montre
ceux qui sont attentifs plutôt à leur prochain
oh pas toujours, personne, dans ces villes peuplées
ne peut montrer de l'empathie aux esseulés
mais ce qui est certain, plus évident que tout
c'est qu'un regard, un sourire peuvent tout
que tout est dit bien vite et avec affection
ou quelquefois aussi peut se dire l'aversion
un petit geste, un mot esquissé, un malaise
une tension, alors il faut que l'on se taise
que l'on regarde ailleurs, oh détourner la tête
parfois en un clin d'oeil, provoquer la tempête
mais alors si tous ces gens inconnus-là me savent
si je les sais aussi par les yeux et le rire
si, brefs, si flous, si rares mais pourtant si suaves,
nos échanges sont plus vrais que le plus vrai des dires

Comment toi, que je vois, que j'entends, que je touche
dont j'ai plus d'une fois vu s'entrouvrir la bouche
sur des doux mots qui n'ont pas besoin d'exister
parce dès qu'ils seront ils n'auront plus été
et des soupirs heureux comme sont ceux des anges
quand nos corps sous la lumière de la lune changent
toi dont je connais tant la chaleur et la peau
et l'haleine et l'odeur et tout ce qui est beau
moi qui sais la nuance à chaque heure dans tes yeux
toi nuage Magritte dans un ciel vraiment bleu
toi qui sait tant de moi, des heures, depuis des mois
des années, toi, que je sais et devine, moi
toi qui connus de moi des sucs et des baisers
des musiques sauvages, des gestes apaisées
le repos, le sommeil, l'ivresse, le réveil
toi, comment se fait-il que tu sois illusion
que tout de nous échappe à la moindre raison
alors que l'évidence tacite m'éblouit
faut-il que tout ne soit que sable sous la pluie
faut-il donc qu'à l'inverse de mes chers inconnus
tu sois le seul au fond que je n'ai pas connu
les âmes d'étrangers que j'effleure et n'approche
je les devinerais et toi, qui m'est si proche
j'aurais rêvé que tu étais mon âme-soeur
j'aurais interprété les rythmes de ton coeur
je me serais trompée, tout ne serait que songe
quand ailleurs j'ai raison, ici tout est mensonge ?
deviner, ressentir, feinter les apparences
aller au fond de l'être, en respirer l'essence,
si ce n'est avec toi, avec qui le pourrais-je
le sort serait plus fort que tous mes sortilèges
je vivrais dans l'erreur comme vit dans le péché
celui dont l'ire aura faussé les perceptions,
l'aveugle triste qui, la fleur croyant toucher
de la piqure d'ortie connait la sensation

Ressentir c'es savoir, deviner c'est connaitre,
Rencontrer l'autre c'est toujours le reconnaitre
Alors le retrouver, c'est aussitôt renaître
Si elle n'est qu'illusion cette fusion des êtres
Si ce savoir sorcier n'était qu'une invention
Il serait temps enfin de renoncer à naître
De renoncer au chant, au rire, à la fiction
Il serait temps de se consacrer à l'action
A l'orgeuil, à la gloire et à la prétention
Ou sombrer dans l'oubli des rêves et l'affliction...

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