Tableau vivant
-cassiopee-
Ce fut comme une digue qui se rompit et des larmes brutales inondèrent ses yeux avant de rouler sur ses joues. De gros sanglots empêchaient l'air d'entrer dans ses poumons et la suffoquaient. C'était comme si la trop longue apnée qu'elle avait l'impression de vivre ces derniers jours devenait soudainement insupportable, que son corps avait épuisé ses dernières réserves et qu'il se cabrait dans un dernier sursaut, un dernier élan de vie, pour happer un peu d'air. C'était vain, impossible de respirer. Il fallait se vider de la fange qui s'était accumulée. Toute la peur, la haine, la violence, tous les mots refoulés, inavoués, les heures insomniaques, les jours brûlants, les attentes, les doutes, toutes les angoisses, il fallait tout laisser couleur en flots translucides, tout jeter. C'était devenu trop gros.
Elle se laissa glisser au sol, elle voulait s'y fondre, être écrasée, pressée comme un fruit, faire sortir la sanie.
Elle surprit son reflet dans le miroir en pied qui couvrait la porte de la chambre. Elle aurait pu rire tant elle y voyait de ridicule. Mais il y avait une esthétique dans le tableau qu'elle observait, il y avait quelque chose de beau dans la douleur qui s'épanchait. Des tâches rouges étaient apparues autour de ses yeux, sur ses joues et son front ; son nez coulait autant que ses yeux et faisaient entrer dans sa bouche asséchée une eau salée, chaude qui ne pouvait étancher sa soif. Deux tranchées noires de mascara s'étaient tracées depuis ses yeux jusqu'à son cou comme si les larmes avaient été de poix ou qu'elles avaient emporté tout le goudron accumulé dans ses veines.
Jetée ainsi par terre, secouée de graves sanglots, douchée par ses larmes noires, elle s'était trouvée presque jolie.