Taberna vinaria

Soda Pop

(ELA : TOME II - Chapitre 7)

La diligence était une vieille Dodge Challenger, de couleur beige clair avec un toit jaunâtre en guise de glaçage « royal » comme on dit en pâtisserie. T'aurais juré un énorme  chou à la crème caramélisé, nappé grossièrement de  vanille dégoulinant sur l'arrière.

 Une adorable demoiselle fagotée d'un uniforme rouge bien trop serré pour elle, avec une paire de meules qui auraient foutu tout un concile œcuménique en effervescence, procéda aux formalités et m'escorta avec déférence jusqu'à la chariote, preuve qu'elle me considérait comme un V.I.P. Elle me souhaitait bonne route, je lui répondis qu'elle était tellement mignonne que je mettrais mon coucou de poignet sur deux plombes du mat' l'histoire de penser à elle d'une main en toute tranquillité, le restant de la noche; après quoi je la quittai pour aller prendre la route.

  Si je m'en référais au cercle noir tracé sur le parchemin routier, une dizaine de miles tout au plus me séparaient de l'endroit indiqué qui était « Old Taverne Plaza, 1327, El Paso - Texas ».

  Le carrosse était ventilé avec un pare-bise (qui brise le vent !) à moitié ouvert et peinturluré d'un bleu azur dans sa partie supérieure. Je me sentais là-dedans comme un milliardaire texan allant acheter une dizaine de Picasso à la ville pour décorer son nouveau ranch fermier.

 Quelques jours auparavant, je traversais Burdigala (1) sous la flotte, avec ses Bordeluches renfrognés, ses conducteurs de boeufs en transe, et son ciel chargé de nuages gris dont l'émanation des formes me rappelait les pets d'échappement de bovins. Et voilà que je drivais un carrosse hight level en plein cagnard sur une route étincelante de lumière, avec plein de gens de toutes les nationalités, aux fringues de couleurs ahurissantes et aux chariotes qui pouvaient à peine se traîner sous leurs chromes flamboyants. Le contraste était saisissant.

 Au début, dans la banlieue d'El Paso, un bouchon monstre freinait l'allure; un troupeau de vaches Texas Longhorn déambulait tranquillement dans les rues comme pour faire du shopping; mais cela se clarifia assez vite. Une grosse connasse rouquine, coiffée d'un casque en bronze de cow-boy, m'adressa une sonorité de corne animale en soufflant dedans pire qu'un breton dans son biniou un jour de kermesse, pour me proposer, je suppose, des malheurs sexuels, mais je lui montrai galamment mon médius dressé vers le ciel et elle prit la peine de se lever pour me traiter d'enculé.

Magnifique et aride Texas, pelé, poisseux, avec des forêts de charpentes métalliques ça et là qui supportent les trépans des puits de pétrole à l'horizon, d'immenses pancartes colorées vantant les mérites d'artisans reconnus, des cahutes de bois le long des chemins, sur le perron desquelles croupissaient des Noirs en guenilles rapiécées.

Je m'arrêtai à un carrefour, biscotte un feu était allumé. « Attendre qu'il soit éteint avant de continuer ! », c'était marqué. Putain, c'est long un feu qui brûle… J'en profitais alors pour mater deux vieux mecs barbus à souhait, qui semblaient répéter une scène de communication de masse au profit de la remarquable organisation Tobacco Marlboro, en allumant de petits cônes blancs fourré de  tabac, portées à leurs bouches respectives.

 J'étais jouasse. Je me disais que j'allais rencontrer ce fameux, ce formidable et mystérieux « Invisibilia » et l'excitation me chatouillait le dessous des testicules. Je me sentais engagé dans une nouvelle vie; un pressentiment m'annonçait que tout allait changer pour moi et que je venais de prendre congé d'une existence de second rôle où je n'aurais jamais plus ma place. C'était indépendant de ma volonté, plutôt jouissif, comme si une mutation éclair venait de s'opérer en moi. Je n'avais encore jamais éprouvé cela, du moins jamais avec une telle force, une telle certitude…

 Au cours de la soirée de l'abbaye de Notre-Dame des Cuny, j'avais écouté la proposition cardinale en me tapant sur le dessus des cuisses, moralement. C'était la grosse fable racontée ! Le foutage de gueule grotesque. Je partageais le scepticisme outré du vieux Urbain. On nous chambrait de première avec ces histoires de super fantôme à la noix. Et voilà qu'en roulant sur cette grand-route texane, inondée de soleil et bariolée, je réalisais que c'était fait. Quelque chose s'était produit, qui m'entraînait vers un destin pas piqué des hannetons.

Je m'arrêtai sur un terre-plein, à proximité d'un magasin de fruits et légumes. Une grosse Noire obèse poussait un petit chariot chargé de bouffe.

 Je lui ai demandé, depuis ma portière, si elle connaissait Old Taverne Plaza dans les environs.

Elle m'a dévisagé comme si je constituais un des plus beaux étrons qu'un gros intestin eût jamais produit ; et puis quelque chose en elle a réalisé que j'étais étranger et alors elle m'a répondu qu' Old Taverne Plaza se trouvait plus loin, mais pas tellement, deux miles peut-être, à droite de la route ; et comme quoi je pouvais pas me gourer car il y avait deux grosses roues de chariote peintes en rouge de chaque côté de l'établissement.

