t'aimer
sadnezz
Philtatos,
il n'est pas meilleure ode à celui qui a juré aimer jusqu'à l'Hiver. Je picore chacun de tes mots pour les mâcher d'impatience, chique du marin qui te regarde de l'autre bout du bateau à l'effort des gréments. Je les essore sous ma joue, pour en extraire tous les sucs. Et je les frotte contre mes dents. Leur gout a des rondeurs que je ne leur soupçonnais pas. Tes mots accouchent toutes mes humeurs.
Mais je suis ton vent contraire, et de mouvances tu le sais je ne manque jamais. Je suis la vague et tu es l'écume qui me couronne, idéaliste, tu as des airs de dévot. J'invoque dans tes lignes les sentiments qu'elles déclenchent, les avalanches. Je les retourne sept fois sous ma langue, et je crache dans le vent. Je ne trouve pas que t'aimer soit une chose si simple.
Quand elle est profonde, au mystère sans cesse renouvelé des jours qui passent sans que tu ne lâches ma main. Quand elle est tumultueuse, m'harangue et me balbringue, me tutoie, me passionne et me met en joue. Quand elle me met à genoux. Quand elle m'enlève les mots. Quand elle pique l'inconcevable, capable, elle réveille mes démons et d'un mot ou d'un regard, d'un délicat frottement de peau, me jette à l'eau. Exacerbe mes vices comme m'emmaillote de quiétude. T'aimer, c'est une chose inénarrable, c'est une insomnie de joie. C'est un cri de terreur. Cela m'élève ou me rétrograde, m'assaille et me tenaille. Me ronge, m'extasie, me tiraille quand je jouis. Quand je la prie à genoux de ne jamais me quitter et qu'elle me regarde d'un sourire impossible à percer. T'aimer n'est pas une chose simple. C'est un vagabondage infini dans lequel on redoute tant de se retrouver que de se perdre. Une ligne d'horizon là où le commun voit un rivage.
T'aimer, c'est raviver sans cesse la puissance immédiate qu'ont eu tes premiers mots sur mon écorce. C'est raviver notre rencontre, providentielle. Pour échanger la profondeur de nos doutes, de nos blessures et de notre lumière dans un instant d'amour suprême. La suprématie n'est pas une chose simple.
C'est te tenir entre mes mains et me rendre compte que j'ai vécu toute ma vie les mains vides. T'aimer c'est une chose anamorphe, c'est aimer l'homme que tu es comme la femme que je ne suis pas. La femme que tu n'es pas comme l'homme que je suis. T'aimer est une chose insaisissable, indéfinissable, qui fuit entre mes doigts. C'est te regarder vivre comme tout le monde en n'étant comme personne. C'est poignant, ça me tient aux poumons, ça me décolle les tripes. T'aimer, c'est savoir que tu es assez pour moi, mais que je n'aurais jamais assez de toi. Ce n'est pas simple, Alphonse Tabouret. Ce n'est pas simple... Le premier jour ne reviendra plus. Ce que je n'avais pas prévu, c'est la frénésie avec laquelle il se représenterait différemment , chaque matin où je me réveillerais à tes côtés.
F.