Syndrome du Membre Fantôme

Il est là et en même temps n’est plus. Je le sens encore, pourtant, cet ami autrefois si présent.

Comme un membre, un bras amputé à la première urgence et dont je sentirais encore le squelette, sa structure osseuse faite de moelle, de cartilage, et quoi d’autre encore… j’en sens encore les nerfs, mais aussi les veines, les petites et les grosses… les bleues, celles qui émettent, quand on pose délicatement un doigt dessus, un imperceptible petit battement car elles furent, pendant un temps, reliées directement à mon cœur, et me rappelaient que oui, malgré tout, autrefois j’avais tout d’une humaine… les rouges, celles que les suicidaires savent que ce sont elles qu’il faut sectionner, mais attention, bien dans le sens de la longueur, si l’on veut que ça marche et que la mort survienne, et que ça ne soit pas un simple appel au secours…

Le membre amputé n’est plus là, et pourtant la douleur persiste. Comme pour me faire une blague à moi-même je fais jouer les doigts de mon membre fantôme, je rêve d’y passer des bagues, de me vernir les ongles pour les parer des couleurs qui me font rire, comme autant de fous rires, de délires que nous avons eus ensemble… je regarde mon informe moignon de chair rose et mauve entrelacée, et je ressens une petite démangeaison au creux de mon poignet fantôme, comme quand j’y mettais quelques gouttes de parfum, un parfum qui sentait l’été, et les feux du 14 juillet.

Mais tout se passe dans ma tête, car mon cerveau dans ses plis et replis, dans ses intelligentes circonvolutions, invente des ruses pour tenir le coup ; la perte est trop dure…

Alors, quelque part, au fond de moi, ce bras est encore là, même si je ne le vois plus.

Rien ne remplacera cet ami perdu. Car on peut toujours remplacer un membre amputé par une prothèse, ou un bras par le bras d’un autre, puisque la science progresse ; mais ce ne sera jamais mon bras à moi.