 Son chariot, t'aurais cru voir un carrosse de livraison. Quand elle aurait bouffé le monceau de denrées empilées là-dedans, elle pèserait un quintal de mieux, parole !

Old Taverne Plaza m'a fait tiquer quand je l'ai aperçue. C'était une longue cabane de planches toute de guingois, recouverte de chaume en paille de blé clairsemé. De vieilles lanternes colorées et sans formes, égayaient la façade. Effectivement, deux énormes roues de bois formaient de part et d'autre des massifs futuristes car on avait planté des plantes épineuses à l'intérieur.

 J'ai fait garer mon chou pâtissier sur l'esplanade défraîchie où se dressait la construction et je suis entré. C'était une taverne pour Noirs uniquement. Y en avait une bonne dizaine à l'intérieur, qui bavassaient en buvant. L'un d'eux grattouillait un gourd-banjo, sans doute en peau de castor. Le comptoir avait été fabriqué avec des planches clouées sur des barriques. Un vieux nègre (particulièrement âgé !) chiquait du tabac derrière son boui-boui. Il avait les cheveux blancs et portait un haillon rapiécé de vieux lambeaux de toile ou d'étoffes usées.

La description vestimentaire de celui-ci valait pour l'ensemble des clients, dont la transpiration mêlée aux effluves alcoolisées emboucanait l'atmosphère d'un suint (2) pimenté.

-       Bout du con, ça a bien brûlé, là-dedans !

Mon entrée les a sciés, tous. Un silence épais comme du foutre s'est abattu sur le black bistrot ; on aurait entendu baiser un couple de paresseux. Personne ne bronchait, le gus au banjo est resté comme un con, son instrument entre les jambes pareil à un chibre de taureau.

       Je me suis accoudé au comptoir. Il ne ressemblait pas à celui de Notre-Dame des Cuny.

       — Un Indian Tonic, Please ! J'ai demandé.

       Pour claironner mon accent de la Francie, j'ai ajouté :

       — Putain de chaleur, ça tape dur ici, hé ?

       Le chiqueur n'a pas moufté, mais il a sorti cependant une amphore d'Indian Tonic d'un placard délabré, puis il a plaqué un godet de bois contre la planche mouillée servant de comptoir; et dare-dare, m'a oublié. J'étais devenu plus transparent que l'homme invisible, pour lui. Ce qu'il y avait de déroutant, c'étaient ces Noirs immobiles et silencieux qui jouaient aux mannequins sans me regarder.

La situation me paraissait louche, brusquement. Quelque part, il y avait comme un hic. Je ne me voyais pas passer 4 plombes ici, dans cette hostilité muette, à siroter un breuvage chaud comme la pisse. Un Blanc dans cette taverne croulante, c'était peut-être bien la première fois qu'on voyait ça dans la région. Par une petite ouverture, j'apercevais des puits de pétrole dans le lointain, avec de grandes flammes montant très haut pour lécher le cul des nuages.

 Enfin, j'ai perçu un double bruit de pas et un couple est entré dans l'Old Taverne Plaza. Des Blancs. Ouf !

 (à suivre)

 * * *

 (1). Bordeaux

(2). Le suint animal : Il désigne en particulier la graisse qui recouvre la toison des animaux à laine.

  • Bonjour Soda, plaisir...rigolade. Je t'ai lu (enfin cet épisode) hier au soir sur mon tel et j'ai beaucoup ri. T'es drôle...T'as un style qui me plaît beaucoup. Le "coucou de poignet" m'a fait pouffer...et le reste aussi. Je regrette juste de ne pas disposer de plus de temps pour te compulser...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Lyse, c'est un bonheur ce commentaire... un velours, un miel... Tu veux rire encore ? alors débarque au chapitre 1 d'invisibilia (ça démarre fort !) et je n'ose de conseiller le 2 et le 3 qui resteront pour moi des morceaux d'anthologie de franches rigolades devant mon clavier... Tu manques de temps ? alors je dis dommage ! car "Rififi chez les vikings" monte crescendo dans la connerie tu peux me croire itou. Mdr. Tu es un sacré numéro Lyse ! Tu dégueules d'humour et c'est rare de nos jours. Tu as du talent et un grand coeur (pour qui sait lire entre les lignes) et ça c'est un bien beau cadeau de la vie... parole de Sodapop...

      · Il y a plus de 8 ans ·
      12870750 lettre de brulure faite dans le graphisme 3d

      Soda Pop

    • Hello Soda. Merci de me complimenter et de lire entre les lignes. J'aime rire et faire rire, tout comme toi mais j'ai aussi mes périodes de spleen. Je suis partageuse aussi et me dis qu'un jour, peut-être cela me portera plus haut. Je rêve beaucoup. Je vais essayer de trouver le temps de te lire car j'aime vraiment ton style qui me fait penser à Kamelott -dont je suis fan- et à Frédéric Dard pour la grivoiserie.
      On se lit donc mutuellement. Un lien vers tes œuvres dans wattpad stp, tu as que je mette en favoris et n'ai pas besoin de chercher?

      · Il y a plus de 8 ans ·
      D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

      lyselotte

    • Mais bien sûr Lyselotte, et avec plaisir même !
      https://www.wattpad.com/user/Soda-Pop
      Cela me comblerait d'entrevoir quelques traces de ta venue. Grand Merci !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      12870750 lettre de brulure faite dans le graphisme 3d

      Soda Pop

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